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Union africaine : Cette poule mouillée

Publié le jeudi 3 juillet 2008 à 11h07min

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Rideaux sur le 11e sommet de l’Union Africaine à Charm-el-Cheick, au bord de la mer Rouge, en Egypte. Si donc la grand-messe des princes qui nous gouvernent a bien pris fin après un "ordre du jour chargé", la délicate question du Zimbabwe, sur laquelle on les attendait, elle, a été presque escamotée.

Et c’est tout goguenard que, comme à son habitude, le président Omar Bongo Ondimba, qui est réputé ne pas user de circonlocutions pour dire tout haut ce que bien de ses collègues pensent tout bas, ou, si vous voulez emprunter l’expression révolutionnaire à la mode dans les années 80 au Burkina, "qui appelle un chat un chat", n’a pas été en-deçà de ce qu’on attendait de lui.

C’est ainsi que, peu avant l’ouverture de cette rencontre des grands, le doyen des chefs d’Etat africains s’est écrié, avec cet air mi-railleur mi-sérieux qu’on lui connaît, même sur des sujets préoccupants en ces termes : "Nous avons accueilli Mugabe comme un héros. Il a été élu, il a prêté serment, il est là avec nous. Alors il est président".

Pour exceller dans la provocation, on ne pourrait faire mieux que celui qui, par abus de langage peut-être, reste, dans la mémoire collective, le doyen des chefs d’Etat du continent. Car on nous a appris, dans notre tendre enfance, que doyenneté rime avec sagesse.

Or ici, vous l’aurez constaté, le vieux locataire du "Palais du bord de mer" à Libreville, en applaudissant le coup de force électoral perpétré par Mugabe, n’a pas fait, à moins de donner un autre sens à ce mot, preuve de sagesse. A la limite, on l’aurait compris s’il s’était tu ou, à défaut de se soumettre à ce supplice, s’il avait tenté d’arrondir les angles, surtout que lui-même, en dépit de son côté charmant, est loin d’être un parangon de valeurs démocratiques.

Voilà un homme bien chanceux qui était, il y a de cela 41 ans, à la bonne place au bon moment : directeur de cabinet du président Léon Mba. Lorsque ce dernier tomba malade et succomba, Bongo hérita de tous les attributs de chef d’Etat, comme on ramasse une mangue mûre tombée d’un arbre, en prenant le temps de mettre hors d’état de nuire tous les éventuels prétendants qui pouvaient lui faire ombrage.

Ainsi, depuis 1967, à force de bâillonner l’opposition, de la mâter sans en donner l’impression, et de triturer la Constitution à sa guise, Ondimba est resté perché au sommet de l’Etat. Ainsi, le Gabon est devenu sa propriété privée et celle de ses proches, pour ne pas dire de ses valets.

Et quand on est dans un tel cas, comment ne pas vraiment trouver des circonstances atténuantes, voire applaudir à tout rompre la tragédie qu’écrit, en lettres de sang, Mugabe dans son pays ?

Mais, véritablement, si Bongo a eu le culot de s’exprimer, au nom de certains de ses pairs, il est loin d’être le seul à s’être satisfait de ce déni de démocratie qui a eu pour théâtre le Zimbabwe. Au bas mot, une bonne dizaine de nos gouvernants, qui sont arrivés au pouvoir dans des circonstances calamiteuses, et qui usent et abusent d’arguties constitutionnelles pour s’y maintenir, étaient de cœur avec lui, le sourire en coin, pour l’applaudir dans ses envolées scabreuses.

Qui peut nier que Zine El Abidine Ben Ali, qui, en dépit des grosses prouesses économiques réalisées par son pays sous son long "mandat", reste un des plus grands despotes du continent ?

Qu’Hosni Moubarak, en Egypte, Oumar El Béchir au Soudan, Teodoro Obiang Nguema en Guinée Equatoriale, José Eduardo Dos Santos et nous en oublions sont loin d’être des exemples en matière de démocratie ?

La seule éclaircie de cette scène bien triste pour le continent noir, qui s’est jouée à Charm-el-Cheick, c’est l’agréable constat que, à côté de ce club de présidents inamovibles, prêts à s’accommoder d’un Robert Mugabe, parti pour un cinquième mandat présidentiel, il existe d’autres dirigeants africains, arrivés au pouvoir à la régulière et qui mettent un point d’honneur à faire prévaloir dans leur pays un minimum démocratique.

Sont de ceux-ci le président Abdoulaye Wade du Sénégal, Seretse Ian Khama du Botswana, Umaru Yar Adua du Nigeria, lesquels ne se sont pas laissé divertir par les Bongo et Cie, en dénonçant en des termes peu amènes ce simulacre de présidentielle dans l’ex-Rhodésie.

En appelant dans sa résolution finale Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai à "entamer le plus rapidement possible un dialogue politique en vue de la formation d’un gouvernement d’union nationale", l’Union Africaine, cette poule mouillée, a fait encore, hélas, preuve d’équilibrisme sans pareil, en ratant une fois de plus le coche.

Bien d’observateurs avaient cru naïvement que, cette fois au moins, ce syndicat de chefs d’Etat taperait du poing sur la table, pour mettre Mugabe au pas et au ban de la communauté internationale... Mais, au lieu de le réprimander, au propre comme au figuré, on l’applaudit, une invite à sévir davantage contre la démocratie.

En appelant Mugabe à œuvrer à la formation d’un gouvernement d’union nationale, le Sommet des chefs d’Etat réunis à Charm-el-Cheick veut faire de l’exception kenyane une règle inscrite en lettres d’or à l’échelle du continent. On se souvient tous de la crise au Kenya par suite d’une élection opaque.

Et il aura fallu de longs mois de tractations diplomatiques et d’atermoiements pour en arriver à un partage du pouvoir entre Raila Odinga, nommé Premier ministre, et Mwai Kibaki, qui resta à la tête de l’Etat. Mais diable, quelle idée d’ériger l’exception kenyane en règle transposable au Zimbabwe ?

Mwaï Kibaki n’est pas Robert Mugabe, et le Kenya pas davantage le Zimbabwe. A Charm-el-Cheick, les princes qui nous gouvernent se sont contentés, une fois de plus, de replâtrage sans chercher à guérir le mal zimbabwéen à la racine. Et c’est un peu pour cela que ce 11e Sommet n’a été qu’une messe de plus.

Boureima Diallo

L’Observateur

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