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Crise de la vie chère : Fausses opinions et vrais boucs émissaires

Publié le mardi 27 mai 2008 à 11h10min

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Il y a comme une loi sociologique immuable depuis l’antiquité. En temps de crise, le rationnel s’étiole pour s’évanouir dans les émotions impulsives. Rumeurs, colère, révoltes et violences font irruption dans la société. Des repères s’effondrent, des épouvantails se dressent brusquement au sommet des vagues des frustrations. Et des plus innocents deviennent des coupables immondes. La peur des lendemains difficiles a besoin d’exutoires. Bonjour alors les boucs émissaires, jokers de luxe dans un jeu de massacre où la frontière entre l’humanité et la bestialité est bien mince.

Voyez ce qui se passe en Afrique du Sud ces derniers jours ! Des quidams ont simplement pété les plombs, perdus les pédales dans une coulée de lave xénophobe. Conséquence, 42 morts, 300 blessés, 16 000 déplacés. Le Noir broie du Noir. Des pauvres brûlent des pauvres pour tout leur prendre y compris la vie. L’internationalisme prolétarien, pardon, panafricain qui permit aux Sud Africains de disposer des pays limitrophes comme ligne de front pour combattre l’apartheid est oublié, dissipé par les dures réalités de la vie. Des victimes et fils de victimes de l’apartheid sont impatients de voir pousser des emplois, des salaires, des logements modernes sur les gravas et les immondices de leurs bidonvilles. La vie chère depuis le début de l’année 2008 a ajouté sa part de bouillonnement à l’aigreur des déçus de l’Afrique du Sud post apartheid. Aigreur et bouillonnement se sont conjugués en haine des étrangers pique-assiettes. La théorie sartrienne, « l’enfer c’est les autres » a de beaux jours devant elle.

De fait, ce mauvais exemple sud africain est le dernier avatar du repli identitaire qui secoue les nations. Véritable contraste en pied de nez de la mondialisation, ce trait caractéristique du 21e siècle naissant, résume à lui seul toute l’ambiguïté de la modernité actuelle qui ruse avec ses propres principes référentiels : libre circulation des personnes et des biens, droits de l’homme, dialogue des cultures, etc. Mais notre sujet du jour n’est pas tant de dépeindre le hiatus entre les valeurs proposées en référence et la réalité quotidienne de notre époque. Nous sommes plutôt préoccupés par cette propension à diluer tout esprit critique dans la grisaille des temps difficiles. A ce propos, restons dans le sujet de la vie chère avec l’exemple du Burkina. Quand tout concourt à dire que la crise est mondiale, que nos pays pauvres sont quasi désarmés pour y faire face dans le court terme, il se trouve des intelligences supérieures pour affabuler sur les trésors cachés de nos ministres et autres pontes du pouvoir.

A en croire les « on dit » il y a des Crésus au Burkina dont les biens s’ils étaient saisis, résoudraient le problème d’augmentation des salaires, de subvention des céréales, de l’eau, d’électricité, de santé, bref le Burkina ne serait pas loin de l’eldorado, si et seulement si … En vérité, il ne faut pas croire que les quelques particuliers riches au Burkina, anciens comme nouveaux, le sont tous devenus par malhonnêteté, qui plus est, contre les intérêts de l’Etat et des citoyens. Il y a assurément, à propos de ce qui se raconte sur leur fortune, des affabulations nourries par les frustrations de ceux qui médisent d’eux. Affabulation n’est pas loin d’affolement. La première peut conditionner le second pour lever la pâte du mécontentement social, installer le ressentiment dans l’esprits des moins nantis contre les plus aisés en ces temps difficiles.

Les ingrédients ne manquent pas aux affabulateurs dans cette opération de séduction ou plutôt de subordination des esprits. Ainsi entend-on des histoires à dormir débout qui pourtant émeuvent. Tenez, n’avez-vous jamais entendu celles-ci : il parait qu’une bouteille de coca cola mise aux enchères dans une boîte de nuit à Ouagadougou a été adjugée à 400 000 CFA. Au profit de qui ? D’un fils de ministre, qui s’amuse ainsi avec l’argent quand des pères de famille n’ont pas de quoi nourrir leurs enfants. Et cette bouteille de whisky payée cash à 5 millions de FCA, encore dans une boîte de nuit de Ouagadougou ! En avez- vous entendu parler ? Cela fait belle lurette que l’histoire circule de bouche à oreille, défiant tout bon sens et jamais sans précisions de noms, de lieux ni de personnes impliquées. On en déduit qu’il y a beaucoup d’intox pour accréditer la thèse de gaspillage de ressources de la part de nos gouvernants. En ces temps de crise, cela peut faire mouche dans l’opinion.

A ce propos, Joseph de Maistre, homme politique, écrivain et philosophe français disait que : « les fausses opinions ressemblent à la fausse monnaie qui est frappée d’abord par de grands coupables, dépensée ensuite par d’honnêtes gens qui perpétuent le crime sans savoir ce qu’ils font ». Il a sans doute raison le grand homme et c’est au moment des difficultés de tout ordre que prospèrent ces caricatures d’Épinal. La vie ne sera jamais un fleuve tranquille pour les peuples, surtout ceux du Sud, mais gardons-nous de faire échoir devant les difficultés conjoncturelles, cette spécificité qui distingue l’homme de l’animal, la raison discursive.

Djibril TOURE

L’Opinion

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