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Chrisogone Zougmoré, président du MBDHP

Publié le lundi 5 mai 2008 à 11h45min

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Chrisogone Zougmoré

Pour être discret et ne pas faire dans le spectaculaire, Mr Chrisogone Zougmoré n’en est pas pour autant un homme insipide, sans caractère. Ce serait mal le connaître. Au contraire, sa force comme sa crédibilité, il les tire d’une certaine frugalité qui garde intacts son jugement et l’art d’aller à l’essentiel, sans succomber au subjectivisme et aux passions, à la volonté de paraître qui nuisent tant aux représentations dans notre pays, qu’il s’agisse du secteur étatique, partisan ou de la société civile. Vous en jugerez par cet échange, qu’il a accepté avec nous, et qui est loin de passer inaperçu.

San Finna : Veuillez vous présenter à nos lecteurs, s’il vous plaît

Mr Chrysogone Zougmoré (C.Z) : Je suis Chrysogone Zougmoro, juriste, formé à l’université de Reims Champagne Ardennes en France. Bien évidemment, comme tout bon étudiant à l’époque, j’ai milité au sein de l’Association des étudiants voltaïques en France (AEVF) qui m’a également formé. Je suis membre fondateur du MBDHP créé le 19 février 1989. Je travaille exclusivement pour le Mouvement depuis 1992. J’ai été élu président du MBDHP le 20 octobre 2007. Je suis marié et père d’un enfant.

San Finna : Est-il facile de succéder au bien connu Halidou OUEDRAOGO ?

C.Z : Le président Halidou OUEDRAOGO a dirigé le MBDHP pendant dit huit (18) années. Durant son mandat, le Mouvement a été saisi de nombreux dossiers de défense des droits humains qu’il a su gérer et faire aboutir, avec le courage, la détermination et parfois même, la témérité qu’on lui connaît. C’est pour toutes ces raisons que le 4ème congrès tenu en octobre dernier l’a élevé au rang de premier président d’honneur du MBDHP. Cela dit, il a également pu bénéficier du soutien d’hommes et de femmes de confiance pour réussir sa mission. En tout cas sa riche expérience engrangée ces années durant sert et inspire à la fois nous autres qui avons eu le privilège d’évoluer à ses côtés.

Comparaison n’étant pas raison, cela ne fait que six (6) mois que je suis à la tête du MBDHP. Facile ou pas facile, je pense qu’à l’heure du bilan, l’important serait plus de savoir, non pas ce que j’aurais fais de plus ou de moins que Halidou OUEDRAOGO, mais si, avec mes camarades membres du bureau et l’ensemble des militants du MBDHP, nous nous sommes investis comme il se doit pour la cause des droits de l’homme au Burkina et dans le monde. C’est cela le plus important de mon point de vue.

San Finna :Quelles sont les raisons qui vous ont amené à militer pour la cause des droits humains ?

C.Z : Vous savez, tous autant que nous sommes, militons un tant soit peu pour la cause des droits humains. Chacun au moins milite ne serait-ce que pour la cause de ses propres droits. C’est vrai, il y en a qui en font une passion, un sacerdoce. C’est un peu notre cas, mais nous ne sommes pas les seuls, ni des super hommes.

Personnellement, de par mon éducation puis par choix et conviction personnels, j’ai été très tôt attaché à des sentiments et vertus cardinales tels la justice et l’équité, la solidarité et le partage, l’amour du prochain et la compassion pour les faibles et les démunis. Mon père était infirmier. Vivant généralement dans l’enceinte ou à proximité des dispensaires où opérait mon père, mes yeux d’enfant ont vu des situations de détresse qui m’ont fortement marqué et m’ont davantage amené à compatir aux souffrances des autres.

Très sincèrement, l’injustice, l’arbitraire, les abus d’autorité et de pouvoir me révoltent au plus haut point. Vraiment je n’aime pas ça.

San Finna :Quel est l’état des droits humains au Burkina Faso par rapport aux autres Etats de la sous région ?

C.Z : En matière de droits humains, l’on ne saurait se satisfaire de ce qui se passe chez soi, après avoir regardé chez le voisin. Du reste aujourd’hui, tous ces pays de la sous région sont en crise, ne serait-ce que du fait des conséquences du phénomène de la vie chère, qui violent les droits économiques et sociaux et réduisent des millions d’africains à l’état de sous-hommes, incapables de se nourrir, de se soigner, de se loger, de s’éduquer convenablement. Il est aussi vrai que parmi ces pays auxquels vous faites référence, il y en a qui sortent péniblement d’un état de décomposition avancé, comme le Libéria et la Sierra Léone. Il y en a qui ont des problèmes spécifiques, comme la Côte d’Ivoire, dont la sortie de crise ne finit pas de durer ; le Mali et le Niger avec la résurgence de la question touareg, le Bénin, avec une tension politique ambiante en cette période de fièvre électorale, etc.

