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Poussi Ouédraogo, « rescapé » de la Crise Ivoirienne : Du commerce du cacao à l’élevage, il n’y a qu’un pas

Publié le mardi 27 mai 2008 à 10h48min

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Poussi Ouédraogo

Poussi Ouédraogo a fui la Côte d’Ivoire pendant la crise, pour s’installer en 2003 au Burkina Faso. Dans cette fuite, il a perdu une très grande partie de ses biens acquis dans sa plantation de cacao de 20 ha, de l’achat et de la vente de ce produit de rente. Aujourd’hui reconverti dans l’élevage où il tire tant bien que mal, son épingle du jeu, Poussi parle, bien sûr, de son parcours et des difficultés qu’il rencontre dans sa nouvelle passion.

Située à une vingtaine de kilomètres à l’Est de la capitale sur l’axe Ouagadougou-Fada, la ferme EVAD (Elevage de la volaille et d’animaux domestiques) s’étend sur environ un hectare. C’est là que Poussi passe le plus clair de son temps. La ferme est clôturée par un mur en parpaings. A l’intérieur, on y a construit trois grands bâtiments identiques qui abritent chacun mille pondeuses et deux autres de taille moyenne servant de logements pour des employés et de magasins pour stocker les aliments. Le tout est complété par un forage aménagé d’un abreuvoir pour les ruminants.

Le caquettement des poules frappe d’emblée le visiteur qui est tout de suite assailli par une multitude de petites mouches. Ces mouches mettent mal à l’aise celui-ci qui est obligé de les chasser par de fréquents petits gestes de main. Mais les habitués, eux, n’en ont cure.

Rien ne prédestinait apparemment cet homme, proche de la cinquantaine (il est né selon lui, en 1960 à Kaya, chef-lieu de la province du Sanmatenga dans la région du Centre-Nord) à l’élevage. Mais après son retour précipité de la Côte d’Ivoire en 2003 pour fuir les exactions nées de la crise où il a perdu une très grande partie de ses bien, il lui fallait trouver à tout prix une activité pour nourrir sa famille. Il s’est donc lancé dans l’élevage des poules avec le soutien et les conseils d’un docteur vétérinaire qui s’était lui aussi, établi dans ce pays. « Je n’ai jamais pratiqué l’élevage. Je ne m’y connaissais pas. C’est le docteur Sawadogo qui m’a aidé par ses conseils et son soutien afin que je puisse commencer... », indique Poussi.

Les banques refusent de prendre des risques

Aujourd’hui, il ne regrette pas de s’être lancé dans cette activité qu’il considère comme une nouvelle passion. Il lui a fallu y investir 40 millions de francs CFA de ses économies réalisées au cours de son séjour ivoirien. Mais, il déplore le refus des institutions financières de soutenir les éleveurs afin de leur permettre d’améliorer leur production. « Les conditions pour obtenir un prêt bancaire sont difficiles. J’en ai fait l’amère expérience. Pour avoir les éléments composant le dossier, c’est la croix et la bannière. Les services de l’administration devant fournir ces éléments peuvent vous faire marcher pendant des semaines. Lorsque vous les obtenez, les banques vous demandent une garantie que souvent, vous ne pouvez pas avoir. Les banques doivent accepter prendre des risques avec nous. J’ai déposé des dossiers dans plusieurs banques qui sont restés sans suite. J’ai même fourni des garanties estimées à environ 200 millions de francs CFA à deux d’entre elles qui en exigeaient pour seulement 15 ou 25 millions de francs CFA de prêt. Jusqu’à présent, aucune d’elle n’a réagi. Il faut avouer qu’une telle garantie suffit largement à convaincre n’importe quel banquier que le demandeur de prêt est quand même solvable. Dans l’une de ces banques, l’on m’a même dit que mon compte n’était pas assez mouvementé. C’est un peu léger comme argument pour me refuser le prêt... », soutient-il avec amertume.

Mais cela ne décourage pas Poussi. Au contraire ! Avec son directeur de production, Jean Bangré, un agent technique d’aviculture, il s’en sort assez bien. Les difficultés du début font peu à peu place à une maîtrise des techniques en la matière. « Au début, les poussins mourraient beaucoup. Maintenant, ce n’est plus le cas. Hormis le manque de moyens pour faire face aux différentes charges, surtout les aliments, je peux dire que ça commence à aller bien. Les aliments de la volaille coûtent cher. Il nous faut deux tonnes de maïs pour huit jours à raison de 246 000 francs CFA, la tonne. Un rapide calcul nous donne huit tonnes dans le mois, soit 1 968 000 francs CFA. Ce n’est pas facile mais on se débrouille... », souligne-t-il.

