LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Lancina Berthé, président du Comité interprofessionnel du riz du Burkina : "Le Burkina Faso a les moyens d’exporter du riz"

Publié le mercredi 21 mai 2008 à 10h56min

PARTAGER :                          

La pénurie du riz ordinaire sur le marché international a relancé le débat sur la promotion d’une riziculture nationale. Exploitant d’un périmètre rizicole à la vallée du Kou (l’un des plus grands centres de production à quelques encablures de Bobo-Dioulasso) depuis 1970, Lancina Berthé est président du Comité interprofessionnel du riz du Burkina Faso (CIR-B), cadre de concertation regroupant producteurs, commerçants, transformateurs et transporteurs intervenant dans la filière.

Tout en décrivant le paysage rizicole national, M. Berthé énumère les difficultés liées à la production du riz au Burkina Faso et ouvre des perspectives pour une relance de la filière à travers une exploitation conséquente des potentialités.

Sidwaya (S.) : Quelle est aujourd’hui la situation du riz local au moment où le riz importé se fait rare sur le marché ?

Lancina Berthé (L. B.) : Le riz local manque actuellement. La pénurie a commencé depuis fort longtemps. Même à Bobo-Dioulasso, les consommateurs vont jusqu’à la plaine de la vallée du Kou pour s’approvisionner en riz. Cette denrée se fait rare. La production locale ne couvre pas la totalité des besoins du pays. Elle est estimée à 100 000
tonnes en moyenne de riz paddy ces dix (10) dernières années. Ce qui représente le quart de la consommation nationale. Les principales zones de production sont : Bagré, Banzon, Douna, Karféguéla, Mogtédo, la vallée du Kou, la Vallée du Sourou. Ce sont les plus grands périmètres rizicoles au Burkina Faso.

S. : Les signes d’une éventuelle pénurie seraient visibles depuis 3 ans. Pourquoi n’avez vous pas au niveau du comité interprofessionnel du riz, pris des mesures pour accroître vos productions et prendre le dessus sur le marché au moment où le riz importé va manquer ?

L. B. : C’est vrai que sur le marché international, on voyait la pénurie venir depuis 3 ans. Mais au niveau des plaines rizicoles, le phénomène n’était pas tellement perceptible. Certains producteurs ont même abandonné la riziculture pour d’autres cultures comme l’oignon. Dans la vallée du Sourou aujourd’hui, la moitié des cultures est consacrée à l’oignon. Les signes précurseurs sont apparus lors de la présente campagne. La pénurie se ressent maintenant au niveau des grandes plaines. L’accroissement de la production dépendait des mesures d’encouragement jadis apportées aux producteurs. Comme il n’y a plus de débouchés pour l’écoulement, beaucoup de producteurs se sont découragés et sont allés vers d’autres spéculations. Cette pénurie vient susciter un regain d’intérêt pour cette spéculation. Nous allons redoubler d’efforts pour augmenter la production. Il faut résoudre le problème de l’insuffisance des périmètres aménagés dans le pays. Car les potentialités en termes de terres irrigables et exploitables en riz, sont estimées à plus de 500 000 hectares. Si l’on parvient à mettre la moitié de ces 500 000 hectares en valeur, l’autosuffisance en riz sera atteinte au Burkina Faso. Le pays pourra même en exporter.

S. : Le Burkina Faso dispose-t-il de moyens nécessaires, c’est-à-dire les potentialités (terres aménagées, producteurs qualifiés, outils de production) pour s’autosuffire ou réduire sa dépendance en riz importé ?

L. B. : Les superficies aménageables et exploitables, sont évaluées à 500 000 hectares. Seule une volonté politique peut accroître les espaces aménagés. Dans les périmètres déjà aménagés, l’on peut dénombrer plus de cinq (5) personnes connaissant bien la production de riz, exploiter une même surface restreinte. L’engouement à cultiver le riz est visible au niveau des producteurs. Seulement, les terres appropriées manquent énormément.

