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"Là où il y a la guerre, il y a l’échec" Raphiou Toukourou, président du CES du Bénin)

Publié le mercredi 12 novembre 2003 à 10h16min

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M. Raphiou Toukara est le président du Conseil économique et social (CES) du Bénin et également président des conseils économiques et sociaux et institutions similaires d’Afrique. Il est venu au Burkina pour prendre part à la première session ordinaire de l’année 2003 du CES du Burkina En marge des travaux, nous l’avons rencontré à son hôtel pour avoir son avis sur des sujets divers : la crise ivoirienne, la vie des CES, la résolution des conflits qui affectent la sous-région, etc.

Sidwaya (S.) : Pouvez-vous nous présenter de façon succincte, l’Union des conseils économiques et sociaux d’Afrique (l’UCESA) ?


Raphiou Toujours (E.T.) : L’Union doit théoriquement comporter tous les CES d’Afrique. Mais tous les pays africains n’ont pas un CES. Actuellement on en dénombre treize (13) qui sont membres de l’UCESA. Le Togo et le Niger ont prévu de mettre en place des CES et nous allons entreprendre des démarches dans les semaines à venir pour que ces pays puissent installer leur Conseil économique et social. Nous ferons en sorte que les pays qui n’ont pas un CES notamment les pays anglosaxonnes (sauf l’Afrique du Sud qui en possède déjà) puissent en avoir, car le CES de par ses attributions est une institution qui apaise et qui met les gouverneurs à l’aise. Tout ce qui est société civile est appelé maintenant à jouer un très grand rôle dans la prise de décisions, raison pour laquelle, la création d’un Conseil économique et social est nécessaire.

S. : Quelles sont les missions assignées à l’Union des conseils économiques et sociaux d’Afrique (UCESA) dont vous êtes le président ?

R.T. : Les Conseils économiques et sociaux ont des missions d’appui à l’exécutif. Les CES sont composés d’acteurs actifs de la vie économique et sociale.

Ce sont des hommes et des femmes qui ont des compétences nécessaires pour apporter un éclairage à l’exécutif.

Lorsqu’on regarde la situation des pays africains, on contate que le fossé qui existe entre nos pays et les pays industrialisés se creuse davantage. Alors le rôle des CES d’Afrique est ici prépondérant. Nous devons travailler à sortir nos pays de l’indigence. Nous avons le devoir de tout mettre en œuvre de façon solidaire, de façon individuelle et collective pour sortir nos pays de ces situations difficiles.

S. : Quelle est la place des CES dans un contexte où un peu partout en Afrique les organisations de la société civile sont de plus en plus dynamiques ?

R.T. : Les Conseils économiques et sociaux constituent ce que j’appelle la société civile en concentré. Les CES s’occupent des besoins fondamentaux en terme de réflexion. Notre rôle, comme je l’ai dit déjà, c’est d’apporter l’éclairage nécessaire à l’exécutif.

Les CES ont un rôle consultatif. Et je pense qu’il ne peut en être autrement pour éviter tout conflit d’attribution avec l’exécutif. Et comme je me plais à le dire "lorsque tout se passe bien c’est le chef de l’Etat et lorsque tout va mal c’est le chef de l’Etat" . Notre rôle en tant qu’institution constitutionnelle d’équilibre, ou organe officiel de la société civile, c’est de faire en sorte que le chef de l’Etat se trompe le moins possible.

Mais comme vous le savez, nul n’est infaillible. On nous appelle souvent institution de contre-pouvoir, d’aucuns disent contre-poids. Je crois que le CES n’est ni l’un ni l’autre. Le CES n’est surtout pas un contre-poids. Je n’aime pas non plus tellement pas l’expression un contre-poids.

J’estime que les CES servent de garde-fous même si je n’aime pas non plus le terme fou. Je dirais donc que les CES sont des institutions d’équilibre et d’appui . Nous avons un rôle très noble.

L’institution est constituée d’experts, de sages... Et comme vous le savez, dans nos traditions la sagesse est prépondérante. Les avis et recommandations du CES, sans être des paroles d’Evangile ou du Coran sont pris au sérieux par l’exécutif. C’est vrai que dans les CES chacun des membres à sa coloration politique mais on n’est pas membre du CES en tant que politique. On y est en tant que acteur actif de la vie économique et sociale. De ce fait, il n y a pas de raison que l’exécutif ne prenne pas aux sérieux les avis et recommandations du CES.

S. En tant que président du CES du Bénin et président de l’union des CES d’Afrique, quel regard portez-vous sur la situation de crise que connaît la Côte d’Ivoire depuis plus d’une année ?

R.T. : Le président du CES de la Côte d’Ivoire M. Laurent Dona Fologo a été désigné comme médiateur dans la crise ivoirienne. C’est vous dire que les CES sont également des institutions de dialogue. Lorsqu’il y a crise de toutes les institutions de la République, le CES est l’institution qui, en l’absence d’un médiateur officiel paraît la mieux placée pour jouer ce rôle. Parlant de la Côte d’Ivoire, le président Fologo a été désigné comme médiateur interne mais à chaque fois qu’il a l’occasion de le faire, il rencontre les chefs d’Etat de la sous-région pour parler entre autres de la situation difficile que connaît son pays. Tout récemment, il a rencontré le président Mathieu Kérékou du Bénin. Il a également mis à profit son séjour au Burkina pour rencontrer le président Compaoré. Lors de nos rencontres , nous envoyons un message de soutien au peuple ivoirien et nous appelons les autorités ivoiriennes à faire en sorte que la balle soit mise à terre. Voyez-vous , il n’y a pas de problème sans solution. L’essentiel, c’est la volonté et le dialogue. Lorsque le sens du dialogue et le sens patriotique prévalent, il ne peut y avoir de problème sans solution.