Même en considérant ce tableau d’ensemble peu reluisant et en prenant en compte tout cela, l’on ne saurait aujourd’hui se satisfaire de la situation des droits humains chez nous au Burkina, parce que justement nous sommes, petit à petit, en train de semer les germes de crises sociopolitiques aiguës, avec la paupérisation grandissante et aggravée de larges couches de nos populations des villes et campagnes, l’impunité de nombreux crimes de sang dont l’odieux assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons, la perversion du jeu démocratique par la fraude, la corruption électorale, les abus de pouvoirs et d’autorité, bref l’impossibilité de fait d’un changement véritable. Une appréciation intelligente de l’état des droits humains chez nous commande que nous tirions ainsi à nouveau la sonnette d’alarme sur la situation de crise que vit en ce moment notre pays. A chacun donc (acteurs politiques et de la société civile) de prendre ses responsabilités.

San Finna : Le Burkina vit depuis quelques temps une situation de crise consécutive à la cherté de la vie. Quelle analyse faites-vous de cette situation ? Les causes sont-elles exogènes ou endogènes ?

C.Z : La situation de crise ne date pas d’ il y a quelques temps comme vous le dites. Elle se vit depuis des années, et particulièrement depuis l’odieux assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons d’infortune. Rappelez-vous les grandes manifestations de la fin des années 1990 qui réclamaient la lumière sur ces assassinats et mieux, portaient comme élément de revendication fondamentale, un changement profond dans la conduite des affaires de l’Etat et un assainissement de la vie et des mœurs politiques et sociales. Relisez le rapport du Collège des sages qui déjà à l’époque, en 1999, procédait à une analyse objective de la crise structurelle du système aux plans politico administratif, socio économique et ethnique et faisait des recommandations pertinentes et courageuses. La réalité, c’est qu’à ce jour aucune de ces recommandations n’a jamais connu le moindre début d’exécution et cela, par la faute du pouvoir de la 4ème république qui les a royalement ignorées et a au contraire, davantage promu l’impunité en mettant le pouvoir judiciaire sous ordres ; qui a davantage pollué la marche des affaires en laissant se développer la corruption, les trafics d’influence, les abus de position dominantes, etc. La question de la vie chère qui défraie aujourd’hui n’est donc pas un phénomène isolé. C’est une des nombreuses manifestations de l’approfondissement de la crise que vit aujourd’hui notre pays.

Sur cette question de vie chère en particulier, il est vrai qu’on ne peut pas nier les facteurs externes qui en sont à l’origine, tels la hausse des cours et le renchérissement du coût des matières premières, le prix de l’énergie qui se répercute sur toute la chaîne de production alimentaire (de l’engrais à la récolte, au stockage et à la livraison), les stocks qui se vident et l’offre qui n’arrive plus à répondre à la demande, etc. Mais il est facile et confortable de ne s’en tenir qu’aux causes et facteurs externes pour justifier la flambée des prix et fuir ses responsabilités comme tentent de le faire la plupart des gouvernements africains. Car, la flambée des prix a également et surtout des causes d’ordre interne. Chez nous ces causes sont entre autres l’inexistence ou la non opérationnalité des structures de contrôle de la qualité et des prix des produits de grande consommation, les octrois abusifs de monopoles sur l’importation de certains produits de grande consommation comme le riz et le lait, la non effectivité du principe de la concurrence, le laxisme face à certaines pratiques frauduleuses du fait de collusions coupables entre milieux d’affaires et certains hommes au pouvoir ou proches du régime en place, l’impunité de cas de fraudes ou de corruption avérés, le peu d’efforts fait dans la promotion, la transformation et la consommation de la production locale. C’est tout ça aussi qu’il faut considérer pour comprendre et apprécier objectivement la situation.

San Finna : Les différentes mesures prises par le gouvernement pour tenter d’y faire face vous paraissent-elles suffisantes ? Sinon, qu’aurait-il fallu faire ?

