LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Métier de coach au Burkina Faso : Entraîner, c’est l’enfer

Publié le jeudi 3 avril 2008 à 11h10min

PARTAGER :                          

Selon le dictionnaire Larousse, un entraîneur est une personne qui entraîne des sportifs. Dans le jargon footballistique, un entraîneur, c’est une manière de jouer, une vision de jeu, une philosophie de jeu. En somme, un coach est comme une marque de fabrique. Mais, si les entraîneurs dirigent les séances en semaine, ils sont parfois impuissants face au scénario d’un match.

Maillon faible, ils sont l’objet de critiques à tous les niveaux et sont voués en permanence à vivre des lendemains qui déchantent. Entraîner, c’est donc "l’enfer", surtout au Burkina Faso.

"Un entraîneur ne pose jamais tous ses bagages quand il arrive. Il vient avec seulement un pantalon et une chemise et signe toujours un contrat d’un an". Ce conseil, c’est Lama Bamba qui l’avait une fois donné à "son élève" Madou Dossama. Il situe et montre bien la situation précaire que peuvent bien vivre les coachs. Entraîner est un métier qui, a priori, est lié aux résultats. C’est de la capacité d’un coach a glaner de bons résultats qu’il sera décidé de sa prolongation de contrat ou pas. Mais la capacité d’un coach à réussir dépend de la qualité de son groupe. Car il met son destin entre les mains de 11 bonshommes. "Tu es rarement reconnu par la valeur de ton travail", assure Madou Dossama. Séraphin Dargani vient à son soutien en ajoutant : "on n’a jamais attribué des résultats à un entraîneur. C’est soit les joueurs qui sont excellents, ou c’est le bureau qui a fait un bon travail parce qu’il a fait un bon recrutement ou même que se sont les supporters qui tirent la couverture à eux prétextant avoir fait un travail psychologique assez costaud".

Conflit d’intérêt sur le recrutement

Diriger une équipe, être assigné à des objectifs sans pouvoir influer complètement sur la constitution de son groupe peut paraître paradoxal. Ceci d’autant plus que le "responsable" du recrutement est rarement visé lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous. On l’a vu l’année dernière à Nantes. A l’origine du recrutement du club nantais, Japhet N’Doram. Quand les Canaris descendaient aux enfers, ce dernier n’a pas perdu son poste, au contraire de Serge Le Dizet ou Georges Eo. Mieux, le Tchadien a fini la saison comme co-entraîneur de l’équipe avec Michel Der Zakarian. Au Burkina, on assiste à ces genres de scénario mais pas à de telles proportions. Beaucoup de dirigeants ont pris la vilaine manie de recruter les joueurs et de mettre les coachs devant le fait accompli. "Si vous héritez d’un effectif qui est le choix d’un président ou d’un autre entraîneur qui a fait ses choix avant de se faire virer, vous êtes obligé de composer avec quand bien même vous n’avez pas recruté.

Le profil de plusieurs joueurs peuvent ne pas vous intéresser mais vous êtes condamné. Vous êtes contraint de bâtir un schéma tactique ou une manière de jeu qui ne vous ressemble pas. On vous oblige à travailler avec ce groupe et si vous n’y arrivez pas, c’est votre compétence qui est mise en cause", avoue Madou Dossama. C’est pour cela que beaucoup de coachs burkinabè admirent Seydou Zerbo "Krol" le coach du CFO, champion en titre du Burkina. "Krol" est l’un des entraîneurs qui gère son équipe à sa guise. Il est unique responsable de son recrutement, de son travail et de la gestion de ses joueurs. "Ce n’est pas un hasard s’il a été champion", nous a soufflé Aboubacar Cissé "Garba", entraîneur adjoint à l’USO. "Krol" est lui-même imbu de sa personnalité. "Les autres entraîneurs peuvent me jalouser. Ce n’est pas seulement au CFO, ceux qui ont suivi ma route depuis l’USFA, savent que j’ai craché plusieurs fois sur la figure des dirigeants que je ne veux pas que l’on s’immisce dans mon classement.

Pour moi, c’est un bon principe et ça paie. Si un entraîneur n’est pas libre de ses choix, il ne se sent pas responsable". Un avis qui n’est pas forcément partagé par Dossama. Pour le jeune coach stelliste, un président est comme un directeur de société. Il a souvent des idées à émettre. "Depuis 3 ans que je suis coach à l’EFO, le président ne nous a jamais imposé un joueur ou influé sur notre classement. Il nous donne des indications pour nous canaliser à penser à tel style de joueur car il peut nous être utile à tel match. On a la chance d’avoir un président qui est un ancien joueur et qui connaît les rigueurs du football". Seraphin Dargani abonde également dans le même sens en parlant de sa collaboration avec le président Amado Traoré lors de son passage au RCK. "M. Traoré est un président qui était très proche des joueurs. Quand une crise germait, il l’étouffait avant qu’il n’atteigne l’encadrement. En étant également présent chaque fois lors des séances d’entraînement, il pouvait avoir son mot à dire sur le classement."

