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Filière pêche : Une production menacée

Publié le jeudi 10 juillet 2008 à 08h59min

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Le poisson se fait rare dans les eaux burkinabè. A Kompienga comme à Bagré, les plus grandes retenues productrices de poisson du Burkina Faso, les pêcheurs vivotent. La production tangue. Dangereusement.

L’alerte est donnée par la Direction générale des Ressources halieutiques. L’urgence s’impose face à la baisse vertigineuse de la production de poisson dans les deux plus grandes retenues d’eau du Burkina Faso. De 2000 tonnes (t) par an en 1998, la production de poisson du lac de Kompienga est de 700 t de nos jours. Quant à Bagré, de 1000 t par an, elle a chuté et pivote entre 600 et 800 t, selon les statistiques de la Direction générale des Ressources halieutiques. Pendant ce temps, le fossé se creuse entre l’offre et la demande sur le marché local. La production nationale en 2007 était de 10 500 t tandis que la consommation nationale elle, est estimée à 30 000 t par an. De facto, pour combler le déficit, le Burkina Faso importe chaque année 20 000 t de poisson pour plus de 15 milliards de F CFA.

La conséquence directe de cette baisse de la production nationale est l’effondrement du pouvoir d’achat et la dégradation des conditions de vie des acteurs de la filière. En effet, en 2007, la filière avait engendré 20 000 emplois dont 12 500 directs pour une valeur ajoutée de plus de 9 milliards de F CFA. Toutefois, entre 1998 et 2007, le nombre des pêcheurs autour des lacs de Bagré et de Kompienga n’a pas résisté à la chute de la production. De 700 pêcheurs en 1998, 300 à 400 s’échinent aujourd’hui pour gagner leur pitance quotidienne à Kompienga. A Bagré, de 500, ils sont aujourd’hui quelque 250 à s’adonner à leur activité favorite. La décadence ne s’arrête pas là. Les groupements de pêcheurs de Kompienga se sont disloqués allant de la désorganisation au désordre. “Ce sont des organisations qui n’existent que sur le papier”, précise le chef technique du Périmètre aquacole d’intérêt économique (PAIE), Yacouba Ouédraogo. Dans la même veine, Mady Compaoré, pêcheur depuis une vingtaine d’années et président de l’Association Nabonswendé de Tounga, le plus gros village des pêcheurs, situé à 17 km de Pama, constate : “aujourd’hui, le poisson se fait rare dans le lac”.

Pour étayer ses propos, assis sur un banc de fortune et caressant lentement sa barbe, il explique qu’en 1998, Tounga disposait de quatre débarcadères de poisson. Jetant par moment son regard au loin comme pour se rappeler des souvenirs, il affirme que par jour, chaque débarcadère pouvait recevoir 4 t de poisson avec des véhicules d’achat en file indienne. Aujourd’hui, les pêcheurs de cette bourgade sont obligés d’utiliser un seul débarcadère par manque de poisson. Les débarcadères sont des terrasses aménagées pour la vente de poisson aux abords des grandes retenues d’eau. La baisse de la production joue sur la disponibilité des espèces. Yacouba Ouédraogo du PAIE confirme : “le labeo coubié, une espèce de poisson (dont la forme est semblable à la carpe) qui constituait 40% des prises du lac de Kompienga a disparu”.

A Bagré, la Maîtrise d’ouvrage et la Chine Taïwan essaient de colmater les brêches. Ainsi, une dizaine de débarcadères et des magasins d’intrants ont été aménagés à cet effet. La pisciculture réalisée par la coopération taïwanaise vient en soutien à la production du lac. Avec 10 t mensuelles de poisson, le projet d’élevage piscicole amoindrit l’impact de la baisse de la production du lac.

