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Telecel Faso : Me Françoise Toé se fait contester

Publié le mardi 17 juin 2008 à 11h14min

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Alors que les deux principaux actionnaires de la société de téléphonie mobile se battent, les employés tiennent un bras de fer avec l’administratrice provisoire. Parce que leur plate-forme revendicative traîne sur sa table depuis novembre dernier…

A l’issue d’une rencontre tenue par l’ensemble du personnel de Telecel Faso, le vendredi 23 novembre 2007, vingt-cinq points ont été retenus comme revendications. Vendredi 6 juin 2008, le cahier de doléances traîne sur la table de l’administratrice provisoire. Et l’Inspection du travail joue la médiation.

Nommée par la justice en janvier dernier, au soir même de la crise des actionnaires, Françoise Toé, administratrice provisoire, trouve sur son bureau la plate forme revendicative des travailleurs pour l’année 2007. Aussitôt elle se déclare incompétente à la satisfaire. Pire, le bonus sur l’atteinte des objectifs, octroyé chaque année pour récompenser la performance des travailleurs, est un temps mis en veilleuse, puis revu à la baisse, avant d’être finalement octroyé et utilisé comme " arme de division massive ". Ainsi s’engage le bras de fer avec le collège des délégués du personnel.

Chiffre d’affaires contraire au traitement des travailleurs

Vendredi 22 février, dans toutes les agences de Telecel Faso, les employés à leur tâche, portent des brassards rouges. Le lundi 25, Madame Toé adresse une correspondance aux délégués du personnel : "Le matin du vendredi 22 février, nous avons constaté avec stupéfaction que le personnel était en port de brassard pour, dit-on, protester contre le prétendu refus de la direction d’accéder à votre requête au paiement du bonus de l’année 2007 ", annonce la correspondance. "Votre demande est en cours d’examen malgré les difficultés que connaît l’entreprise et la situation d’administration provisoire dans laquelle elle se trouve".

Or selon les délégués du personnel, l’entreprise est plus que jamais en pleine forme. " …Nous demandons une régularisation : on veut avoir une carrière professionnelle. Parce que rien que pour cette année 2007, nous avons bien mouillé le maillot. Telecel Faso a connu une croissance jamais égalée. Et même sur le marché national, je puis vous assurer qu’aucun opérateur de téléphonie n’a eu la même croissance ni aucune filiale de Atlantique Telecom non plus. En termes de part d’abonnés, de chiffres d’affaires relatifs et de marché.", dément Rasmané Sankara, un membre du personnel. C’est donc tout naturellement que le personnel s’attendait à une récompense pour les efforts fournis, nonobstant le fait que l’entreprise soit passée sous une administration provisoire en janvier dernier.

Françoise Toé, l’administratrice provisoire avait promis pourtant d’être une courroie de transmission de leurs doléances auprès des actionnaires, notamment d’Atlantique Telecom, qui leur verse le bonus annuel. Et très curieusement, c’est au collège des délégués qu’elle s’en prend. "Elle nous reproche de vouloir saboter sa mission et ainsi donner raison à ses rivaux", affirme Hamidou, un membre du personnel.

" Ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi "

De couacs en couacs, les relations vont progressivement se détériorer entre la direction et le personnel. Le mois de mai se révèle particulièrement difficile. Dans ce contexte de tension générale, des affectations viennent renforcer le caractère suspicieux des relations. Jeudi 15 mai, une décision de l’administratrice annonce : "Monsieur Bonkoungou Oumar, précédemment directeur des ressources humaines et de l’administration est affecté à la Direction technique en qualité de responsable de la sécurité". L’intéressé avoue ne rien y comprendre. Il saisit le collège des délégués, par une lettre : " Dans un courrier de l’administratrice provisoire, en date du 15 mai à moi adressé et parvenu le 16 mai 2008, j’apprenais ma révocation et mon affectation (…) au poste de responsable à la sécurité ", écrit Oumar Bonkoungou. Or à ce moment là, il y avait une affaire de chèque de 65 millions disparu, qui animait les débats dans l’entreprise.