S. : Quels sont les principaux obstacles à la promotion d’une riziculture nationale ?

L. B. : Le problème majeur est d’ordre matériel. Ensuite, se posent les questions d’engrais, matière nécessaire pour la riziculture. L’engrais destiné au riz est spécifique. Jusqu’à présent, les producteurs utilisent celui destiné au maïs ou du coton. Ce qui n’est pas adapté ni approprié. Le rendement se trouve ainsi hypothéqué. Il y a aussi le problème d’eau sur certains périmètres. Dans les années 1970, plus de 1 350 hectares étaient exploités en riz à la vallée du Kou. Pour la présente campagne, à cause du manque d’eau, cette surface est ramenée à 700 hectares. Les 500 autres hectares sont restés inexploités. Ce problème est récurrent en saison sèche. Au Sourou, les difficultés sont liées au pompage. Les moto-pompes utilisées pour convoyer l’eau sont actuellement usagées. Ainsi, les producteurs sont limités dans leurs activités. Il y a aussi l’aspect de l’écoulement. Quand l’Etat gérait la Société nationale de commercialisation du riz (SONACOR), il mettait des préfinancements à la disposition des producteurs. Le problème d’écoulement ne se posait donc pas.

Depuis que l’Etat s’est désengagé, les producteurs n’ont pas en face d’eux un commerçant crédible qui a une assise financière de deux (2) milliards de F CFA par exemple pour acheter et organiser la commercialisation de la production nationale. Les producteurs sont obligés de se débrouiller avec les petits commerçants. Ceux-ci viennent acheter à compte goutte. Cela n’encourage pas les producteurs. L’alternative consiste à recourir à l’aide des femmes pour écouler la production. Or, l’exploitation d’un périmètre irrigué voudrait qu’en fin de récolte, après 10 à 20 jours, les producteurs puissent écouler leurs productions pour avoir la liquidité et reprogrammer une autre campagne. Depuis que l’Etat s’est désengagé, ce système a disparu. Ce qui fait que nous sommes confrontés à pas mal de problèmes.

S. : Les consommateurs reprochent au riz local sa cherté et sa qualité inférieure par rapport au riz importé. Quelles sont les actions entreprises par le CIR-B pour cultiver sur place les variétés étrangères prisées et améliorer la qualité de sa production ou réduire les coûts de production et les prix ?

L. B. : Le souci de l’amélioration de la qualité du riz produit a conduit à un partenariat entre le CIR-B et l’INERA (Institut national de l’environnement et de la recherche agronomique) pour trouver de bonnes variétés au goût des consommateurs. Pour inciter les populations à la consommation du riz local, le CIR-B est en train d’entreprendre des journées promotionnelles. Il envisage aussi des rencontres avec des partenaires ou de bonnes volontés pour accompagner les producteurs dans la culture de meilleures variétés de riz. Par exemple, Uniterra qui est un programme de la coopération canadienne (CECI et EUMC) appuie le CIR-B dans sa quête d’une production de qualité et une meilleure présentation du riz local dans les emballages. Beaucoup d’activités sont programmées dans le cadre de la qualité du riz.

S. : Le riz thaïlandais, indien ou chinois pourra-t-il être un jour cultivé ici ?

L. B. : Cela dépend des chercheurs en agronomie. Il y a des variétés qui ne s’adaptent pas au sol burkinabè. C’est à l’INERA de le déterminer.

S. : Au regard de la rareté du riz ordinaire, quel scénario envisagez - vous pour relancer la filière et encourager la culture du riz au Burkina Faso ?

L. B. : Le manque de riz sur le marché doit donner à réfléchir à tous les acteurs de la filière. Nous voulons rassembler tous les producteurs des différents périmètres, les commerçants, les transformateurs et les transporteurs dans un élan concerté de recherche des pistes de solutions. Le pays dispose d’énormes potentialités pour développer sa riziculture. Maintenant, il faut songer à l’organisation efficace et à une volonté politique pour accompagner les producteurs. Dès que tous les problèmes seront résolus en aval et en amont, la machine va marcher sans problème.

S. : Comment êtes-vous organisé au sein du comité interprofessionnel du riz et quels sont les rapports que ce comité entretien avec l’Etat ?

L. B. : Le comité interprofessionnel est un cadre de concertation composé de producteurs de riz, de commerçants, de transformateurs et de transporteurs. Les rapports avec l’Etat sont au beau fixe. Le comité interprofessionnel est associé à toutes les initiatives du gouvernement pour résoudre le problème du riz. Une rencontre a même eu lieu à cet effet hier (NDLR vendredi 25/04/08). Elle s’inscrit dans une série de consultations nationales pour résoudre la pénurie de riz ressentie actuellement. L’Etat a réaffirmé sa disponibilité à aider le CIR-B pour relancer la filière riz.

S. : Quelles sont vos attentes vis-à-vis du gouvernement et des partenaires au développement pour permettre à cette organisation de mieux jouer son rôle dans l’assurance d’une sécurité alimentaire au Burkina Faso ?

L. B. : Le CIR-B interpelle l’Etat sur le rôle qui est le sien dans la production agricole nationale. Si l’Etat arrive à soutenir convenablement les acteurs de la riziculture, tous les problèmes de la filière seront résolus. Que les partenaires au développement interviennent également pour aider à l’organisation des acteurs et soutenir leurs actions. L’Etat doit s’impliquer davantage dans la production nationale du riz pour accroître les aménagements et les rendements.

S. : Qu’est-ce que l’Etat envisage au cours de vos pourparlers suite à la pénurie du riz ?

L. B. : L’Etat s’est engagé à mettre sur pied un comité qui va recenser tous les problèmes rencontrés par les producteurs, chercher des solutions et prendre des décisions qu’il va présenter à l’Assemblée nationale.

S. : Le Mali a octroyé aux autres pays de l’UEMOA un espace aménagé pour la culture du riz dans la zone de l’Office du Niger. Quelle est la position du CIR-B sur cette initiative ?

L. B. : C’est une bonne initiative, une preuve de solidarité sous-régionale. Tous les Etats de la sous région doivent prendre l’exemple sur le Mali pour mieux appuyer leurs producteurs.

S. : Etes-vous prêts à aller produire au Mali pour le Burkina Faso ?

L. B. : Nous sommes prêts à y aller si l’Etat burkinabè donne son accord. Cependant, il serait louable que les mêmes opportunités soient offertes sur place aux producteurs burkinabè, afin de bâtir une agriculture compétitive pour leur pays.

S. : Le CIR-B a-t-il déjà effectué des visites dans d’autres pays pour partager leurs expériences en matière de riziculture ?

L. B. : Des producteurs de riz burkinabè ont eu à effectuer des voyages d’étude au Mali et au Sénégal. Les Maliens aiment consommer le riz produit dans leur pays. Les Sénégalais également. Une grande partie de la production est consommée localement. L’importation n’est pas prioritaire dans ces deux pays. Elle ne vient qu’en complément des besoins. Chez nous, c’est tout à fait le contraire. L’importation est mise en avant au détriment de la production locale.

S. : Quel message avez-vous à lancer à l’endroit de tous les acteurs de la production du riz ?

L. B. : La pénurie du riz sur le marché international peut jouer de mauvais tour à la nation toute entière si tous les acteurs ne s’impliquent pas activement dans la production du riz pour augmenter considérablement la production locale. Il ne faut plus compter sur les importations. Le Burkina Faso a la possibilité de produire du riz en quantité et en qualité. Si tous les acteurs de la filière prennent le taureau par les cornes ensemble, dans les 3 années à venir, le Burkina Faso pourra s’autosuffire en riz. Si la saison pluvieuse se passe bien, la production rizicole pourrait atteindre 200 000 tonnes de riz paddy cette année.

Interview réalisée par
Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr)

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)