Autre difficulté à laquelle Poussi fait face, c’est la disponibilité de certains produits entrant dans l’entretien des poules. « La maison d’aviculture n’a pas souvent certains produits sur place. Et lorsqu’il y a rupture, cela nous crée un préjudice. Outre cet aspect, la maison d’aviculture chargée de nous apporter un appui-conseil ne joue pas très souvent son rôle. Elle peut faire des mois sans passer chez nous... », relève le directeur de la production, Jean Bangré.

Le soutien de l’Etat fait défaut

Face à toutes ces difficultés, Poussi souhaite que l’État leur vienne en aide. « Nous ne voulons pas que l’État nous apporte gratuitement cette aide. Mais, il peut à la limite, nous aider à avoir facilement accès aux crédits ou créer une banque des éleveurs. Par ailleurs, nous n’avons pas encore reçu une visite des autorités du ministère des Ressources animales. Pourtant, le ministre a effectué des sorties dans les fermes autour de la capitale sans faire un tour chez nous. Une visite du ministre nous aurait donner un peu plus de courage... », souligne-t-il. Sa ferme est située dans la zone où la grippe aviaire s’est signalée dans la région du Centre. « Nous avons reçu la visite des techniciens qui nous ont dit qu’ils allaient procéder à l’abattage systématique des poules. Puis, ils se sont ravisés par la suite en optant pour le traitement de la ferme. Pendant au moins sept mois, nous n’avons pas vendu un seul oeuf parce qu’on nous l’a interdit. Nous n’avons reçu aucun dédommagement comme il était prévu. Nous avons donc subi une perte énorme... », confie-t-il, triste.

Lorsque nous lui demandons de nous raconter son parcours, il reste pensif un bout de temps. Et, finalement il dit qu’il est parti en Côte d’Ivoire en 1978. « C’était pour imiter les jeunes de ma génération qui y allaient à la recherche du bien-être. A l’époque, on était vraiment démunis... », note-t-il.

Au pays de feu le président Félix Houphouët-Boigny, Poussi a commencé, selon ses dires, par de petits boulots pour survivre avant d’opter pour le travail de la terre. Il a débuté comme manœuvre avant d’avoir sa propre plantation de cacao qu’il a agrandi progressivement pour atteindre une superficie de 20 hectares. Il fait alors venir des membres de sa famille pour l’appuyer dans l’exploitation. Petit à petit, il se désengage pour se consacrer à une autre activité : l’achat et la vente du café et du cacao. « C’était devenu ma principale activité... », soutient-il. Ses activités tournant vraiment bien, il a été obligé d’employer de nombreuses personnes. « J’ai acquis beaucoup de choses. J’ai pu, par exemple, acheter au moins une vingtaine de camions-remorques... », affirme-t-il. La vie suivait ainsi son cours normal lorsque survint en 2002, la crise. « J’ai été contraint à fuir en 2003 avec ma famille pour revenir au Burkina. J’avais au moins cent personnes à ma charge qu’il fallait évacuer. J’ai fait venir 40 membres de ma famille par avion parce qu’il était très difficile de rentrer au Burkina par la route.

Dans cette fuite, j’ai perdu presque tout. Je n’ai pu amener au Burkina que trois camions. Je ne sais pas ce qu’est devenu le reste. J’ai appris que certains sont en panne... », dit-il. Depuis, Poussi n’y est plus retourné, mais certains de ses frères y sont repartis pour s’occuper de la plantation. « J’ai aujourd’hui à ma charge au moins 200 personnes. Moi-même, j’ai quatre épouses et treize enfants. A eux, il faut ajouter les familles de ceux qui sont repartis. C’est pour les nourrir que je me suis lancé dans l’élevage grâce à une petite économie que j’ai pu réaliser. Mais le peu que j’avais est épuisé... », explique-t-il. Il faut retenir qu’à côté de la volaille, Poussi élève également des bovins et des petits ruminants estimés respectivement à une soixantaine et une centaine de têtes.

Etienne NASSA
Issiaka DABERE

Sidwaya

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