Un environnement oppressant

On se rend compte aujourd’hui que les entraîneurs dans leur ensemble bénéficient d’une marge de plus en plus réduite. Dans beaucoup de clubs, on souhaite faire en sorte que les entraîneurs n’étendent pas leur influence au-delà du rectangle vert. Les coachs modernes essaient d’élargir un peu plus leurs prérogatives.

A la manière des managers anglais comme Arsène Wenger, les techniciens souhaitent avoir la main sur l’essentiel pour ne pas dire la totalité du secteur sportif. Les dirigeants vont aussi dans ce sens. Le choc est donc inéluctable. Dans pareil cas, le technicien est voué à vivre des heures sombres alors que les équipes dirigeantes renforcent leur pouvoir. Quand le champ des résultats est en jachère et que le ventre des supporters crie famine, le président doit généralement donner des explications. On ne change pas d’entraîneur pour le plaisir mais souvent pour apporter des réponses à un environnement inquiet. Les dirigeants sont plus exigeants et moins patients avec les entraîneurs qu’avec les joueurs. Remercier l’entraîneur est un puissant moyen de retrouver la paix sociale en interne. Or le travail d’un entraîneur doit se mesurer sur la durée. Les clubs qui brillent actuellement dans notre championnat local ont des coachs qui ont plus de deux ans sur leur banc. C’est le cas de l’EFO avec Madou Dossama (même si Cheick Oumarou Diabaté est venu endosser le costume de patron, c’est Dossama qui a mis en jambe l’équipe), du RCB avec Brama Traoré, de l’ASFA-Y avec John Eshun, et de l’USO avec Isaac Acquaye. Du Racing, parlons-en.

Malgré la saignée, "coach Bra" a greffé les joueurs par petites touches. Son jeu est resté cohérent car c’est le même langage et les mêmes consignes qui passent depuis 4 ou 5 ans. L’USO garde également la même façon de jouer car c’est le même entraîneur. Plus un coach dure dans une équipe, mieux il se retrouve. Au Burkina, les clubs ne sont pas prédisposés à traiter les entraîneurs locaux sur le même pied d’égalité que les étrangers. "Ces derniers sont grassement payés et bénéficient de bonnes conditions de travail que les nationaux. C’est pourquoi je tire mon chapeau aux entraîneurs de clubs moyens qui, dans des conditions de misère, arrivent à produire de bons résultats", souligne Seydou Zerbo "Krol".

La concurrence est terrible

En principe, chaque équipe devrait avoir son style de jeu et en fonction du style, recruter l’entraîneur qui correspond à son profil. C’est le cas des grandes formations comme le FC Barcelone, Arsenal, Manchester United ou Chelsea. Mais au Burkina, on recrute un coach car il a des résultats ou il a brillé dans tel ou tel coin. Si les clubs avaient leur style, si vous changez un entraîneur et que vous amenez un technicien qui n’a pas la même philosophie que ses prédécesseurs, il ne pourra que souffrir. Cela a été le cas pour Fabio Capello au Réal Madrid. Malgré le titre qu’il a donné aux Merengues, il a été obligé d’aller voir ailleurs car le style qu’il imprimait au Réal ne correspondait pas à la volonté des supporters. Capello est donc parti pour ces raisons.

Chez nous au Burkina, les entraîneurs se font des intrigues, des croc-en-jambes et des coup-bas pour guigner la place d’autrui. Pour un président, trouver un entraîneur n’est, en tout cas, pas un problème, tant l’offre écrase la demande. Beaucoup de clubs ne jouant pas à fond la carte de la promotion interne, les techniciens burkinabè se livrent à des pratiques malsaines pour accéder au poste d’entraîneur principal dans tel ou tel club pour assouvir leur faim. La solidarité n’est donc pas la vertu la mieux partagée dans ce milieu. Naïvement, on pourrait penser que les entraîneurs détiennent la parade de cette précarité. L’Amicale des entraîneurs nationaux tant chantée et tant souhaitée tarde à voir le jour. Seydou Zerbo "Krol" qui n’a pas la langue dans la poche dénonce : "l’amicale des entraîneurs ne peut pas naître car ça arrange certains. Si l’amicale voit le jour, on va mettre les uns et les autres à leur place". Une preuve que la famille des entraîneurs burkinabè est divisée. Une famille dont les membres se chamaillent et qui déprime. Une famille qui semble résignée à s’adapter aux pratiques "mafieuses" qui entourent le football et à en subir les conséquences pour longtemps.

Béranger ILBOUDO

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique