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Deval Millogo à propos de la vie chère : "Si rien n’est fait..."

Publié le vendredi 7 mars 2008 à 11h35min

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Deval Millogo

Fidèle parmi les plus fidèles lieutenants de Me Hermann Yaméogo, le président de l’UNDD (Union nationale pour la démocratie et le développement), l’ex-député Deval Millogo a vécu presque en direct les émeutes de Bobo-Dioulasso contre la vie chère. Ressortissant de cette région, il n’a cessé d’interpeller le gouvernement, le secrétaire national chargé des Relations extérieures du parti de la panthère et fait à travers l’entretien qui suit, sa lecture de la situation nationale et prévient que si rien n’est fait, nous risquons de connaître ce qui se vit au Kenya...

Député lors de la législature précédente, vous n’avez pu repartir à l’hémicycle. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

En toute modestie, je suis persuadé que je ne suis pas à l’hémicycle parce que le pouvoir en a décidé ainsi. Rappelez-vous ces fraudes massives que nous avons découvertes et montrées à la face du monde lors de ce scrutin législatif dans notre province.

Les preuves, innombrables et irréfutables, ont été réunies, notamment ces extraits de naissance signés par centaines un dimanche pour permettre les votes multiples et l’inscription de mineurs sur les listes électorales.

Les résultats ont été annulés dans l’arrondissement de Dafra et dans de nombreux bureaux de vote de la ville de Sya ainsi qu’à Péni, à Logofroussa et à Padéma. L’idéal aurait été qu’on reprenne le scrutin dans ces zones, mais le Conseil constitutionnel en a décidé autrement.

Mieux, si l’on reprend honnêtement le calcul, en mettant de côté les suffrages annulés, notre parti, l’UNDD, gagnerait au moins un siège, qui me reviendrait du fait de ma position sur la liste présentée par le parti dans le Houet.

Du reste, en privé, certains responsables, dont je tais volontairement les noms, le concèdent. Nous nous sommes pliés à l’arrêt du Conseil constitutionnel par respect pour nos institutions ; mais vous m’offrez l’occasion de tirer une fois encore la sonnette d’alarme : il faut craindre que les drames vécus ailleurs ne frappent un jour le Burkina Faso, dont les dirigeants vantent, à longueur de journée, la stabilité.

L’affabilité de notre peuple ne devrait pas être comprise comme de l’imbécillité ; et, à vouloir toujours tripatouiller le suffrage des urnes, on fait courir à notre pays le risque d’affrontements graves comme on l’a vu au Kenya, où les électeurs ont voulu exiger le respect de leur choix. D’ailleurs, les choses n’ont-elles pas commencé ?

Nous y reviendrons. Mais dites-nous, en 2003, vous avez été victime d’un infarctus qui a failli vous emporter. Dites-nous un peu dans quelles circonstances cet événement malheureux est intervenu.

• Le mal m’a frappé lors de la tenue de l’Assemblée constitutive de l’UNDD à Koudougou, à la suite du putsch perpétré, courant juin 2003, à la tête de notre ancien parti, l’ADF/RDA. C’est désormais un secret de Polichinelle : ce putsch a été la conséquence des positions publiquement exprimées par le président Hermann Yaméogo sur la crise ivoirienne.

Il a refusé de se joindre à la meute pour hurler avec les loups, non pas parce qu’il était insensible aux souffrances de nos compatriotes en Côte d’ivoire après la tentative de coup d’Etat qu’on a longtemps qualifiée de mutinerie par pure malveillance, mais parce qu’il en pressentait les effets négatifs. Lorsqu’on est un homme épris de justice et de paix, on veille scrupuleusement à l’universalité de ces valeurs.

Dans ces conditions, on admet difficilement qu’un pyromane exige du propriétaire d’une maison à laquelle il a mis le feu, et où se trouvaient ses propres enfants, de veiller à ce que les flammes de l’incendie aient une consumation discriminée au niveau des personnes présentes et de leurs biens. Avec le recul, cette réalité est de plus en plus admise, même si le courage de la soutenir n’est pas tout à fait au rendez-vous.

Nous avons été (pour une question d’opinion) traqués, calomniés, vilipendés et profondément persécutés. Les foudres que le pouvoir a abattues sur nous peuvent bien provoquer plus qu’un infarctus. Je crois que notre président est véritablement trempé pour résister à une telle charge haineuse que la foi en des convictions politiques n’explique pas tout à elle seule.

Comme on le dit, il possède véritablement du coffre. Pour ma part, je remercie Dieu ainsi que mes médecins, sans lesquels je ne serais plus de ce monde. Je remercie bien entendu les camarades du parti qui m’ont soutenu dans cette épreuve.