C.Z : Ne soyons pas plus royaliste que le roi. Pour le gouvernement lui-même, il s’agit de mesures transitoires et donc précaires et révocables puisque prises dans la précipitation, sous l’effet de la chaleur des manifestations de rue des 20, 21 et 28 février 2008.

Ces mesures ne sauraient donc suffire. Du reste, depuis que ces fameuses mesures ont été annoncées on ne sent rien en tant que consommateurs. Les pris sont demeurés pratiquement les mêmes. Alors que faire ?

Je veux croire que nos décideurs disposent de cadres compétents et suffisamment honnêtes (économistes, socio économistes, etc.) pour les éclairer. Je pense pour ma part qu’un certain nombre de mesures urgentes devraient être prises pour soulager assez rapidement les populations. Comment voulez-vous que nous puissions consommer si les produits dont nous avons besoin sont rares et inaccessibles à nos maigres bourses ? Il faut donc augmenter les salaires, les bourses et pensions et de manière générale, les revenus. Il faudrait ensuite mettre en place des structures fonctionnelles et opérationnelles de contrôle de la qualité et des prix des produits de grande consommation, examiner et analyser périodiquement la structure des prix, afin d’éviter les abus dans la fixation des marges bénéficiaires. Il faudrait aussi, de plus en plus songer à accorder des subventions publiques aux produits de première nécessité et de grande consommation. Voilà quelques mesures d’ordre urgentes qu’il me paraît nécessaire d’envisager.

Mais la véritable solution réside dans la prise en main de notre destin. Je pense quant au fond qu’il est temps que nous nous donnions les moyens de réfléchir par nous-mêmes et d’adopter librement nos choix et orientations de politique économique. Car en réalité nous ne sommes pas libres de nos choix et orientations. On parle de mondialisation, de globalisation, d’accord, mais nous ne devons pas nous laisser mener à la trique et au bâton et marcher à pas forcés sous les injonctions des institutions de Bretton Woods, même quand ça ne va pas. Aujourd’hui le Programme Alimentaire Mondial (PAM) parle de risque de Tsunami si l’on ne maîtrise pas la hausse des prix des produits alimentaires qui plonge dans la famine des dizaines de millions d’êtres humains. Tout ça c’est quelque part les conséquences des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS). Même le pape, de même que les imams et pasteurs émérites, condamnent les PAS du fait de leurs effets dévastateurs sur de larges couches des populations du monde. Il faut que nos dirigeants africains se disent qu’ils dirigent des peuples pauvres dans leur grande majorité certes, mais qui veulent rester dignes dans leur pauvreté ! [Il nous faut des dirigeants responsables et courageux pour nous sortir durablement de cette situation.]

San Finna : Beaucoup aimeraient mieux connaître Chrisogone ZOUGMORE, un peu plus personnellement. En dehors de sa mission de défense des droits humains, que fait-il, qu’aime-t-il, que mange-t-il, comment se distrait-il, etc. ?

C.Z : Je n’aime pas parler de moi. Et puis je n’ai pas grand-chose à dire de moi. Je suis burkinabé moyen qui vit sa vie de citoyen ordinaire. Je mange ce que la plupart des burkinabé du pays réel mangent normalement quand ils en ont les moyens à savoir du riz et du tô. Et si nous nous battons aujourd’hui, c’est pour améliorer nos conditions d’existence. Je ne suis pas ceux-là qui peuvent s’offrir quotidiennement des menus de 15.000 francs et plus dans de grands hôtels de la place. Côté loisirs, je compte mieux améliorer mon emploi du temps pour m’en offrir. Sinon, je dois avouer que j’en ai très peu en ce moment. Généralement, le sport et particulièrement le foot à la télé et quelques émissions de détente me suffisent pour décompresser.

San Finna : Un dernier mot ?

C.Z : Je voudrais vous remercier de m’avoir permis de m’exprimer à travers les colonnes de votre journal et vous inviter à maintenir ainsi le cap de l’ouverture à l’expression plurielle des idées et des opinions. Je voudrais également appeler une fois de plus nos autorités à plus d’égards vis-à-vis des droits économiques, sociaux et culturels qui sont partie intégrante des droits de l’homme. Je voudrais enfin appeler tous les militants et sympathisants de la cause des droits humains à maintenir le cap de la mobilisation et de la lutte consciente et responsable pour de meilleures conditions de vie. La résignation et la fatalité ne devraient point avoir de place, face à la situation difficile que nous vivons aujourd’hui. C’est comme du reste le disait le professeur Joseph Ki-Zerbo : « Nan laara an saara ».

Swonty Koné

San Finna

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