LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Daniel Kedem, ambassadeur d’Israël : "Le peuple juif a toujours tendu une main de paix à ses voisins arabes"

Publié le jeudi 5 juin 2008 à 10h49min

PARTAGER :                          

L’année 2008 marque les 60 ans d’indépendance de l’Etat d’Israël. Après les festivités commémoratives du 12 au 15 mai à Jérusalem, l’événement
a été célébré, mardi 20 mai à Ouagadougou en présence de plusieurs personnalités dont l’ambassadeur d’Israël auprès du Burkina Faso avec résidence à Abidjan (Côte d’Ivoire), Daniel Kedem.

Histoire du peuple juif et de la création de l’Etat d’Israël, perspectives de paix avec les voisins arabes, reprise des relations diplomatiques avec les pays africains, axes de la coopération bilatérale avec le Burkina Faso... A coeur ouvert, l’ambassadeur Kedem, jadis deuxième secrétaire de l’ambassade d’Israël à Ouagadougou, avant sa fermeture en 1973, passe en revue la politique interieure et exterieure de l’Etat hébreu.

Sidwaya (S) : Que faut-il retenir fondamentalement des 60 ans (1948-2008) de la création d’Israël ?

Daniel Kedem (D. K.) : Israël existe depuis plus de cinq mille (5 000) ans. Le 14 mai 1948 ne marque que son indépendance, la création de l’Etat juif. Ce n’est donc pas 60 ans d’existence, mais d’accession à la souveraineté nationale et internationale. Dans la Bible, le livre de la Genèse relate suffisamment l’existence du peuple juif sur la terre Sainte, la terre Promise. Ce peuple a été obligé de partir en exil avec la destruction du temple de Jérusalem.

Il y a trois mille (3 000) ans, le roi David a fondé le royaume d’Israël avec Jérusalem comme capitale.
Il sied donc de clarifier les notions d’existence et de création pour éviter toute confusion. La naissance de l’Etat moderne d’Israël, le 14 mai 1948, dont les 60 ans de déclaration d’indépendance sont célébrés cette année résulte d’une décision prise le 29 novembre 1947 par l’Organisation des Nations unies (ONU) pour partager la Palestine en deux (2) Etats : un Etat arabe et un Etat juif. Notre chef de gouvernement provisoire d’alors, David Ben Gourion a accepté le lopin de terre accordé au peuple juif. Malheureusement, les pays arabes n’ont pas accepté ce retour. Ensuite Israël a déclaré le 14 mai 1948 son indépendance, mettant ainsi fin à la tutelle britannique. Aussitôt, le gouvernement du nouvel Etat constitué, cinq (5) armées arabes ont lancé une attaque contre lui, pour jeter, selon leurs termes, son peuple à la mer. Heureusement, nous avons résisté et demeurons toujours sur notre terre. Ce bref rappel permet de cerner un pan de notre histoire. Le peuple juif a été en exil. Depuis son départ et dans son errance, il a toujours pensé à revenir sur la terre de ses patriarches. Même en exil, le peuple juif a toujours porté la terre de ses aïeux dans le cœur. Cette obsession du retour au bercail a été animée par toute une ambiance, une philosophie, une politique d’attachement de ce peuple au sol des aïeux. La théorie est devenue une réalité avec la création d’un Etat juif, deux mille ans plus tard. Le chemin parcouru de 1948 à nos jours a été semé d’embûches, parfois douloureuses. Mais une fois rétabli dans sa patrie, le peuple juif s’est battu pour s’assurer une place digne dans le concert des nations.

S. : Y-a-t-il des espoirs de paix entre Israël et ses voisins 60 ans après sa création ?

D. K. : L’hymne national d’Israël est intitulé "Hatikva", c’est-à-dire "Espoir" en hébreu. Le peuple juif est animé de l’espoir de voir un jour une paix durable s’installer entre lui et ses voisins. Pour y parvenir, il faut être humble. Israël a toujours tendu la main aux nations arabes dès la proclamation de son indépendance par David Ben Gourion. Il leur a proposé ceci : "Asseyons-nous et discutons. Négocions pour que les deux peuples (arabe et juif) puissent vivre en bonne intelligence. Chacun observant les réalités, l’indépendance, les perspectives de l’autre".
Ainsi, quand le président égyptien Anouar El Sadate a décidé de se rendre en Israël pour discuter de la paix après la guerre du Yom Kippour, il a été reçu en moins de 48 heures à Jérusalem. Il a prononcé un discours devant le parlement, la "Knesset", et la paix s’est installée entre son peuple et nous. Il en est de même avec la Jordanie quand le roi Hussein a décidé de mettre fin à la confrontation et permettre une meilleure cohabitation entre les deux peuples. Nous continuons à tendre la main à nos voisins palestiniens. Il faut nécessairement engager des négociations sans émettre des préalables, afin de permettre à chaque peuple de vivre dans des frontières sûres et reconnues, dans un climat de paix. Une telle situation engendrera la quiétude pour tous.