Vous êtes, c’est bien connu, l’un des fidèles lieutenants de Me Hermann Yaméogo. Qu’est-ce qui attache tant les deux hommes ?

• Mon amitié avec Me Hermann Yaméogo ne date pas d’aujourd’hui. Nous nous connaissons depuis 1977 et j’ai appris à l’apprécier et à l’admirer dans ses convictions et ses engagements politiques. Durant la trentaine d’années passées ensemble, nos vues ont rarement divergé sur des questions importantes. C’est peut-être là le secret de notre attachement l’un envers l’autre.

De plus, dans mon éducation et ma culture, l’amitié est une valeur sacrée ; et il est inconcevable de trahir un ami qui ne l’a pas fait. Encore moins dans l’adversité. Notre parti a traversé de rudes épreuves, entraînant certains de nos camarades à s’en éloigner comme une volée d’étourneaux pour s’abriter dans des arbres sûrs. Ils sont libres de leur choix.

Pour ma part, j’ai décidé de poursuivre le combat émancipateur de notre parti, dont le président possède une lucidité exceptionnelle dans la lecture des grandes questions du monde, et un courage remarquable dans la défense de ses convictions. Même si une telle posture nous a valu les foudres dont j’ai parlé tantôt, elle constitue à mes yeux la marque des grands hommes ; et c’est aussi cela qui me séduit le plus chez Me Hermann Yaméogo.

Venons-en maintenant à votre fief, Bobo-Dioulasso, qui vient de vivre des heures chaudes du fait de la vie chère. Etait-ce prévisible ? Et si oui, qu’est-ce qui vous le laissait présager ?

• La vie chère n’est certainement pas l’apanage de la seule ville de Bobo-Dioulasso, même si celle-ci est de loin l’une des plus frappées en raison du marasme qu’elle connaissait déjà du fait de la crise ivoirienne. Comme on l’a vu, d’autres villes du pays en dehors de Sya, ont également vécu leurs journées de braise en rapport avec la cherté de la vie. Une telle situation n’a certainement pas surpris ceux qui sont parfaitement au fait des réalités sociales de nos populations.

Un de vos confrères (Newton Ahmed Barry du bimensuel l’Evénement pour ne pas le nommer), écrivant certainement sous la dictée d’un Bobo, a dit que si la paupérisation actuelle des Burkinabè se poursuit, il y a fort à craindre que tous ceux qui (comme vous et moi) peuvent s’offrir deux repas par jour se considèrent comme des cibles potentielles en cas de révolte des plus démunis.

C’est une vérité qui trouble malheureusement la quiétude de nos dirigeants, comme le fait l’agneau du breuvage du loup dans les fables de Jean de la Fontaine. C’est bien dommage que nos autorités pensent pouvoir modifier la réalité en se voilant simplement la face.

Depuis les émeutes du casque, il fallait appréhender le fait que pour de bon que les Burkinabè n’étaient plus prêts à se serrer davantage la ceinture et qu’il y avait un seuil à ne pas franchir sans réveiller la bête immonde qui sommeille en eux, d’autant que tout leur semble cadenassé. Le désespoir crée l’extrémisme. C’est pour cela qu’il faut se garder d’ôter jusqu’au droit au rêve.

La vie chère justifie-t-elle, à vos yeux, tout ce qui s’est déroulé dans cette ville ?

• Comme je l’ai dit, si vous enlevez à une personne l’illusion d’une amélioration de sa situation, vous ouvrez en même temps la porte à toutes les dérives possibles. Ce qui s’est passé à Bobo-Dioulasso comme dans d’autres villes du pays, et que nous déplorons du reste, résulte d’un certain nombre de choix politiques inconséquents.

Des facteurs comme l’arrogance, la corruption, l’injustice sociale et le déni de justice pour les plus pauvres recèlent en eux, quand ils sont combinés à un marasme généralisé, les germes d’une déflagration sociale de grande envergure. Pour le reste, tout dépend du sens que l’on donne à la notion de justification.

Avez-vous un remède contre justement cette situation de précarité ?

• Il ne peut y avoir de remède en dehors de la bonne gouvernance, de la pertinence des choix politiques dans les questions de développement. Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas en déversant des milliards dans des dépenses de prestige que vous changerez le quotidien des Burkinabè.

Or, il y a belle lurette que l’Etat s’est retiré de secteurs aussi importants que l’éducation et la santé ; faites un tour à l’université et vous constaterez que nous gérons, près de nos concessions, un chaudron en ébullition. Le remède à cette situation réside dans la mise en place du programme de gouvernement de l’UNDD. Tout passe par la refondation de nos institutions ainsi que de la vie publique tout court.