C’est connu de tous qu’il est facile d’allumer le feu, mais plus difficile de l’éteindre. Mais je dois vous dire que j’ai foi. Je pense que fort de nos mœurs, de notre sens profond de la famille, dans la solidarité, le problème de la Côte d’Ivoire trouvera une solution idoine.

S. : Avez-vous foi à la réunion qui se tient le 11 novembre à Accra sur la question ivoirienne ?

R. T. : Toutes les occasions qui vont nous permettre de nous réunir, de réfléchir, sont toujours un plus. Il y a quelque chose à tirer d’une rencontre de ce genre. Je crois que la réunion d’Accra sera inéluctablement un pas vers le dénouement de la crise en Côte d’Ivoire.

S. : S’il y avait aujourd’hui une réforme à faire au niveau du fonctionnement des CES quelles propositions ou suggestions feriez-vous ?

R. T. : L’Union des CES d’Afrique organisera au mois de mars prochain à Bamako une rencontre pour voir dans quelle mesure nous pourrons harmoniser les textes régissant les CES. Mais d’ores et déjà, je puis vous dire qu’il serait souhaitable que l’institution CES soit constitutionnelle. Il serait bon qu’une institution de cette importance soit prévue dans la constitution des différents pays. Cela donnera plus de poids et de force aux CES. Je suis convaincu crois que si la grande majorité des problèmes d’ordre économique et social d’un pays donné sont résolus tout le monde y vivra en paix. Le CES a une importance capitale. Il faudra donc aller dans le sens de son renforcement sur des bases constitutionnelles afin de sortir nos pays de l’ornière. Il faudra également mettre à la disposition des CES les moyens nécessaires pour qu’ils puissent correctement faire leur travail. Si le CES fait correctement son travail dans un pays, le travail de l’exécutif se retrouve allégé. Le CES se charge de déblayer le terrain. A la différence de l’Assemblée nationale qui regroupe les forces politiques d’un pays, le CES lui est l’assemblée des forces économiques et sociales d’un pays. C’est l’assemblée de la nation au travail. De par sa composition, c’est une assemblée d’acteurs actifs dans les domaines économique et social. Dans un gouvernement, on n’a pas toujours toutes les compétences. Mais au CES, on a un large éventail de compétences.

S. : N’est-il pas souhaitable qu’à l’avenir il y ait une plus grande implication des CES dans le règlement des conflits étant donné que sans paix, on ne peut parler d’économie et d’activités sociales ?

R. T. : S’il y a un bien qui est très précieux c’est la santé. La santé n’a pas de prix, elle est fondamentale. Après la santé, il y a la paix qui est le soubassement du développement économique et social. Pour qu’il y ait la paix, il faut qu’on fasse preuve de tolérance. Au-delà des aspirations, des ressentiments qui, quelquefois sont légitimes, la patrie doit être le mot clé des autorités. Lorsque le sens patriotique est aigu du côté des autorités, il y a des choses qu’on souhaiterait mais des choses qu’on lâche dans l’intérêt général, dans l’intérêt du peuple.

Les conseils économiques et sociaux sont des institutions de dialogue. Nous devons quel que soit ce qui arrive, faire le rapprochement entre les individus, (la société civile) et les autorités. Cela ne veut pas dire que nous nous substituons aux médiateurs, notre rôle c’est d’intervenir dans le volet social. Et c’est là que l’on comprend que l’économique et le social ne sont pas incompatibles ; ils sont étroitement liés. Mais à chaque fois que nous serons interpellés nous jouerons ce rôle de médiateur. C’est pourquoi, il faut tout mettre en œuvre pour éviter les conflits afin de préserver la paix, car là où il y a la guerre, il y a l’échec. Pour les pays en voie de développement ou encore pays pauvres très endettés comme les nôtres, où la pauvreté financière et matérielle est au centre, nous devons éviter de nous combattre pour avancer.

Je dirai donc que c’est dommage ce qui se passe en Côte d’Ivoire depuis deux ans. Au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Côte d’Ivoire constitue un maillon très important et représente 40% des produits intérieurs bruts (PIB) de l’Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA). Je souhaite alors que la Côte d’Ivoire retrouve la paix et la stabilité dont a tant parlé le défunt président Félix Houphouet Boigny pour réoccuper sa place d’antan au sein de la sous-région.

S. : Comment se porte le CES dans votre pays ?

R. T. : Le CES se porte relativement bien. Les relations entre nous et les institutions tels que le gouvernement, la cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale sont bonnes. Cependant nous avons l’impression, (c’est bien vrai que chaque pays fait la politique de ses moyens) que nos effectifs doivent être accrus. Nous sommes le CES, le plus squeletique du monde avec 30 membres. Nous pensons qu’à la prochaine mandature si tout se passe bien, nous pourrons porter ce chiffre à 45 ; et progressivement nous étofferons notre CES en ressources humaines. Nous n’envisageons pas atteindre les 90 membres comme le Burkina (le Bénin étant moins peuplé que le Burkina), car il faut être raisonnable et tenir compte des réalités, des moyens...

Interview réalisée par
Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA
Aline Verlaine KABORE

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