Les pêcheurs et les fumeuses de poissons tirent le diable par la queue

La conséquence directe de la baisse de la production est la dégradation des conditions de vie des acteurs de la filière. Une fumeuse de poisson pouvait superposer quatre grillages avec 200 kg de poisson pour le fumage. A Bagré, au quotidien des jeunes gens sont chargés de relever la quantité de poisson pris. Sur la terrasse du débarcadère d’un village de pêcheur, Aziz Ouédraogo, l’un deux est assis sur un table-banc, muni d’un cahier et d’un stylo. A tour de rôle, les pêcheurs, les transformatrices de poisson défilent pour peser le poisson sur la balance suspendue à cet effet. Le 03 juin 2008, l’agent de pesée, Aziz Ouédraogo avait relevé la capture journalière de 223 kg pour 23 pêcheurs. Le 04 de ce même mois, elle était de 180 kg pour 17 pêcheurs. A cette période, l’on écoulait le kg de petits poissons à 250 F CFA, les moyens à 500 F CFA et les grosses carpes à 750 F CFA. Quant aux fumeuses de poisson, malgré la rentabilité de leur activité, elles assistent impuissantes à ce “drame halieutique”.

Aïssata Ouédraogo est fumeuse depuis 5 ans. En bonne commerciale de Bagré, elle a inscrit sur la porte de sa concession, située au cœur de la cité ouvrière : “Poisson fumé, 1kg : 1750 F” avec en caractère d’imprimerie son prénom et son numéro de téléphone mobile. Avec deux fumoirs pouvant recevoir chacun trois grillages superposés, elle peut fumer 100 kg de poisson par jour. Actuellement, elle en fume une cinquantaine. Nonobstant ce bémol, les fumeuses de poisson de Bagré font souvent de bonnes affaires en temps de bonne production avec un revenu journalier variant entre 50 000 et 100 000 F CFA. Mme Alima Ouédraogo, avec 15 ans d’expérience dans ce commerce, atteste vendre 100 kg de poisson fumé lorsque le marché est prolifique. En période de bonne production, Mme Ouédraogo a un revenu journalier “d’au moins 50 000 F CFA”.

Sauver Kompienga

La situation actuelle du lac de Kompienga ne semble pas surprendre le directeur général des Ressources halieutiques, Idrissa Zampaligré. En 2001, il était le responsable du PAIE du barrage dont la capacité avoisine 2 milliards 50 millions de m3. M. Zampaligré dit avoir attiré l’attention de la hiérarchie et des personnes concernées par la gestion du lac. “La direction générale en son temps (NDLR : 2001) a laissé entendre qu’on va voir. Mais, on a rien vu. L’envoi d’une équipe technique a avorté”, a expliqué M. Zampaligré. L’on a plutôt assisté à un chassé-croisé de correspondances entre les structures qui devraient permettre de sauver le lac. Le 2 juillet 2001, le chef PAIE, en l’occurrence Idrissa Zampaligré, adresse au directeur général des Eaux et Forêts une proposition de fermeture du lac de Kompienga à la pêche. Cette proposition concernait “la suspension des activités d’exploitation halieutique (…) pour une période de deux (2) ans.” Dans cette correspondance, le chef de l’unité PAIE démontrait, chiffres à l’appui, que “les captures moyennes par sortie supérieures à 13 kg/sortie en 1998 ont chuté à 8 kg en 2001.” En 2007, les statistiques donnaient 5.5 kg/sortie.

Le PAIE situe les causes de cet effondrement dans la surexploitation, le vieillissement (usure) du biotope, le comblement de la cuvette du barrage et la pollution par les pesticides utilisés par les agriculteurs. Le 1er août 2007, le haut-commissaire de la province en son temps, Sieka Anatole Banworo “invitait les acteurs à une rencontre sur la pêcherie”. Cette invitation est on ne peut plus clair, selon les termes de la lettre : “depuis 1998, la pêcherie du barrage de la Kompienga enregistre une chute continuelle de production. A ce jour, celle-ci a atteint un niveau inquiétant dont les conséquences sont cruellement ressenties par les pêcheurs en particulier.” Une rencontre de concertation sur la question est initiée pour le 17 août 2001. Les problèmes ont été débattus mais la rencontre a accouché d’une souris concernant la fermeture.

