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Faouzi Skali : « Le Wahhabisme est un mouvement dogmatique, littéraliste et totalitaire »

Publié le jeudi 5 juin 2008 à 10h41min

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La ville de Fès, au Maroc a accueilli du 17 au 24 avril dernier la deuxième édition du Festival de la culture Soufie, patronné par Sa Majesté Mohamed VI. Créée par Faouzi Skali, président de l’agence d’ingénierie culturelle « Par Chemins », cette manifestation annuelle qui rassemble les confréries de plusieurs régions du Maroc et celles d’autres pays (France, Sénégal) se veut un lieu de rencontre pour célébrer et diffuser la culture soufie. Au programme : expositions, débats, chants, concerts, peinture, calligraphie…

55 ans, Faouzi Skali a enseigné durant plusieurs années l’anthropologie à Paris et à Marrakech avant de se lancer dans la conception et de réalisation de « projets culturels porteurs de sens ». Au moment où quelques esprits se laissent encore séduire par cette prophétie de bazar sur le « choc des civilisations » à venir, quel peut être l’apport du Soufisme dans la recherche d’une paix perpétuelle ? Comment le soufisme peut-il contribuer à établir des passerelles entre les continents, les hommes et favoriser le dialogue des cultures dans le respect mutuel ? Quelle est la spécificité du soufisme par rapport aux autres spiritualités ? Explications.

Pour le néophyte, qu’est-ce que le soufisme et pourquoi un festival pour le célébrer ?

Pour dire les choses simplement, c’est une façon mystique de concevoir l’islam comme voie d’amour et de fraternité universelle. Le soufisme est un mouvement spirituel de recherche d’amour divin par la voie de la méditation. De la Turquie à la Malaisie en passant par l’Egypte, l’Inde, l’Afrique occidentale, le soufisme est un peu partout dans le monde musulman et inspire poètes, architectes, musiciens, bref des artistes d’horizons divers. C’est aussi une culture qui a produit un art et des chants à partir de poésies, une éthique de vie que l’on retrouve chez ceux qui pratiquent le soufisme. En Afrique noire, notamment au Sénégal, au Niger, au Nigeria, au Mali et au Soudan, les confréries telles que la Mouridja, la Tidjania jouent un rôle important à tous les niveaux de la vie économique et social. Le soufisme développe des valeurs de paix, de tolérance, d’acceptation de la diversité et coexiste avec les autres formes de spiritualités et de croyances
Mais curieusement, on parle très peu du soufisme et c’est la raison pour laquelle nous avons créé ce festival pour faire connaître cette culture qui est un patrimoine mondial extraordinairement riche. A titre personnel, j’ai de nombreuses publications en France sur le sujet et avec une dizaine de personnes travaillant à plein temps, nous assurons l’organisation de ce festival qui a une périodicité annuelle

En somme, c’est un courant de l’islam…

C’est la spiritualité qui se trouve au sein de l’islam et qui a pris le nom de soufisme à partir du IIe siècle en se répandant successivement à Bagdad, Damas, puis dans le Maghreb. C’est une sorte d’ivresse en Dieu par la parole et la fraternité. Il fallait donc un festival qui ne soit pas seulement musical comme ça existe au Pakistan, mais qui englobe l’ensemble du patrimoine soufie. En plus notre festival est sous le patronage du Roi, qui est le commandeur des croyants au Maroc, ce qui lui donne une importance considérable car on considère que le soufisme est un des éléments fondateurs de la tradition religieuse du royaume

Y a t-il un lien particulier entre le soufisme et la ville de Fès où se déroule le festival ?

Absolument ! La ville de Fès a toujours été imbibée de soufisme et a produit dans le passé de grandes personnalités spirituelles. C’est la raison pour laquelle nous avons commencé le festival par la présentation des manuscrits du soufisme qui se trouvent dans la bibliothèque de Qaraouiine, la plus ancienne du monde, car elle existe bien avant celle d’Al Azara en Egypte ou la Sorbonne en France. Dans cette bibliothèque, il y a des milliers de manuscrits qui constituent un immense patrimoine culturel pour nous et c’était très symbolique de commencer par là d’autant que cette année, le Maroc célèbre le 12e centenaire de la création de la ville de Fès et du Royaume.

Quelle est la différence entre soufisme, wahhabisme et sunnisme ?

Le wahhabisme n’est pas une spiritualité mais une sorte d’idéologie, un mouvement dogmatique, littéraliste et totalitaire. Tout le contraire du soufisme qui accepte l’altérité et on remarque d’ailleurs que les pays qui ont des traditions marquées par le soufisme sont des pays ouverts, même culturellement. Le wahhabisme n’intègre pas l’art, la poésie et si certains sont victimes du wahhabisme, c’est parce qu’ils n’ont pas encore intégré, ou pas suffisamment, les valeurs du soufisme dans leur culture. Le wahhabisme date du XVIIIe siècle et a surtout une caractéristique politique et une idéologie intégriste parce que ses partisans ont une lecture littérale du Coran. Le soufisme s’inscrit dans le sunnisme parce qu’il y a deux grandes écoles théologiques dans l’islam qui sont le sunnisme et le chiisme. Mais, il n’y a pas de doute, le sunnisme, c’est 90% du monde musulman et le soufisme est né dans le sunnisme.

En prêchant la recherche permanente de la spiritualité, le soufisme ne cultive t-il pas au fond, le mépris du corps ?

Pas du tout ! Le soufisme n’est pas l’ascétisme. Nous sommes dans le monde réel et recherchons le bonheur des hommes. Le soufisme est un authentique facteur de développement car en agissant sur la conduite des gens, il fabrique des gens de valeur, intègres et utiles pour la société. Dans le soufisme, c’est ce qu’on appelle la voie de la chevalerie spirituelle, c’est à dire, une noblesse de comportement dans la société. Le soufisme prône la générosité d’âme, la défense des plus faibles, la sincérité dans tout ce qu’on entreprend. Toutes ces vertus sont essentielles dans les corporations de métiers et servent de fondement à l’élaboration de chartes d’honneur. Le fait que les soufistes soient imbibés de spiritualité contribue à la grandeur de la civilisation musulmane.
Malheureusement, cette tradition a été un peu perdue et c’est ce qui explique le fait que l’islam soit aujourd’hui réduit à des idéologies politico-religieuses.

Propos recueillis à Fès par Joachim Vokouma
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