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Vie chère : Les causes apparentes et cachées

Publié le mardi 29 avril 2008 à 11h55min

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On n’a sans doute pas fini d’entendre parler des causes de la vie chère. La preuve est cet écrit qui répertorie les causes apparentes et cachées du phénomène.

Au Burkina Faso comme ailleurs en Afrique de l’Ouest et du Centre (Côte d’Ivoire, Guinée, Sénégal, Niger, Cameroun), en Afrique du Nord, en Amérique du Sud (Haïti précisément), en Asie (Bangladesh)…, les émeutes de la faim se succèdent avec les casses des biens publics et privés. Au Burkina Faso, la contestation a pris une forme effective les 20 et 21 février à Bobo-Dioulasso, Banfora, Ouahigouya… puis, le 28 février à Ouagadougou. Tout le pays a manifesté son mécontentement par les grèves des 8 et 9 avril 2008. Deux centaines de personnes sont arrêtées suite aux actes de vandalisme des 20 et 21 février. Pour les mêmes actes de malveillance posés le 28 février, 169 autres personnes sont jugées à Ouagadougou. On compte un mort en Côte d’Ivoire le 31 mars, plus de 40 morts au Cameroun, une dizaine en Haïti…

La vie chère, c’est l’augmentation des prix des produits de consommation courante alors que le pouvoir d’achat des ménages n’évolue pas. Elle nourrit un mécontentement, une tension sociale et amène la population à marcher, à casser des biens, afin de se faire écouter. Trois faits particuliers caractérisent ces soulèvements : 1- ce sont des réactions à la base ; 2- des actes qui portent atteinte aux symboles de la politique et de la démocratie (des mairies au Burkina Faso, la primature en Haïti…) ; 3- tout cela comme une flambée épidémique en 2008. Ces émeutes viennent des couches de populations vulnérables, et ne semblent pas être éclairées, par une classe politique ou syndicale.

A quand la fin du mécontentement ? A quand la maîtrise de l’inflation des prix ? Des solutions que proposent les uns et les autres, il faut prendre en compte prioritairement celles qui reposent sur nos producteurs agricoles.

Les 2 types de causes

Les causes sont de deux types : apparentes et cachées, mais réelles. Est apparent ce qui est virtuel, perceptible par tout le monde. Le désordre climatique, la demande de consommation alimentaire de plus en plus forte et aussi la spéculation, constituent autant de causes virtuelles. Celles-ci mobilisent les efforts matériels et financiers des Etats alors qu’elles ne sont que trompeuses.

- Ainsi, les crises climatiques et/ou les désordres climatiques ont pour conséquence des catastrophes affectant la production alimentaire à l’échelle planétaire comme à l’échelon du terroir villageois. Les irrégularités des pluies dans le temps et dans l’espace font que les paysans burkinabè peu équipés, ne maîtrisent pas la production agricole. Les sécheresses, les inondations résultant du réchauffement climatique, affectent même les pays à production agricole industrialisée, si bien que ces derniers diminuent leurs stocks d’exportation.

- En revanche, la demande de consommation alimentaire augmente à travers le monde. Parce que, d’abord, la charge alimentaire a augmenté compte tenu de l’évolution démographique rapide des pays du Sud. Ce qu’on appelle la transition démographique est encore lente au Burkina Faso. Ensuite, la demande de consommation s’accompagne d’une exigence en qualité et en diversification. La qualité de vie dans un contexte de transition de mode de vie se traduit par une importation tous azimuts de produits de première nécessité de l’Occident et de l’Asie.

- La mondialisation, acceptée alors comme une voie de régulation des biens entre les pays, favorise l’économie des pays riches. Les pays pauvres sont plus ou moins en marge des fruits du développement économique à l’échelle mondiale. La spéculation express dans une économie libéralisée entraîne la flambée des prix du pétrole ; ce qui a conduit à l’augmentation du transport, puis des prix des produits de consommation. Qui plus est, la spéculation s’intéresse maintenant aux céréales.

Les causes cachées relèvent plus de la politique et de l’organisationnel. Elles reposent sur les capacités internes de l’Etat, des groupements associatifs et des exploitations agricoles à faire face aux risques à venir.

