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Tchad : La France et la parabole de la sorcière

Publié le vendredi 29 février 2008 à 10h58min

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Sur la route de Prétoria, Nicolas Sarkozy, flanqué de la Carla, la désormais première dame de France, s’est arrêté quelques heures mercredi à N’Djamena. Le temps pour lui de prendre un gueuleton avec les soldats tricolores du dispositif Epervier stationnés au Tchad depuis des lustres mais aussi et surtout de s’entendre dire merci de vive voix. C’est quand même grâce à l’appui de l’Hexagone si Idriss Deby Itno, pris en tenaille début février par la rébellion, est parvenu à desserrer l’étau et à repousser les insurgés.

Certes, Paris semble parfois hésiter entre la peste Déby et le choléra rebelle mais pour l’instant, elle préfère se contenter de ce qu’elle a sous la main plutôt que de se risquer à un périlleux saut dans l’inconnu. A la fois pour des raisons stratégiques qu’économiques et même religieuses, certains redoutant une islamisation à outrance du pays si les révoltés, soutenus comme chacun le sait par les enturbannés de Khartoum, s’emparaient du pouvoir.

Le survivant professionnel qu’est Déby reste donc redevable à l’Elysée et même si, de part et d’autre, on prétend n’avoir pas évoqué le dossier de "l’Arche de Zoé" pour ne pas donner l’impression d’un troc, le maître de N’Djamena finira bien par prendre son plus beau stylo pour signer la grâce présidentielle en faveur de la bande à Breteau. N’est-ce pas qu’on ne mord pas la main qui vous nourrit, et même vous défend.

Ne serait-ce que pour cela, N’Djamena valait bien une escale. C’est donc une question de temps mais Sarkozy aura raison, lui qui affirmait, un rien méprisant pour les négrillons, qu’il irait chercher les autres "quoi qu’ils aient fait, quoi qu’ils aient fait". Il venait alors de ramener les journalistes et les membres de l’équipage embarqués dans cette odyssée prétendûment humanitaire mais aux relents nauséabonds.

Quand on pense que c’est l’ancien petit berger de Berdoba vers Fada (dans le nord-est du pays) qui parlait, sans le moindre début de preuve, de "trafic d’organes" et de "pédophilie", montant sur ses grands chevaux pour grincer la fibre nationaliste de ses compatriotes mis en ordre de bataille contre le grand méchant blanc, on se convainc définitivement qu’on ne peut pas toujours rester digne et preux quand on n’a pas les moyens de sa politique ; en l’espèce quand votre propre défense est assurée par autrui.

Mais là où les Français prennent les gens pour des nez percés voire pour des imbéciles, c’est quand ils s’agitent beaucoup au sujet de la disparition de Lol Mahamat Choua, de Ngarlédjy Yorongar et d’Ibni Oumar Mahamat Saleh. Trois opposants enlevés à domicile le 3 février, vraisemblablement par la garde prétorienne pour suspicion de collusion avec les assaillants.

Depuis, le premier, ancien et éphémère chef d’Etat, a été retrouvé et placé en résidence surveillée, les deux autres étant toujours "missing". Pour emprunter au nouveau vocable en vogue dans l’affaire Ingrid Betancourt, on n’a aucune "preuve de vie" les concernant et leurs proches redoutent le pire. Le locataire de l’Elysée a donc saisi l’opportunité de son escale tchadienne pour plaider la cause des infortunés et demander la mise sur pied d’une commission d’enquête internationale pour faire la lumière sur cette ténébreuse affaire.

Fort bien. Que Me Sarkozy de Naguy Bosca prenne lui-même le dossier en main, voici qui augure d’une issue heureuse si les deux ne sont pas déjà morts des suites de tortures qu’ils ont probablement subies. En fait, sous ses dehors de fermeté, il y a comme un air de componction et de volonté de se racheter. Si l’on croit en effet ce que dit l’hebdomadaire "Jeune Afrique" dans sa dernière livraison, c’est sur la base des écoutes de l’armée française que Déby a décidé de mettre les opposants au secret.

"Je sais qu’il y a eu collusion entre des opposants politiques et les rebelles" aurait en effet déclaré devant une dizaine de journalistes français Bruno Foucher, ambassadeur de France au Tchad 36 heures après la disparition des incriminés.

Que cette information soit vraie ou fausse, ce sont les Gaulois qui auront vendu les suppliciés en tressant la corde avec laquelle les sbires de Déby devaient les p(r)endre. La France, dont on connaît déjà le jeu plus que trouble, est donc directement responsable du kidnapping des pauvres politiciens et de ce qui pourrait leur arriver. Toute cette agitation diplomatique autour des disparus du Chari n’a de ce fait pour but que de masquer cette responsabilité première et ce n’est pas la verve de Sarko qui nous la fera oublier.

Voilà qui rappelle d’ailleurs la parabole de la sorcière qui va présenter ses condoléances à des parents éplorés alors que c’est elle qui a "mangé" leur enfant. Après le discours hallucinant de juillet 2007 à Dakar sur la place de l’Afrique dans l’histoire universelle et les soutiens aux petits potentats locaux et autres "doyen" au prétexte que sur le continent noir "un aîné ça se respecte", voici un autre visage de la rupture sarkozyenne : inciter des pouvoirs parfois illégitimes à enlever des leaders de l’opposition. On en viendrait presqu’à regretter Foccart.

Ousséni Ilboudo

L’Observateur

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