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Guinée : Le Messie Kouyaté crucifié

Publié le jeudi 22 mai 2008 à 11h21min

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Fana Soumah, le journaliste de la RTG qui a présenté le J.T. de 20h30 de ce mardi 20 mai 2008, a débuté ledit journal par la fin de la session parlementaire avec le discours de clôture d’Aboubacar Somparé, l’occupant du perchoir. Puis, il passa à l’Agenda de l’encore Premier ministre, Lansana Kouyaté, qui a reçu en audience le Secrétaire général adjoint des Nations unies pour les affaires politiques, Hailé Menkerios ; et inauguré de nombreux monuments. Comme si de rien n’était.

Kouyaté savait-il à ce moment-là que son sort était scellé ? En tout cas, le 3e élément du J.T. a été la lecture du décret présidentiel le limogeant et le remplaçant dans la foulée par Ahmed Tidjana Souaré. Ça y est donc ! Ce que l’on redoutait est survenu, car à vrai dire, Lansana Kouyaté était depuis quelques mois déjà en sursis à la primature. Et même dès sa nomination en février 2007, suite aux injonctions des syndicats et de la rue.

Les clash entre la présidence et la primature ont débuté sitôt Kouyaté installé : le chef de l’Etat a d’abord attendu trois mois pour signer le décret de restructuration des cabinets ministériels. En effet, si le Premier ministre est doté de prérogatives spéciales (une première en Guinée) lui permettant de nommer les ministres, les sous-préfets et les directeurs, la décision finale revient à Lansana Conté.

Et celui qui affirme n’avoir peur que de deux choses : "Dieu et le tonnerre", ne manque pas de rappeler à Kouyaté que le maître, c’est lui. Un jour il le convoque au camp Sékou Toureya pour le sermonner, un autre jour ce sont des actions du Premier ministre qui sont purement et simplement remises en cause.

Cette guéguerre feutrée, puis frontale a atteint son paroxysme le 8 janvier 2008, après le limogeage du ministre de la Communication, Justin Morel Junior, à l’insu du Premier ministre. Face aux plaintes du chef du gouvernement, "Pessè" avait répliqué : "Faites brûler la Guinée avec vos syndicats. Je ne reviendrai pas sur ma décision, un ministre qui m’insulte doit quitter le gouvernement..."

Le 5 avril dernier, il enjoignait à Kouyaté d’annuler des contrats avec la Libye, lesquels avaient été signé par Kouyaté. Bref en dépit donc des tractations, en coulisses, des institutions républicaines, des syndicats, de la société civile et de certains chefs d’Etat, la rupture entre les deux têtes de l’Exécutif était imminente.

Comme nous l’écrivions dans l’Observateur paalga du 9 avril 2008, "Le Premier ministre Kouyaté peut s’en sortir... mais en n’oubliant pas que Conté lui rappellera quotidiennement qu’il est le seul maître à bord et que son congédiement ne sera rien de plus qu’un acte naturel de sa part" (1).

Il faut reconnaître qu’au-delà de l’ostracisme de Conté, fermé à toute critique, il y a le fait aussi que Lansana Kouyaté s’était mis dans les habits d’un futur candidat à la présidence.

En tout cas, son comportement n’était pas sans rappeler un certain Charles Konan Banny, qui avait, lui aussi, été imposé à Laurent Gbagbo par la communauté internationale. Pour certains analystes politiques, Kouyaté lorgnait le fauteuil présidentiel, ce qui, du reste, est légitime, lorsqu’on a atteint ce niveau de responsabilités. Mais sous nos tropiques, surtout dans la Guinée de Conté, cela s’apparente à un acte séditieux, voire à un crime de lèse-majesté.

Ce départ de Kouyaté est donc un non-événement pour celui qui tient le gouvernail de la Guinée depuis le 3 avril 1984. Mais en sera-t-il ainsi au niveau syndical, de la rue, et des partis politiques ? Certainement pas ! En renvoyant le Premier ministre de consensus, en le crucifiant ainsi, Conté met également fin à la relative accalmie qui régnait en Guinée et au modus vivendi qui prévalait entre le gouvernement et les syndicats.

Avec Kouyaté, les syndicats avaient exigé et obtenu que les ministres soient des hommes neufs, qui n’ont pas eu, par le passé, à exercer cette charge. C’est pourquoi d’ailleurs l’ex-Premier ministre avait mal digéré le remplacement de son ministre de la Communication par un affidé de Conté, le directeur de l’Agence de presse guinéenne, Issa Condé.

Or, à écouter le nouveau Premier ministre, on a la vague impression qu’il ne pourra pas rejeter certains ministres, qui seront imposés par son maître, pire : il n’est pas évident qu’il pourra mieux faire que son devancier immédiat.

D’abord il se refuse à toute comparaison avec Kouyaté et déclare vouloir "s’atteler aux chantiers chers aux Guinéens". Il dit par ailleurs vouloir poursuivre le changement, en lui donnant un contenu". Problème : le pourra-t-il avec un chef comme Lansana Conté ? Quels changements peut-il opérer si la réalité du pouvoir est à Sékou Toureya ou à Wawa (2) ?

Exemple : que fera-t-il des audits diligentés par les cabinets privés sur initiative de Kouyaté ? Des audits qui, soit dit en passant, ont révélé des malversations financières imputables au régime Conté. Certains pensent même que ce sont ces investigations qui ont précipité le renvoi de Kouyaté. Ces audits, d’ailleurs, à entendre Ahmed Tidjane Souaré, "ne sont pas une priorité pour un pays... d’ailleurs, il n’y a qu’en Guinée qu’on voit cela" (3). Est-ce à dire qu’il va y mettre un terme ?

La seule certitude, c’est qu’il n’est pas un chef de gouvernement de consensus, c’est l’homme de Conté, et, à ce titre, il débute avec des préjugés défavorables. Il a beau prétendre qu’il veut "combler le fossé entre l’Administration et les Guinéens, et entre les élites", il est évident que cela est plus facile à dire qu’à faire.

L’économie guinéenne est sous perfusion depuis des lustres, la vie chère est une réalité depuis des années au pays de Sékou Touré : à titre illustratif, le sac de riz de 50 kg se négocie au marché central, Madina, entre 150 000 et 180 000 francs guinéens (25 à 30 euros), et le chômage y est omniprésent...

Autant dire que l’équipe d’Ahmed Tidjane Souaré est attendue au tournant par Rabiatou Serah Diallo et Ibrahim Fofana, secrétaires généraux respectivement de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) et de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), qui ne manqueront pas de lui dire que "la Guinée peut prendre feu si les marmites pour bouillir la nourriture sont vides".

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana

Notes ;

(1) Conté pousse-t-il Kouyaté vers la sortie ? in l’Observateur paalga du 9 avril 2008.

(2) Depuis le coup d’Etat manqué en février 96, Conté vit entre le camp militaire de Sékou Toureya et son village, Wawa, à une quarantaine de km de Conakry.

(3) Sur RFI au journal de 6h30, édition Afrique du 21 mai 2008.

L’Observateur

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