- Ainsi, on peut souligner le manque de visibilité des politiques de développement. A l’échelle nationale, il semble bien que la politique agricole de ces dernières dizaines d’années ait mis l’accent sur la macro-production de cultures commerciales : coton, sésame, légumes (tomate, haricot vert, oignon)… On a négligé le mil et le sorgho. La production du maïs pouvait trouver un succès avec la technique de la petite irrigation, mais cette dernière est plutôt valorisée dans la production des légumes par les paysans.

- On peut retenir le manque d’anticipation. Les émeutes contre la faim il y a deux ans au Niger étaient un signe avant-coureur pour la sous-région. Les émeutes en Mauritanie il y a un an, n’ont pas sonné non plus le tocsin. Comme s’il n’y avait rien à faire !

- Les ménages sont vulnérables. La pauvreté monétaire est passée de 44,5 % en 1994 à 45,3 % en 1998 puis 46,4% en 2003 (OMD 1 du Burkina Faso). La population a une faible capacité de résilience face aux risques. Il s’agit en particulier des cadets sociaux dans les exploitations agricoles : les femmes, les jeunes n’ont pas accès aux biens communs de la famille rurale tels que les riches sols, pour cultiver. Il s’agit aussi des ménages des quartiers périphériques des grandes villes, composés de petits commerçants de la débrouillardise, des employés journaliers…

La pauvreté traîne dans son sillage l’analphabétisme. Le taux net de scolarisation a évolué de 31,3 % en 1996 à 47,7 % en 2006. Le taux net d’alphabétisation des individus âgés de plus de 15 ans est passé de 18,9 % en 1994 à 28,3 % en 2007 (OMD 2 du Burkina Faso). Même si ces taux sont en progression, ils restent encore bas dans l’ensemble et presque insignifiants dans les provinces enclavées géographiquement et culturellement.

Ces causes sont à la base de la cherté actuelle de la vie. Les unes ont caché les autres si bien que le politique n’a pas vu venir ou n’a pas pris une bonne mesure du mécontentement qui pointait à l’horizon.

Quelle porte de sortie ?

Quelles portes de sortie de la vie chère ? Pour une telle crise d’envergure nationale et internationale, les solutions dans l’urgence et à moyen terme ne sont que des expédients.

- Le court terme : pris de court, le gouvernement cherche des solutions d’urgence, à savoir la suppression ou la baisse des taxes douanières et de la TVA sur les produits de première nécessité pendant six mois. L’effet ne fut pas immédiat. La mesure a arrangé davantage les importateurs. En son temps en 2004, le Niger avait recensé et subventionné les stocks des commerçants. Est-ce le cas ici ?

La question de l’augmentation des salaires posée par les syndicats serait la solution idéale à condition qu’elle soit significative et qu’elle s’accompagne de la maîtrise des prix pour éviter la spéculation des commerçants. Des traders existent aussi au Burkina Faso et font de bonnes affaires sur les produits de première nécessité.

Enfin, il y a l’augmentation de l’aide alimentaire promise par les partenaires internationaux. Cette aide ne vient pas de si tôt, et elle a le plus souvent un impact temporaire.

Les solutions d’urgence ne peuvent être efficaces que si elles sont effectivement significatives. Elles demandent des réserves financières, soit une marge de manœuvre sur le plan économique. Le Cameroun a ainsi réussi à calmer ses émeutiers.

- Le moyen terme : il s’agit de mettre en place une politique de régulation des céréales, d’une part à partir des zones de production excédentaire vers celles déficitaires, et d’autre part entre les années de production excédentaire et les années déficitaires. Pour ce faire, il faut une stratégie gouvernementale qui implique dans la négociation les commerçants des céréales. Il semble bien que l’Etat a préféré mettre l’accent sur la régulation à partir du marché international. De nos jours, le riz se fait rare et les commerçants opèrent plutôt des stockages des céréales en attente de l’aggravation de la soudure alimentaire. La question n’est pas le manque de vivres. Elle se pose en terme de déficience d’une politique capable de réguler la production dans l’espace et dans le temps.

A défaut d’une connivence avec les commerçants, la mise en place du Conseil national de sécurité alimentaire est à féliciter, sous réserve qu’il dispose de moyens pour la constitution de stocks de céréales sur l’étendue du territoire. Sous réserve, d’autre part, que ces stocks soient gérés efficacement par les bénéficiaires, pour les années déficitaires.

