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Nassourou Dicko, émir du Liptako

Publié le lundi 8 septembre 2008 à 18h39min

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Nassourou Dicko

L’émir du Liptako, Nassourou Dicko, est détenteur d’une écriture ésotérique. "Le Pays" a voulu en savoir plus avec l’intéressé. Le monarque, pour une des rares fois, a accepté de parler de cette écriture et de bien d’autres sujets concernant le Liptako. Il évoque aussi, dans cet entretien qu’il nous a accordé le 12 juin dernier, ses relations avec le maire de Dori.

Le Pays : Quelle signification revêt le titre d’émir ?

Nassourou Dicko : Le titre d’émir est connu dans d’autres contrées, généralement à pétrodollars. L’émir dirige un émirat, en tant que monarque.

L’émirat du Liptako serait né au XVIIIème siècle. Il s’agit d’un royaume peulh qui a été fondé par mon ancêtre Ibrahima Seydou en 1810 suite à une guerre contre le roi gourmantché, avec pour capitale Dori.

Vous savez que tous les royaumes trouvent leur origine dans un contexte plus ou moins romancé. La légende voudrait donc que nous venions du Mali (Macina). A l’origine, c’était deux frères qui se disputaient le trône. Finalement, on a nommé le premier fils. Le deuxième fils quitta le Mali en direction du bastion peulh de l’Adamawa, au Cameroun. Voilà comment on est parti avec tous nos biens et notre armée.

En cours de route, on est arrivé à Dori. Dori est un mot gourmantché qui veut dire ’’ l’autre côté de la rive ’’. C’était donc les Gourmantchés qui y régnaient. Mon ancêtre est allé voir le roi gourmantché pour signaler sa présence. C’était en 1709. Le roi a dit : "Cela tombe bien. J’ai des Peulhs dans mon royaume que je n’arrive pas à gérer. Je vous demande d’être le chef de tous ces Peulhs". Mon ancêtre est donc devenu le chef des Peulhs. De 1709 à 1810, tout allait très bien jusqu’à l’avènement d’un jeune roi gourmantché. Il commettait des abus. Lorsqu’une jeune fille peulh se mariait, elle appartenait auparavant pendant un mois au roi ; c’est une humiliation. Par ailleurs, pendant la saison agricole, les jeunes peulhs étaient employés de force dans le champ du roi. Ils n’étaient libérés qu’après les récoltes. Le chef peulh n’a pas supporté toutes ces humiliations et est allé voir le roi pour le lui dire. Ils ne se sont pas compris. Il se trouvait qu’une jeune Peulh qui venait de se marier a été amenée chez le roi. Mais elle a refusé et quand le roi s’est approché, elle lui a tapé la tête avec son gros bracelet.

Le roi s’est écroulé et elle a fui. On l’a cherchée partout en vain. Le roi lui-même s’est rendu au marché avec deux lances. Ironie du sort, la jeune peulh en question vendait du lait que le chien du roi est venu laper. Elle a alors tapé le chien avec un éventail, qui s’est mis à hurler. Le roi s’est retourné et a reconnu la femme en question. Il la fit raser sur -le-champ et sur sa tête incisée, on mit du tabac et du piment. Elle en est morte et son corps fut amené au palais. Le roi la fit piler et la donna à son chien. Mon ancêtre a dit qu’il peut accepter qu’on la tue, mais qu’on l’humilie au marché et lui réserve un tel sort, cela est inacceptable. Il a donc pris contact avec Ousmane Dan Fodio, roi de Sokoto, pour lui exposer la situation. Celui-ci l’invita à venir à Sokoto. Prétextant un pèlerinage à la Mecque, il est allé à Sokoto, au Nigeria. Ousmane Dan Folio lui remit un sabre portant des inscriptions et lui dit : "Si vous ne voulez pas des pertes de vies humaines, il suffit d’inciser le roi avec ce sabre. Si son sang touche la lame, vous la plantez dans le sol et les ennemis vont jeter les armes." Le chef peulh a donc remis le sabre à son frère, le chef de l’armée, qui alla trancher la tête du roi. Ce fut effectivement la débandade dans les rangs de l’armée du roi. Les féticheurs qui sont restés fidèles au nouveau monarque ont averti qu’une graine avait survécu, de laquelle sortiront d’autres rois gourmantchés. Il s’agit d’une jeune fille. On la retrouva après des recherches. On proposa de la tuer, mais le chef peulh s’y est opposé. Au contraire, il l’a épousée. Voilà comment le royaume s’est installé. Les émirs du Maroc et de Sokoto lui ont alors donné le titre d’émir du royaume de Liptako qui s’étendait jusqu’au fleuve Niger à Niamey et à Gao au Mali. C’est suite au découpage colonial de 1932 que le royaume a été démantelé en trois, avec une partie pour le Mali, une autre pour le Niger et le reste pour l’ex- Haute- Volta. Des différentes entités du royaume ont gardé des relations.

Quand on nomme un chef au Niger, on me consulte. Avec les Gourmantché, on a gardé les noms Dori, Kantchary, Kalsilga, Kola, en souvenir d’eux. Les Gourmantchés se sont repliés à Banni (paix en gourmantché). Mais ils furent repoussés à Bogandé, Fada et Kantchary. Il fallait maintenant peupler le royaume. On a fait venir des Barry, des Yarcés, des Mossis , des Haoussas, des Sonrais, qui sont co-fondateurs du royaume de Liptako. Il y avait des restrictions concernant les Gourmantchés mais, à partir de mon père et de ma personne, on leur donne des champs à nouveau.

Que représente aujourd’hui le Liptako ?

En principe, tous les Peulhs du Burkina Faso se reconnaissent en ma personne. Certes il y a les émirats de Djibo, Tongomaël, Baraboulé et Arbinda. Mais il faut savoir que ces émirs étaient installés par l’émir du Liptako. C’est le colonisateur français qui, par la suite, a procédé à un découpage nouveau, rattachant le cercle de Djibo au Yatenga.

Vous savez que le Conseil supérieur de la chefferie (dont je suis membre fondateur) a été constitué par les 7 grands rois du Burkina Faso.

On aurait installé le siège de l’autorité du Liptako-Gourma à Dori que ça aurait été en adéquation avec l’histoire et la géographie de l’espace concerné.

Avez- vous encore un pouvoir ?

Bien sûr que j’ai encore et toujours du pouvoir. A moins que je n’aie pas compris votre question. Sachez que j’ai été intronisé en 1960. J’avais 16 ans. Je suis donc aujourd’hui le doyen des chefs coutumiers et traditionnels, membres du CSCCT (Conseil supérieur des chefs coutumiers et traditionnels) de notre pays dont je viens d’évoquer la fondation.

Votre question est très importante. Dans le contexte où beaucoup de chefs coutumiers font de la politique aujourd’hui, on pourrait se demander si cela n’entame pas leur autorité coutumière.

En ce qui me concerne, j’ai fait de la politique. J’en fais toujours. A ce titre j’ai subi des revers et les rigueurs de certains régimes autant sous la première République que sous la Révolution. J’ai connu beaucoup de traversées du désert. Malgré tout, les populations du Liptako sont restées fidèles et attachées à leur trône. Je vous en donne l’assurance.

Quelles sont vos relations aujourd’hui avec Arba Diallo, le maire de Dori ?

Arba Diallo et moi entretenons des relations familiales. Je vous fais grâce des péripéties qui ont suivi les élections municipales à Dori. Mr. Arba Diallo a eu des difficultés pour animer la mairie. Aujourd’hui, ses problèmes sont en passe de trouver des solutions. Le maire et le conseil municipal doivent à présent se serrer les coudes pour travailler au bonheur de la population car en définitive, c’est ce qui compte le plus.

Arba Diallo apporte sa contribution comme moi-même jadis, aussi bien au Parlement qu’à la mairie de Dori.

L’émir que je suis attache une grande importance à l’union des actions et à la paix des cœurs pour le bonheur de Dori, chacun gardant bien sûr ses engagements politiques et ses convictions partisanes.

N’oubliez pas que j’ai apporté mon appui à Arba Diallo et non au PDS en son temps, même si, je dois l’avouer, j’ai été par la suite trahi.

Je le répète, nous sommes en train de dépasser les difficultés, et il ne faut pas avoir des propos qui en rajouteraient aux problèmes de la gouvernance municipale de Dori, même s’il ne faut pas l’oublier non plus, Arba Diallo est d’une culture politique différente de la mienne.

Vous êtes détenteur d’une forme d’écriture assez mystérieuse. De quoi s’agit-il ?

C’est exact. Il s’agit d’une écriture qui était en usage depuis nos ancêtres. Elle a été utilisée semble-t-il dans les cours des grands royaumes peulhs. Sa similitude quant à ses caractères lui font ressembler au hiéroglyphe égyptien. On a pu penser que cette écriture était utilisée pour les correspondances avec les pharaons d’Egypte.

En tout état de cause, les chercheurs et les universitaires devraient s’intéresser à ce phénomène.

La colonisation française en a décidé l’abandon de la diffusion dès sa découverte, lui trouvant un caractère secret voire séditieux. L’armée française qui est rentrée à Dori en 1891 et qui s’organisait à briser l’opposition du Mogho-Naba à son entrée à Ouagadougou, a suspecté cette écriture de véhicule de complot entre les souverains peulhs et mossis.

Les émirs successifs du Liptako ont reçu une consigne stricte du colonisateur d’en limiter l’usage à la communication entre le souverain, la reine et les princes.

Comment vivez- vous ce contexte de flambée des prix dans votre région ?

Le Peulh, en général, ne consomme pas de riz et de mil. S’il a son lait et sa viande, cela lui suffit. Mais on vit difficilement la situation de nos jours avec un sac de riz à 20 000 FCFA. En tant que roi, cela me fait de la peine de voire des gens dire qu’ils n’ont pas à manger. A Dori, certains ont voulu marcher contre la vie chère, je leur ai dit que le phénomène est mondial. Qu’il faudrait plutôt de la sagesse et de la prière pour le retour du bonheur au Burkina Faso.

Des réfugiés touaregs maliens affluent actuellement au Burkina Faso en passant par votre région. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas la première fois que des réfugiés maliens viennent au Burkina. La dernière fois, on les avait installés à 7 km de Dori. Et quand ils ont réglé leur problème, ils sont repartis. Ceux qui viennent d’arriver sont du Mali. Parce qu’il n’y a pas de problème touareg au Burkina. Depuis mon intronisation, j’ai travaillé à leur intégration .Le développement se fait de façon égalitaire. Les réfugiés sont effectivement originaires du Mali. Ce n’est pas de la médisance, mais le problème fondamental n’est pas celui de la répartition des richesses. En outre, les Touaregs maliens considèrent tout Noir comme un esclave. Il faut qu’on enlève cela de leur mentalité. Leurs frères de l’Oudalan ont compris cela.

Votre ville est un exemple de tolérance religieuse à l’échelle locale à travers l’Union fraternelle des croyants. Comment en est–on arrivé là ?

C’est à mon domicile, en présence du père Bidot (curé de Dori et de Diabaté Hama) que j’ai organisé une réunion pour jeter les bases de l’UFC. Cette réunion regroupait les musulmans, les catholiques et les protestants. Car c’est moi qui ai autorisé l’installation de l’Eglise à Dori. Je leur ai dit que nous croyons en un seul Dieu et qu’il fallait qu’on s’entende pour l’harmonie et la paix. Lorsqu’on a créé l’UFC, nous avons bénéficié de la coopération allemande pour la réalisation des locaux et des retenues d’eau au bénéfice de la population du Liptako dans son intégralité. Voilà comment l’UFC a démarré.

Comment conciliez-vous la culture occidentale acquise au cours de votre long séjour au Canada et vos responsabilités de chef traditionnel ?

Il y a quand même des difficultés. Je suis parti au Canada après mes études à l’ENAM sur proposition du président Lamizana. J’y suis allé pour 3 ans et après la licence, je suis revenu. Je voulais continuer mes études et après avoir obtenu une disponibilité, j’ai pu bénéficier d’une bourse ivoirienne de 1100 dollars grâce au président Houphouet. Parti pour 3 ans, j’ai fait plus de 30 ans. Après mes études, j’ai été engagé par des sociétés canadiennes. Comme le Peulh est nomade, j’ai eu tous mes enfants au Canada, si bien qu’ils ne parlent ni mooré ni peulh. Ils ont perdu leur culture d’origine. J’ai un franc–parler qui me crée des ennuis au niveau politique. On me bloque aussi au niveau des affaires parce que je dis haut ce que je pense.

Bien qu’étant au Canada, j’ai toujours assumé mes responsabilités politiques, morales, traditionnelles et spirituelles.

Par rapport à vos homologues du Golfe, vous êtes un émir sans pétrole. Comment vous vous en sortez ?

Notre richesse, c’est d’abord notre culture, l’ouverture d’esprit. Par exemple, dans les autres régions, il y a des problèmes entre Peulhs et Mossis, mais jamais à Dori. Tout simplement parce que tout roi du Liptako a l’obligation d’épouser une femme Mossi. La mère de mon grand-père est originaire de Zorgho ; mon père a épousé la fille du chef de Ponsa ; et moi ma femme est mossi de Ouahigouya. C’est cela notre richesse. Vous reconnaissez qu’il ne surgit pas au Liptako, comme cela arrive ailleurs, de conflits majeurs, fratricides entre les communautés peulh et mossi d’une part, et entre éleveurs et cultivateurs d’autre part. Autrement dit, depuis mon père jusqu’à moi, les communautés non peulh (mossi, gourmantché, yarga etc.…) ont pu accéder à la propriété de terres au même titre que les Peulhs. Deuxièmement, nous avons des animaux. Troisièmement enfin, on a le manganèse et l’or. Partout à Dori il y a de l’or. En ce qui concerne le pétrole, s’il existe au Niger, au Mali, au Tchad, il n’y a pas de raison qu’on ne trouve pas un filon au niveau du Liptako qui constitue la même bande géographique et géologique.

Tout dépend donc des moyens à mobiliser pour des recherches.

Vous représentez une société d’études canadienne. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Après mes études, le Canada m’a affecté en Afrique de l’Ouest. Nous avons fait beaucoup d’études de routes au Niger, au Bénin et au Burkina Faso à ma demande. C’est cette société qui a eu l’étude du projet Bagré ; je suis donc son représentant dans les autres pays. Je suis aussi le représentant de l’université canadienne Moncton pour toute l’Afrique. Au lieu de payer 38 000 dollars par an pour y étudier, par mon canal c’est 16 000 dollars. Bientôt, une équipe américaine viendra au Burkina parce qu’ils me font confiance. J’aime mon pays même si cela ressemble à l’histoire de l’enfant qui cherche à grimper un arbre et dont on tire les pieds.

J’ai une décoration au Canada de grand croix de l’Ordre de Malte.

Tous les grands chefs ont été décorés sauf moi. Cela viendra un jour peut-être.

Propos recueillis par Mahorou KANAZOE

Le Pays

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