La rencontre s’est terminée en queue de poisson à cause “de la pression des commerçants sur les pêcheurs.” Après cette rencontre, le chef de mission de l’UICN adresse le 21 août une correspondance au directeur général des Eaux et Forêts. Il signale alors que “des phénomènes comme l’exagération des quantités prises, le non respect des zones de reproduction des poissons et, l’utilisation de méthodes prohibées contribuent fortement à l’épuisement de la ressource.” Il propose l’élaboration d’un plan envisageant des mesures relatives “à la fermeture (du lac) à la pêche pendant une période donnée (un mois ou un trimestre par exemple) et le renforcement du dispositif de surveillance sur le plan d’eau, de manière à faire respecter la période de fermeture.” Ce plan restera lettre morte.

De mal en pis

La rencontre du 17 août 2001 ayant accouché d’une souris, la situation alla de mal en pis. Aujourd’hui, l’on reconnaît la pertinence de la fermeture du lac à la pêche. Mady Ouédraogo, pêcheur soutient : “nous sommes pour la fermeture du barrage à la pêche.” L’actuel chef du PAIE, Yacouba Ouédraogo s’inscrit dans cette logique : “ la fermeture du lac est une décision politique.” Toutefois, “il faudra trouver d’autres activités qui occupent les acteurs durant cette fermeture”. A défaut d’une fermeture totale, le directeur général des Ressources halieutiques, Idrissa Zampaligré préconise “la réduction de la pression de la pêche sur la ressource en diminuant l’effort de pêche”. Cette responsabilité passe par le respect des techniques de pêche notamment “le fait de ne pas pêcher avec un filet dont les mailles n’excèdent pas 40 mm”, estime M. Ouédraogo. La dégradation de la pêcherie fait planer des risques sur la vie du barrage et sur la cohabitation des populations. “Kompienga est dans une phase de rendement décroissant et très critique. Les pêcheurs investissent dans l’activité mais, il n’y a plus de rentabilité. Les gens vivotent”, affirme Yacouba Ouédraogo du PAIE.

Selon lui, “il y a trop de laisser-aller”. Selon le directeur général des Ressources halieutiques, M. Zampaligré, le pire n’est pas l’anéantissement de la ressource halieutique, “si les choses se limitaient là !”. “Ce qu’il faut craindre, c’est l’éclatement et le développement de conflits et affrontements sur la pêcherie avec les difficultés de partage du peu de poisson encore disponible.” Selon lui, ces conflits seront favorisés par la nervosité causée par le passage à la situation de pauvreté pour les uns et l’aggravtion de la précarité pour les autres, avec la médiocrité des captures. A Kompienga, les pêcheurs sont à la merci des mareyeurs et semblent se poser cette épineuse question de savoir qui viendra sauver le lac et ses espèces d’eau douce de cette dérive.

Daouda Emile OUEDRAOGO
daouda.ouedraogo@sidwaya.bf


Quelques chiffres sur la filière

Le Burkina Faso dispose d’un potentiel de 200 000 hectares d’eau de surface répartis entre les fleuves, rivières, mares, lacs de barrage et retenues d’eau exploitables pour la pêche et la production halieutique de façon générale. Les principaux supports de la production de poisson de nos jours sont les barrages de Bagré (21 000 à 25 000 ha), de Kompienga (16 000 à 20 000 ha), du Sourou (10 000 ha), de Dourou/Kanazoé (8 000 ha ) et de Ziga (7 000 à 10 000 ha). En valeur piscicole, hormis les grandes possibilités d’aquaculture intensive, ce potentiel peut atteindre 20 000 tonnes par an pour une productivité moyenne de 100 kg/ha/an réalisable en apportant des aménagements adéquats. La consommation moyenne de poisson à l’échelle du pays serait de 1,2 kg/pers/an pour l’année 2001 contre 15 kg en Côte d’Ivoire, 7 kg au Mali et 12 kg au Sénégal..

DEO

Source : DGRH

Sidwaya

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