- Le long terme : en l’état actuel de la crise, on se préoccupe plus du court terme. Le long terme renvoie à la lutte contre l’insécurité alimentaire et, au-delà, la vulnérabilité alimentaire. Cette lutte repose sur deux atouts : l’existence de potentialités agricoles et le savoir-faire du politique comme du producteur. Les potentialités agricoles existent au Burkina Faso, même si elles n’abondent pas : environ 10 millions d’hectares de terres arables dont seulement le tiers cultivé, et 160 000 ha de bas-fonds dont 25 000 hectares irrigués. Le volume d’eau stocké annuellement dans les retenues représente 1,3 % des précipitations. Quant au savoir-faire sur le plan agricole, les paysans en disposent à partir de leur héritage culturel, renforcé par des expériences récentes initiées par les partenaires au développement du monde rural.

La porte de sortie passe alors par :

- une valorisation de la petite exploitation paysanne. Il s’agit d’abord de doter le paysan d’un équipement de base dont la charrue (qui est déjà plus ou moins répandue et relativement maîtrisée), des semences améliorées, des bœufs d’embouche servant à la fois de traction… Il s’agit ensuite d’encadrer le paysan dans la mise en œuvre de ses savoir-faire telles que l’association de l’élevage à l’agriculture, la maîtrise de l’eau de pluie, la protection des sols. La fumure animale remplace valablement l’engrais chimique. Des techniques simples comme le zaï, le paillage, le cordon enherbé… sont à revaloriser. La maîtrise de l’eau qui tombe du ciel dans les champs est fondamentale.

- L’encadrement des producteurs par l’Etat vise à la fois la dotation en équipements de base, le renforcement des savoir-faire et aussi l’organisation des producteurs en groupements pour unir leurs forces, pour défendre leurs intérêts, pour parer aux risques. Bien souvent, les producteurs ruraux restent exposés aux commerçants rentiers et usuriers, ou aux courtiers du développement voyant dans les projets des voies de rançonnement des ruraux, plutôt que des appuis au développement.

- La technologie agricole et alimentaire doit être maîtrisée par les ingénieurs locaux, et la recherche en la matière peut bien être financée et défendue par l’Etat. Le mil et le sorgho, composantes de nos habitudes alimentaires, ne sont pas logés au premier rang de la recherche. Si les OGM doivent venir d’un extérieur lointain, il se pose la question de leur disponibilité pour nos paysans.

- Une telle politique agricole qui s’appuie d’abord sur la capacité du producteur veut promouvoir l’autosuffisance alimentaire pour lutter contre l’insécurité alimentaire. Cette dernière qui avait déjà fait l’objet de politique agricole de nos jeunes Etats nouvellement indépendants, a été remplacée progressivement par l’agriculture commerciale et de rente, dans un contexte de libéralisme commercial et de mondialisation. Tout cela a abouti aujourd’hui à des difficultés de régulation des céréales à l’échelle mondiale, à la vie chère.

En définitive, les potentialités sont à valoriser dans une perspective du développement durable, de sauvegarde de l’environnement. Au Burkina Faso comme dans les pays subsahariens, voire africains, il convient en fait de « paysanniser » plus fortement les producteurs par des dotations en équipements légers, en encadrement et en formation, ce qui veut dire qu’ils doivent réintégrer dans leur gestion, les anciennes connaissances modernisées, ce qui suppose aussi plus de prudence dans l’usage qu’ils font de leurs potentialités. Réinventer une tradition, un savoir antérieur pour introduire l’idée de gestion diversifiée de l’espace, c’est tout au moins une voie de sécurisation de l’alimentation à l’échelle du ménage.

François de Charles Ouédraogo

Maître de conférences en Géographie

Université de Ouagadougou

resabo2000@yahoo.fr

Bibliographie

COURADE (G.), (dir.), 2006 – L’Afrique des idées reçues. Belin, Coll. Mappemonde, Saint-Etienne, 400 p.

OUEDRAOGO (F.C.), 2006 – La vulnérabilité alimentaire au Burkina Faso. L’Harmattan, Coll. Etudes africaines, Paris, 216 p.

Le Pays

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