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Daniel Fra : "Les journaux burkinabè manquent de dynamisme commercial..."

Publié le samedi 26 juin 2004 à 12h12min

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Daniel Fra

Âgé de 40 ans, Daniel FRA est un journaliste diplômé de l’IUT de Bordeaux en 1985. Il a effectué l’essentiel de sa carrière en France dans la presse régionale et la presse professionnelle, notamment dans le groupe Ouest-France, qui possède le premier quotidien français, mais également des dizaines de titres locaux et spécialisés.

Il y a bientôt 10 ans, Daniel FRA été envoyé par une ONG de salariés de Ouest-France sur un projet d’appui à la presse écrite congolaise, à Brazzaville. Depuis lors, il s’est fortement intéressé au développement de la presse africaine après avoir également travaillé pour différentes ONG dans ce domaine. Au cours de l’année 2003, sa silhouette a été aperçue dans plusieurs journaux burkinabè où chaque fois, son passage s’est illustré par un changement au moins visuel de ces journaux. Nous avons donc cherché à savoir exactement sa mission et le travail qui était fait dans les différentes rédactions.

Vous avez parcouru presque une année durant les différentes rédactions de la presse burkinabè. Que faisiez-vous dans ces rédactions ?

Daniel FRA : J’ai travaillé au Burkina de février à septembre 2003, en passant quatre à cinq semaines dans les quatre quotidiens (L’Observateur Paalga, Le Pays, Sidwaya, L’Express du Faso) et deux périodiques (Journal du Jeudi et L’Événement). Les autres journaux burkinabè soit n’ont pas souhaité bénéficier du projet, soit ne remplissaient pas certains critères d’admission.

Ma mission a consisté à offrir à chaque rédaction une formation personnalisée, en priorité sur le secrétariat de rédaction et la gestion de l’entreprise. Il s’agit de formation in situ, dans les conditions de travail des journaux. Concrètement, il s’est agi de faire passer des pratiques plus professionnelles dans le quotidien de la rédaction, en travaillant chaque jour à côté des journalistes, non pas sous forme d’exercices déconnectés de la réalité, mais en travaillant sur le journal du lendemain (pour les quotidiens) ou de la semaine suivante pour les hebdos.

Dans quel cadre se situe ce projet ? Objectifs ?

D.F : C’est un projet conjoint Agence intergouvernementale de la Francophonie/ministère français des Affaires étrangères. Tout en étant coopérant français, je suis mis à la disposition de l’AIF.

L’idée de cette formation in situ est partie du constat que les formations classiques, opérées depuis 10 ans ou plus en faveur de la presse africaine, n’étaient pas suffisamment efficaces. Le principe du projet est donc de " reconnecter " l’action de formation au métier de journaliste. Précisément, nous avons choisi de faire porter l’essentiel de la formation sur les secrétaires de rédaction, dont la fonction est, en théorie, primordiale dans la bonne organisation d’un journal. Pour l’avoir pratiqué pendant plusieurs années, je sais que le secrétariat de rédaction est un pivot essentiel dans l’équipe rédactionnelle.

Après 8 mois de travail avec la presse écrite burkinabè, quelle est votre appréciation globale ? Les acquis ? Les insuffisances ?

D.F : Je suis par nature insatisfait de ce que je fais. Mon passage dans les rédactions à permis notamment d’améliorer la maquette, la mise en page, des quotidiens. C’est visible comme à L’Express du Faso, qui en avait vraiment besoin, ou au quotidien Le Pays. A Sidwaya aussi, nous avons travaillé sur une mise en page plus systématique, c’est-à-dire avec des règles de mise en page qui ne soient pas à géométrie variable. Globalement, il me semble que les secrétaires de rédaction sont maintenant plus attentifs, notamment sur la relecture des papiers.

Il y a aussi des acquis beaucoup moins visibles, qui portent sur l’organisation même de la rédaction. Tous les quotidiens maîtrisent un peu mieux, il me semble, le lignage des papiers ; c’est un préalable indispensable pour une mise en page moins improvisée, donc mieux maîtrisée. Enfin, et ça c’est pour moi la vraie réussite, on trouve un meilleur dialogue entre les services dans certains journaux.

Que suggéreriez-vous pour améliorer la presse écrite burkinabè ?

D.F : Je ferais humblement deux suggestions principales, même s’il pourrait y en avoir beaucoup d’autres. Primo, que les rédactions travaillent en équipe, c’est -à-dire où chacun sache ce qu’il a à faire et ou chacun prenne ses responsabilités. Cela demande aux responsables, aux chefs, des qualités d’organisateurs, d’animateurs, qu’ils n’ont pas toujours. Secundo, que les entreprises de presse fassent autre chose que produire des journaux.

Je veux dire par là que les journaux manquent de dynamisme commercial. Il manque de vrais " commerciaux ", qui sachent valoriser le travail des journalistes par leurs idées et leurs réflexes : faire des affichettes, faire des spots radio, initier des opérations spéciales… tout cela permettrait sans doute de conquérir, petit à petit, le public qui fait tant défaut aux journaux actuellement.

Votre point de vue sur l’état de la liberté de la presse au Burkina Faso ?

D.F : Je ne suis pas de " culture droit-de-l’hommiste ". Entendez par là que ni mes convictions, ni mon " mandat " actuel, ne me portent à défiler dans la rue dès qu’on fait les gros yeux à un journaliste. Mais je pense que la confrontation dynamique pouvoirs/presse est inhérente à la démocratie, et qu’elle s’exprime par des rapports de force. L’essentiel est qu’il n’y ait pas déséquilibre total. Au regard de cela, je trouve que la presse burkinabè dispose d’une relativement satisfaisante liberté de dire et d’écrire, notamment sur le champ politique.

Par contre, je suis parfois atterré par les contenus de certains papiers : insultes, affirmations non fondées, diffamation… Il faut aussi constater qu’une grande partie du contenu des journaux est constitué de compte-rendus de conférences de presse, de dîners-débats, de communiqués, de discours, de cérémonies officielles… C’est-à-dire d’articles dans lesquels les journalistes ont la liberté d’écrire… scrupuleusement ce qu’on leur demande d’écrire, puisque toutes ces manifestations sont plus ou moins rétribuées, selon divers canaux.

Je pense que si les journalistes osaient poser de vraies questions, s’ils essayaient de remettre en cause la " sauce " que les émetteurs d’information leur servent, s’ils apprenaient à donner à chaque information sa juste place dans leur journal (2 pages pour la remise d’une Mobylette par un sponsor ou une sortie de sous-secrétaire d’État, c’est tout de même beaucoup, non ?), ça ne ferait sûrement pas sauter la République à tous les coups, mais je pense que, là, la liberté de la presse aura gagné quelque chose.

Enfin, j’ai du mal à apprécier le phénomène de l’autocensure au Burkina. Mais il doit être grand, car comment expliquer qu’on n’ait jamais une ligne sur les questions de religion. Sur ce point, la liberté de la presse n’existe pratiquement pas (si l’on excepte c’est vrai quelques dessins de JJ) parce que la pression sociale est beaucoup trop forte.

Propos recueillis par Abdoulaye DIALLO
Centre National de Presse Norbert Zongo

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