S. : Pourquoi les accords de paix signés jusque-là ont tous échoué et même les leaders comme Sadate et Rabin qui ont voulu les appliquer ont tous connu un destin tragique ?

D. K. : Dans les deux camps, arabe comme juif, il y a toujours eu des personnes qui sont contre la paix. Même si Anouar El Sadate et Ysak Rabin ont connu le même sort, tous deux assassinés, ce n’est pas pour les mêmes raisons. Ce sont les frères musulmans qui ont attenté à la vie de Sadate, parce qu’il a emprisonné des milliers de leurs membres. Cela a créé des problèmes internes en Egypte et engendré l’assassinat du président Sadate. Quant à Ysak Rabin, il a été tué par un extrémiste de droite. C’est la première fois depuis la création de notre Etat qu’un Juif attente à la vie d’un autre. Rabin était un faiseur de paix. Il s’est battu corps et âme pour instaurer cette paix entre nos voisins et nous. Aujourd’hui, l’Etat d’Israël continue dans cette recherche de la paix. D’énormes projets le lient dans ce sens avec les Palestiniens, les Jordaniens, les Egyptiens et bien d’autres comme les Syriens et les Libanais.

Nous voulons engager des négociations avec eux pour définir des frontières sûres et reconnues, offrant l’opportunité à chaque pays de se développer et aux enfants de mieux envisager l’avenir. L’horizon ne pourra s’éclaircir que par le développement. La guerre coûte chère et celui qui y est tué ne revient plus. Pour cela, il faut changer les mentalités pour éviter que quelqu’un ne s’insurge comme un remplaçant ou un conquérant du peuple. Bien au contraire, il faut aller vers les peuples et avec eux, développer ensemble pour le bien de tous. La paix établit un partenariat gagnant - gagnant. Il n’y a pas de perdant dans un climat apaisé. Le blocage des accords de paix s’explique en partie par l’existence de plusieurs groupes dans les territoires palestiniens. A côté du Fatah qui voudrait bien engager des négociations, il y a le Hamas aidé en armement et en idéologie par des individus intégristes et des pays extrémistes comme la Syrie et l’Iran. Ces derniers refusent la paix sous toutes ses formes. Leur désir est porté vers l’effacement, l’anéantissement de l’Etat d’Israël. Ils ne reconnaissent pas son existence. Evidemment, nous ne pouvons pas engager des négociations avec des individus ignorant notre existence et prônant le terrorisme. Lorsqu’ils parleront de paix, de développement, nous leur répondrons positivement.

S. : Comment expliquez-vous le miracle Israël, un pays parti de rien sur un territoire rocailleux et qui est parvenu à un tel niveau de développement en 60 ans ?

D. K. : Il y a plusieurs explications à cela, parmi lesquelles une très simple révélant le peuple juif dans sa plénitude. A l’humanité, il a donné un tout petit livre subdivisé en cinq (5) parties. Cet ouvrage est connu de tous, c’est la Bible.
Elle est écrite en hébreu et relate toute l’histoire du peuple juif d’il y a plus de cinq mille (5 000) ans. Dès sa parution, de grands rabins (des érudits) ont rédigé des commentaires à partir de son contenu. Ils ont essayé d’expliquer le "pourquoi" et le "comment" certaines actions ont eu lieu et à des périodes précises. Les Juifs ne se sont pas contentés du message, ils ont voulu comprendre son essence et sa portée sur leur destinée. Nous sommes toujours insatisfaits parce que nous nous disons que rien n’est encore complet, rien n’est encore parfait. Les Juifs veulent aller de plus en plus loin, monter de plus en plus haut. Pour ce faire, ils ont tout misé sur leur ressource principale : l’homme. Bien qu’Israël ne dispose pas de ressources naturelles, il est parvenu à se classer parmi les cinq (5) premiers pays dans le domaine de la technologie, de la médecine, de la science, de l’agriculture... Notre passion de découvrir a conduit à l’essor de la recherche, de la technologie et de l’innovation. Quand bien même un Israëlien est content, il se dit toujours que quelque chose manque à son existence ou à son œuvre.