Dès la réception du courrier, les délégués ont contacté l’administration provisoire pour en savoir davantage. "Nous avions accepté de porter cette affaire devant l’administration, non pas pour savoir les critères de désignation des directeurs, mais surtout pour comprendre cette affaire de chèque émanant de Telecel se retrouvant entre les mûrs de l’Inspection d’Etat. Situation qui donne, à n’en pas douter, une image négative de notre société", font valoir les délégués. Mme Toé refuse de lier les affectations soudaines à l’affaire du chèque. Pour elle, les affectations sont commandées par "le besoin de sang neuf pour mener à bien sa mission" et elle ajoute, sans nuance, que "ceux qui ne sont pas avec moi, sont contre moi".

Pas d’AG avant 18 heures !

Vendredi 23 mai, les délégués envoient une demande d’autorisation pour la tenue d’une assemblée générale extraordinaire, trois jours plus tard à 15 heures 30, sous le hall du siège. Dans le "cadre des concertations permanentes sur les préoccupations de l’ensemble du personnel de telecel Faso ", précise la demande. A la suite de la demande, ils font une affiche pour informer leurs camarades de cette rencontre. L’administratrice ne reçoit cette demande que le lundi 26 mai. Elle n’est contente ni de la procédure ni de certains propos de la demande. " J’ai constaté ce matin 26 mai 2008, avec étonnement, une affiche du collège des délégués du personnel et qui m’a été transmise par courrier (…) traitant de mon prétendu refus d’autoriser la tenue d’une assemblée générale ce jour même ", observe Madame Toé, avant de poursuivre : " A aucun moment je ne me suis opposée à la tenue d’une assemblée générale de travailleurs. J’ai simplement souhaité que cela puisse se faire à partir de 18 heures pour ne pas perturber le travail "

Une Assemblée générale tenue sous haute surveillance !

Lundi 26 mai, il est 15 heures 30. Sous une garde minitieuse de plusieurs compagnies de vigiles, assez extraordinaire, les grilles du siège telecel sont fermées et pour cause : l’ensemble du personnel discute au sujet du réexamen de sa plate-forme revendicative, sur deux affectations, jugées arbitraires. Le directeur des ressources humaines, Oumar Bonkoungou, et le directeur technique, Claude Millogo, ont été affectés respectivement comme responsable sécuritaire et conseiller technique auprès de l’administratrice judiciaire provisoire, Françoise Toé.

Les travailleurs de Telecel Faso ont donc déserté pour plus d’une heure leurs postes de travail dans l’après-midi du lundi 26 mai. Le coordonnateur des délégués de Telecel Faso, Adolphe Sidibé, entouré de leaders, a rappelé l’historique de ce mouvement d’humeur consécutif à la non-satisfaction de la plate-forme revendicative déposée auprès de la direction générale en novembre 2007, et portant entre autres sur le paiement des heures supplémentaires aux agents. "L’administratrice judiciaire provisoire nous a fait comprendre qu’elle ne pouvait pas satisfaire nos revendications du fait de sa mission précise à la tête de la société", affirment les délégués qui disent ne pas comprendre qu’elle ait pu prendre les décisions d’affectations incriminées. Leur interlocutrice arguant seulement qu’il faut du sang neuf dans la société. C’est sur un ton assez dur que les uns et les autres se sont séparés après qu’un leader a demandé à tous de rester solidaires : "Rien n’arrivera à personne tant que nous resterons solidaires pour gagner la lutte..."

Un appel a été lancé afin que la direction revienne sur sa décision et examine au plus tôt la plate-forme revendicative. Interrogée dans son bureau après qu’elle a fait de multiples va-et-vient pour sommer les agents de regagner leurs postes, l’administratrice judiciaire provisoire, Françoise Toé, dit ne pas comprendre que des affectations suscitent pareil mécontentement : "Ecoutez, il s’agit d’affectations et non de sanctions. Toute personne qui a une mission doit se donner toutes les chances de la réussir. J’ai une mission judiciaire et s’il y a des gens qui traînent les pieds, il nous faut d’autres personnes. C’est une question d’efficacité." Elle dit être appelée à gérer la société "jusqu’à ce que les choses rentrent dans l’ordre", avant d’ajouter qu’elle a tout fait depuis son arrivée en janvier 2008 pour éviter qu’on lui mette des bâtons dans les roues. A propos du cahier des doléances, elle dit ne pas avoir les compétences pour les satisfaire

Sami Bruno Gniminou Sanogo


Telecel Faso : Le chèque de la discorde

En début mai, l’Inspection d’Etat débarque à Telecel Faso pour une histoire de chèque que le nouveau transitaire venu dans les bagages de l’administrateur provisoire aurait tenté de déposer sur son compte alors qu’il était libellé au nom de la douane. Cette intrusion inattendue panique la nouvelle patronne des lieux qui n’en " dormira pas deux nuits ". Quand elle retrouve ses esprits, ce sera pour s’en prendre aux "mouchards" de la maison. Coupable d’avoir alerté " les flics de la bonne gestion " contre une action manifestement malveillante. Ainsi commencent les nouveaux problèmes de Telecel Faso, la grande malade des sociétés de téléphonie mobile du Burkina Faso.

"Quand je suis arrivée et que j’ai vu les résultats de la maison, je n’ai pu m’empêcher de féliciter le personnel. Car malgré la situation difficile de la maison, ils donnent le meilleur d’eux ". Bien avant, c’est un des délégués du personnel qui nous explique comment pour l’année 2007, les travailleurs ont atteint et dépassé les objectifs fixés par deux fois. En septembre, les objectifs de l’année en terme d’abonnés et de chiffres d’affaires ont été atteints et il a fallu ré- fixer de nouveaux objectifs pour le dernier trimestre de l’année. Avant décembre, "nous avions atteints ces objectifs". C’est pourquoi dans notre plate forme revendicative, nous avions indiqué à la hiérarchie, qu’ "il n’était pas question cette année de nous contenter des bonus symboliques". "Nous voulions, nous aussi à Telecel Faso, à l’instar de nos collègues des autres Telecel, recevoir des bonus consistants, d’autant plus que nous étions la filiale la plus performante du groupe ".

De l’avis d’un délégué du personnel, le bonus servi aux agents burkinabè était de l’ordre d’un mois de salaire, alors qu’ailleurs, ce sont des millions que leurs collègues reçoivent. A titre d’information, la centaine environ d’employés de Telecel Faso font une masse salariale d’environ 30 millions de francs cfa, alors que les recettes journalières de la filiale font à peu près autant par jour. A titre d’information, l’administratrice provisoire est payée à 9 millions 5 cent mille francs par mois. A elle seule donc, son traitement serait le tiers de l’ensemble des traitements servis au personnel. Dans une telle situation, dans une boite qui gagne beaucoup d’argent et paye relativement mal son personnel, le climat de travail ne peut être au beau fixe. Ce ne sera pas le point qui va mettre le feu au poudre, mais il va l’envenimer suite à des actions inconsidérées de management de la nouvelle administratrice provisoire.

Une sanction pour mouchardise

Si c’était en Angleterre, le Directeur des Ressources humaines, Omar Bonkoungou, présumé coupable d’avoir dénoncé un prestataire extérieur qui tentait de gruger sa société, aurait été félicité et promu. En effet, là-bas, au pays de sa Gracieuse majesté, le système de "wisel blow" est institué pour protéger et récompenser les agents et les personnels qui, ayant eu connaissance d’une tentative de malversation, la dénoncent à l’autorité de contrôle. Au Burkina, le bien nommé "Pays des hommes intègres", c’est le contraire qui prévaut.

Les malheurs de Bonkoungou, jusque-là DRH de Telecel Faso, ont commencé parce que soupçonné par l’administratrice provisoire d’avoir dénoncé le nouveau transitaire de Telecel Faso, qui a essayé d’encaisser un chèque destiné à la douane. Convoqué le 15 mai, à la descente de travail, l’ex-DRH s’est entendu dire qu’on "allait le mettre lui et le directeur financier à la touche, en attendant que l’enquête interne et celle entreprise par le transitaire (sic) indique qui a été le mouchard". Une bien curieuse façon de respecter le sacro saint principe de la "présomption d’innocence". Mais elle a promis qu’elle les rétablirait dans leurs fonctions, s’ils étaient innocents.

Interrogée sur la question, Madame Toé a invoqué des raisons de secrets professionnels pour ne pas nous répondre sur la question du chèque. Elle soutient toute fois, que les affectations ne sont pas des sanctions. "c’est pour un besoin de plus d’efficacité". Quand on lui demande si les affectés constituaient les "maillons faibles de son dispositif", elle répond : "Ne me faite pas dire ce que je n’ai pas dit". Tout cela contribue évidemment à alourdir les suspicions, d’autant plus qu’elle n’arrive pas à expliciter une stratégie propre qui commanderait un réajustement des responsabilités au niveau de la boite. Même si cette stratégie existait, elle ne semble pas avoir été dévoilée au personnel qui a vu "dans ces convocations-affectations une insécurité de l’emploi et des fonctions". L’administratrice provisoire jure sur tous ses dieux, qu’il n’en est rien, sans convaincre véritablement. Elle aura en tout cas réussi, bien malgré elle, à créer les conditions de non réussite de sa mission, alors que c’est justement le contraire qui la hantait, elle, la disciple de Georges Bush : "celui qui n’est pas avec moi est contre moi".

Une accumulation des gaffes

Outre cette malheureuse affaire du chèque, l’administratrice provisoire a prêté trop le flanc à la contestation de son autorité. Dès sa prise de fonction, elle aurait fait main basse sur le véhicule de fonction de Telecel Faso, dont elle n’a pas droit. Ce véhicule utilisé, même familialement pendant les week end, des agents affirment avoir vu son conjoint le conduire, n’est rien d’autre en droit qu’ " un abus de biens sociaux " et qui dans les pays de droit, aurait automatiquement disqualifié Françoise Toé à poursuivre son administration. Aux dernières nouvelles, une décision de justice aurait ordonné la non utilisation dudit véhicule.

Autre action inconsidérée, elle aurait fabriqué, sur mesure, un marché de formation des secrétaires au bénéfice de la société de son conjoint. Françoise Toé aura donc réussi, en moins de cinq mois, à semer le doute dans l’esprit des travailleurs qui se demandent bien la mission exacte de l’administration provisoire. Est-ce pour siphonner financièrement la société, avant la décision définitive de justice, qui selon nombre de juristes, pourrait difficilement être favorable à Planor, l’actionnaire burkinabè, qui intente depuis 2005 un procès à ces autres co-actionnaires, dont Atlantique Télécom.

La dernière décision de justice favorable à Planor est considérée comme une monstruosité en droit. En effet, elle ordonne aux vis-à-vis de Planor de vendre leurs actions. C’est comme, explique un avocat, si la justice vous ordonnait de vendre votre maison alors qu’elle n’a ni été saisie, ni gagée.

En réalité dans cette affaire, expliquent ceux qui connaissent le dossier, Planor, qui n’a pas fini de payer ses actions, alors que ses partenaires se sont libérés de la totalité des leurs, est très mal placée pour adopter la posture qui est la sienne présentement. Mais en même temps, on se demande légitimement où est partie le prêt CNSS contracté justement pour acquérir ces actions.

Pour sûr, Telecel Faso, qui a une baraka extraordinaire (elle continue à progresser malgré la crise au sommet), n’a pas encore fini de faire parler d’elle. En octobre 2007, sa licence était presque retirée. Un membre de l’expédition de la dernière chance qui est allée rencontrer Tertius Zongo, en son temps, explique, que le Premier ministre avait été ferme avec eux. Il leur avait dit en substance : "Petits frères, pour moi, Telecel est derrière moi. La licence est retirée. La décision passe en Conseil des ministres mercredi prochain".

Ce retrait n’aura finalement pas lieu. Une décision de derrière minute a sauvé la société. Qu’est-ce qui a pu, entre temps, infléchir la position du Premier ministre ? Ce n’est peut-être pas une explication scientifique, mais elle vaut son pesant psychologique. Au secrétariat de l’administratrice provisoire trône une belle photo où l’on voit le président du Faso et son frangin posant avec quelques membres du staff dirigeant. Banale photo de circonstance ? Pas si sûr !

Par Newton Ahmed Barry

L’Evénement

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