Des biens de l’Etat sont partis en fumée dont la mairie de l’arrondissement de Do. Beaucoup ont vu, à travers ce dernier cas, une pratique à forte teneur ethnique. Est-ce la même lecture que vous en faites ? Si oui, se justifie-t-elle ?

• Dire que les destructions perpétrées à la mairie de l’arrondissement de Do recouvrent des relents ethnicistes procède d’une vision sophiste des choses. Je crois que ces considérations sont en déphasage avec la réalité bobolaise. Le maire, Tinto Moustapha, est issu d’une communauté fortement représentée dans la ville de Sya et qui partage du reste, avec les populations autochtones, des valeurs comme la franchise et la sincérité.

Je crois que d’autres pistes, à mon sens plus plausibles, existent, qui sont à explorer. D’aucuns parlent d’une destruction de preuves domaniales dans cet arrondissement où la question des parcelles continue de faire des gorges chaudes D’autres parlent, de règlement de comptes entre bonzes du parti majoritaire. C’est un peu comme la grenouille qui sort de l’eau et vous annonce que le caïman est borgne. N’étant pas un être aquatique, que pouvez-vous y répondre ?

Je n’ai personnellement pas de jugement de valeur à émettre au sujet de cette affaire. Il faut espérer seulement que les enquêtes ouvertes après ces émeutes, que nous appelons de tous nos vœux, fassent la lumière dessus.

La refondation, un mot qui revient chaque fois sur vos lèvres quand on vous aborde. Que représente-t-elle pour vous et comment la réussir ?

• La refondation, nous en parlons depuis des années, dès le moment où nous avons constaté que la démocratie commençait à dévier sérieusement. En 1996 déjà, nous avons mis en place le Collectif de Kombissiri, qui regroupait plusieurs partis, pour préconiser une pause dans le but de corriger les erreurs et de recadrer la démocratie. Depuis, nous n’avons pas cessé. Avant la présidentielle de 2005, nous avons lancé

la notion de rupture avec l’ordre ancien en appelant à la refondation : nous avons proposé, dans ce sens, un nombre très élevé de mesures, dont aucune n’a été acceptée. Depuis, nous avons fait plusieurs marches pour exiger cette refondation démocratique, dont la première avait commencé le 18 février 2007 à Dano.

Aujourd’hui, nous apprécions que cette demande soit de plus en plus partagée ; c’est la première fois depuis longtemps qu’on voit un accord se dessiner dans le pays autour d’une revendication importante ; ça veut dire qu’elle est nationale et qu’il faut la prendre au sérieux.

Vous me demandez ce que nous mettons dedans ? Beaucoup de choses. Au niveau par exemple des institutions et de la politique en général, je pense qu’il faut mettre en place un régime présidentiel comme aux USA, où les pouvoirs sont séparés entre l’Exécutif et le Législatif, ou alors un régime parlementaire, où l’essentiel du pouvoir revient au Premier ministre, contrôlé par une Assemblée bien élue et véritablement indépendante.

Je pense aussi qu’au plan de la démocratie locale, on doit tout faire pour favoriser un pouvoir régional vraiment protégé des manipulations, comme c’est le cas en ce moment. Mais la refondation, ça nous oblige aussi à revoir nos choix en matière économique pour que le peuple soit celui qui profite du développement alors que ce n’est pas le cas actuellement.

Au niveau de l’éducation, de la santé, de l’armée, de la chefferie coutumière, de la diplomatie, etc., nous devons aussi discuter des chemins suivis jusqu’à présent et qui sont loin d’être toujours bons. Nous avons besoin de construire un nouveau consensus sur la gouvernance de notre pays pour mettre un terme à la monopolisation des pouvoirs politique et économique et au glissement vers la monarchie républicaine.

Je pense que tout le monde a les yeux ouverts maintenant ; de demi-mesure en demi-mesure, de tromperie en tromperie, nous voyons où les choses nous ont amenés. La refondation aujourd’hui est un mal nécessaire pour le parti au pouvoir, comme pour tous les partis, qui doivent se mettre à l’esprit qu’il faut changer d’esprit pour changer en profondeur le pays.

Si on ne le fait pas, tout le monde va perdre. Voilà pourquoi ceux qui croient qu’ils vont encore dribbler le monde avec des réformettes se trompent ; et ce sont eux qui subiront toutes les conséquences de ces mauvais calculs.

Si on vous demandait d’apprécier l’actuel Premier ministre, Tertius Zongo, que diriez-vous ?

• Mon jugement est sans a priori, mais il est prudent. Je dis sans a priori parce que l’homme présente des traits qui peuvent attirer sur lui du crédit et faciliter son action. Si vous voyez qu’on n’a pas crié au régionalisme parce qu’un Premier ministre nommé Zongo est venu s’ajouter à un président du Faso, nommé Blaise Compaoré, et à un président de l’Assemblée nationale, dénommé Roch Marc Christian Kaboré, c’est parce qu’il est un Gourounsi originaire du Centre-Ouest.

Mais le plus important est qu’il n’est pas mêlé aux intrigues et autres magouilles politiques qui ont lézardé sérieusement notre pays ces dernières années pendant qu’il séjournait aux USA. Vis-à-vis de nous-mêmes, de l’UNDD, il ne s’est pas comporté comme ces margoulins politiques qui ont pipé les règles du jeu démocratique en organisant, à notre détriment des fraudes massives lors des élections, la corruption de chefs coutumiers et en orchestrant une vaste cabale contre nous dans les médias nationaux et internationaux.

Si l’on rajoute à cela son caractère ouvert, on est tenté de lui donner le bénéfice du doute. Mais comme je le disais, je suis prudent parce que son action peut être freinée par d’autres raisons. Notons que s’il a des pouvoirs, il ne peut que les tenir de son patron. Autrement, il sera vite « bouffé », comme on dit, par les grands loups du CDP.

Aura-t-il les pouvoirs nécessaires à la mise en œuvre des ambitions qu’il affiche ? C’est là la grande question. Je constate également que la guerre que le Premier ministre entend mener contre la corruption, la vie chère, la pauvreté, ne peut être gagnée sans une grande mobilisation nationale. Notre pays est actuellement gangrené par la culture du « combien je gagne dans cette affaire ? ». Les Burkinabè se soucient de moins en moins de l’intérêt collectif.

C’est dire que le Burkina Faso connaît actuellement des glissements dans la gouvernance, qui ne rend pas les gens à même de remporter de telles batailles. Voilà pourquoi nous estimons nécessaire, pour les questions concernant les institutions, les grands domaines économiques, la santé, l’éducation..., d’accepter de faire le point et d’opérer des corrections avant de repartir. Bref, il faut la refondation nationale, dont nous parlons depuis des années.

Est-il vraiment l’homme de la situation ?

• Le Premier ministre actuel nous semble animé d’une bonne volonté et de bonnes intentions. Seulement, les intentions, la volonté et même le courage ne suffisent pas pour faire de lui l’homme de la situation tant que ses pourfendeurs les plus irréductibles se trouveront tapis dans la majorité appelée à le soutenir et tant que son employeur ne lui aura pas donné les pleins pouvoirs pour conduire son action tout en lui apportant son soutien ferme et explicite.

Ces conditions ne sont manifestement pas réunies à ce jour, et il est difficile pour lui d’être l’homme de la situation dans un environnement où l’honnêteté, la loyauté et la solidarité gouvernementale ne sont pas des vertus cardinales.

Une adresse à vos frères burkinabè ?

• Que 2008 soit pour nous l’année des décisions qui empêchent que le pays ne s’enfonce dans les divisions. Malgré toutes nos difficultés, nous avons été protégés des catastrophes qu’on voit dans d’autres pays et qui attristent en ce moment le Kenya et le Tchad.

Mais si la vérité rougit les yeux, elle ne les crève pas : ceux qui nous gouvernent doivent cesser de croire qu’ils peuvent continuer à endormir le peuple avec la chanson de la croissance positive, de la stabilité du Burkina Faso, qui est mieux que les autres pays, des encouragements que donnent à gogo certains bailleurs de fonds.

Celui qui aime vraiment ce pays doit reconnaître et dire que ça ne va pas, surtout sur les plans de la pauvreté et de la vie chère. Au Kenya, c’est vrai que la fraude a fait virer le pays dans le cauchemar, mais si les gens ont eu la rage de détruire, c’est aussi parce qu’ils avaient, dans leur cœur, la rage de la pauvreté, de la cherté de la vie et le désir de se venger d’une façon ou d’une autre de tous ceux qui possèdent et qui les toisent.

Nous sommes complètement sur le même chemin quand on voit le fossé qui sépare les riches et les pauvres, quand on voit comment les prix montent et que les salaires stagnent, quand on voit surtout comment les gens désespèrent de la démocratie et les élections, dans lesquelles ils ne voient aujourd’hui qu’un marché de dupes, pire un moyen de se prostituer temporairement pour gagner des miettes.

Entretien réalisé par O. Sidpawalemdé

L’Observateur

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