Cette quête de la perfection a permis d’accomplir des prouesses dans plusieurs domaines. Israël veut aujourd’hui partager son savoir-faire avec le reste du monde, notamment avec le Burkina Faso. Notre chef d’Etat, Shimon Péres, n’a cessé de le répéter au président du Faso en indiquant la nécessité de combler le fossé entre les pays développés et les pays pauvres, car le monde est devenu un gros village. Il faut réduire les différentes fractures (sociales, économiques, technologiques) entre les peuples, pour éviter au monde un grand danger, celui de deux camps se regardant en chiens de faïence. Les nations riches doivent admettre qu’ils ne vivront pas paisiblement dans un environnement mondial marqué par le sous-developpement. Il faut absolument aider à résoudre les questions de la pauvreté et des dépendances. L’Etat d’Israël entend désormais cultiver les valeurs de solidarité tant à l’intérieur de son territoire qu’à l’extérieur du pays. Dans une volonté commune de se développer ensemble, nous allons mettre nos connaissances à la disposition des autres nations, sans rien leur demander en retour.

S. : Les Israéliens se considèrent-ils comme le peuple élu de Dieu investi d’une mission particulière dans le monde ?

D. K. : Tout homme sur terre peut se réclamer du peuple élu. Le problème est de prendre conscience de soi-même, de sa destinée et se convaincre, que l’on a une mission à accomplir ici bas, pendant son existence. La Bible dit que "chaque homme est fait à l’image de Dieu". Elle n’a pas spécifié si c’est l’homme blanc ou noir, l’homme gros ou maigre, le Juif ou tout autre peuple. La Bible indique de ce fait que : "Tout homme est l’égal de l’autre". La première qualité du Juif est sa conviction qu’il est l’égal de l’autre.
Cela a forgé en lui une mission envers ses semblables dans le monde. Ce n’est pas parce que le peuple juif est qualifié partout d’élu qu’il est au-dessus de tous les autres. Etre un peuple élu, c’est aussi supporter un fardeau, un poids et assumer le devoir d’aider les autres. Le peuple juif est mieux placé pour connaître la souffrance d’autrui. En deux mille (2000) ans d’exil, il a tout supporté jusqu’au génocide. Les peuples qui ont su tirer les leçons de leur souffrance dans l’histoire ont pu se donner un caractère de génie pour accomplir des miracles dans leur destinée. Voilà l’origine du miracle juif. Les Hébreux ont tant souffert qu’ils en ont tiré les moyens de leur épanouissement. Nous nous sentons aujourd’hui dans l’obligation d’aider les autres, notamment ceux qui vivent ce que nous avons connu par le passé.

S. : Quels sont les défis qui restent à relever en Israël ?

D. K. : Le premier défi se trouve à l’intérieur même de notre pays. Avec l’avancée de la technologie, de la libéralisation et de la mondialisation, des fossés sont apparus entre les couches de la population. Les Israéliens ont commencé un peu à perdre leur valeur de solidarité, le sens même de leur devise : "Tous les membres du peuple juif sont des frères". Aujourd’hui, il y a une classe riche et une autre pauvre. Un des défis de ce troisième millénaire est de combler ce fossé en retrouvant nos valeurs sionistes. Le deuxième défi, c’est de contribuer à l’avancée technologique dans tous les pays du monde, par le partage des connaissances. Israël a présenté à l’ONU une résolution sur le développement de la technologie agricole partout dans le monde.

S. : La crise politique et morale que vit Israël depuis deux (2) ans (les accusations de corruption portées contre certains leaders, notamment le Premier ministre, Ehud Olmert) n’entrave-t-elle pas la promotion des valeurs sionistes ?

D. K. : Ces problèmes intérieurs montrent à la face du monde la force d’Israël, sa spécificité politique, sa singularité juridique. Notre démocratie permet d’accuser même le chef de l’Etat, le Premier ministre ou les membres du gouvernement. Personne n’est au-dessus de la loi dans notre pays. Quiconque enfreint à la loi est mis sur le banc des accusés. C’est cela aussi la force d’un pays. Les Israéliens n’ont pas peur de dénoncer publiquement leurs autorités corrompues ou coupables de malversations. Des soupçons ont pesé sur un ministre, il s’est vu obligé de démissionner. Il est même allé en prison. C’est l’expression de la démocratie israëlienne. Nous n’avons pas peur de la vérité. Malgré les problèmes dûs à l’insécurité, l’immigration, la sécheresse, Ia démocratie israëlienne avance toujours. Au-delà des parlements, il y a la justice. Sans elle, il n’y a ni paix, ni cohésion sociale. Dans certains pays, même en Occident, quand un président ou un ministre commet une faute, tout est mis en œuvre pour tenter d’étouffer l’affaire. Ce camouflage ne marche pas en Israël. Nous voulons donner à nos enfants des exemples de probité et d’intégrité. Notre justice a même jugé des lois du Parlement contraires aux principes des droits humains et les a abolies. Le droit du citoyen est au-dessus de tout. Jusque-là, ce ne sont que des accusations qui ont été portées contre Ehud Olmert. C’est à la justice d’établir la véracité des faits à lui reprochés. Sans jugement, il reste innocent. Le dernier mot revient à la justice. En la matière, Israël se distingue aussi dans le monde.

S. : Comment situez-vous le rétablissement des relations diplomatiques entre Israël et de nombreux pays africains après plusieurs années de rupture ?

D. K. : La rupture est intervenue au moment où des Etats africains venaient d’obtenir leur indépendance. Ils étaient encore faibles sur la scène internationale. Ces pays ont subi des pressions de la part des pays arabes pour rompre leurs relations avec Israël. Le pétrole a été l’arme utilisée pour convaincre ces Etats nouvellement indépendants. J’ai moi-même vécu cette vague de ruptures diplomatiques en tant que deuxième secrétaire de l’ambassade d’Israël à Ouagadougou. C’est moi qui est procédé à sa fermeture. C’est le président de l’époque, le général Sangoulé Lamizana, qui a téléphoné pour rompre les relations. Il a bien indiqué que sa décision reposait sur des pressions extérieures et qu’il espérait nous revoir bientôt. A dire vrai, nous n’avons eu aucun problèmes à l’époque avec les Voltaïques. Il y a eu même des centaines d’entre eux qui nous ont accompagnés à l’aéroport. Certains ont même versé des larmes pour dire : "Revenez, car ce conflit n’est pas notre problème". Au moment du déménagement, un certain Sawadogo est venu nous demander de lui confier l’écriteau "Ambassade d’Israël à Ouagadougou" et le drapeau israélien pour qu’il nous le remette à notre retour. Aujourd’hui, c’est chose faite. Car petit à petit, les pays africains se sont aperçus qu’ils ont été trahis. Parce que l’aide promise par les pays arabes n’est jamais venue. Cela se voit même aujourd’hui avec la cherté de la vie.
C’est un phénomène lié principalement à la flambée du cours du pétrole. Or ce sont les pays arabes, très riches se réclamant amis des Africains qui ont cette manne. C’est pour cela qu’il faut bien réfléchir sur l’appellation "Peuples frères" et voir celui qui partage sans rien demander. Quand les Israéliens se rendent en Afrique, ils mettent leurs compétences au service du développement du continent. Nous recommandons fortement aux Africains stagiaires en Israël, de repartir travailler pour le bien de leurs populations.

S. : Comment s’est opéré le retour du Burkina Faso et quels sont les axes de cette coopération ?

D. K. : Il n’y a jamais eu de différend entre le Burkina Faso et Israël. La reprise des relations diplomatiques est intervenue en 1993 avec accréditation d’un ambassadeur avec résidence à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Les dirigeants burkinabè se sont rendus compte qu’Israël reste un pays frère avec lequel il faut rétablir les relations. Au-delà de cela, ils se sont aperçus qu’en rompant les relations, ils ont perdu leur indépendance : celle de penser et de refuser que quelqu’un d’autre leur dicte ceci ou cela.
Aujourd’hui, la vision des dirigeants africains s’inscrit dans leur souci d’opérer des choix judicieux pour le bien de leurs pays, sans recevoir des leçons de qui que ce soit. La force d’un homme d’Etat se trouve dans l’expression de son indépendance d’esprit. Et lors de sa visite en Israël pour les festivités du soixantième anniversaire de l’Indépendance de notre pays, le président du Faso, Blaise Compaoré, a promis revenir à Jérusalem. Il y effectuera effectivement une visite d’Etat en 2009. Notre coopération est très forte et très diversifiée.

Le Burkina Faso accueille des experts israéliens dans le domaine agricole. En collaboration avec l’association "El Shalom Atelier", nous avons ouvert une ferme agricole expérimentale à Loumbila. Ses retombées seront très bénéfiques à l’agriculture et au monde paysan. Le ministre de l’Action sociale burkinabè a effectué un voyage en Israël au cours duquel les deux pays ont également signé un accord dont la mise en œuvre se fera bientôt. Le programme d’activités 2008 - 2009 est déjà élaboré. Il y aura la construction de centres sociaux, l’envoi de Burkinabè en Israël pour se former sur les questions sociales, des experts israéliens viendront également ici au Burkina Faso. Notre coopération bilatérale s’étend également aux volets de la santé, de la communication... Les deux pays veulent ensemble regarder vers l’avenir.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs
joliv_et@yahoo.fr

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique