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Justice pénale internationale : Des acquis fondamentaux

Publié le lundi 25 février 2008 à 11h08min

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Certains pourront voir les choses en noir et considérer qu’en matière de justice pénale internationale, les progrès sont bien lents. A contrario, les plus optimistes estimeront que l’on n’a jamais autant parlé de justice pénale internationale, dans les médias comme dans la sphère des pouvoirs politiques, et que c’est là un signe manifeste et positif d’évolution.

L’actualité récente semble donner raison aux optimistes : au Cambodge, où le génocide perpétré entre 1975 et 1979 aurait décimé le quart de la population, celui que l’on surnomme "Douch", de son vrai nom Kaing Guek Eav, qui a dirigé le centre d’interrogatoire "S-21", vient d’être inculpé pour "crimes contre l’humanité" par le Tribunal spécial Khmers rouges (TKR qui est, en réalité, un ensemble de chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens chargées de la poursuite des crimes commis par les Khmers rouges). A Arusha, ville tanzanienne où siège le Tribunal pénal international pour le Rwanda, la chambre d’appel du TPIR vient de confirmer la condamnation à 25 années de prison d’Aloys Simba pour "génocide et extermination", et pour "crimes contre l’humanité". Au Sénégal, les autorités judiciaires viennent de prendre l’engagement d’entamer d’ici à quelques mois l’enquête visant l’ex-président tchadien Hissène Habré, pour "crimes contre l’humanité". S’il est organisé, ce procès sera une première car aucun chef d’Etat n’a encore été jugé pour de tels crimes sur le continent africain…

Depuis une décennie, on constate un recul de l’impunité dont ont pu jouir par le passé tant de responsables politiques et militaires, malgré l’extrême gravité de certains des crimes qu’ils ont pu commettre. Sur un strict plan symbolique, l’arrestation le 1er avril 2001 de Slobodan Milosevic, puis l’ouverture de son procès devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie sont à marquer d’une pierre blanche. Ce précédent a une vocation pédagogique évidente ; pour la première fois dans l’histoire un ancien chef d’Etat était jugé devant une juridiction internationale.

Le long chemin vers la Cour pénale internationale

C’est l’ampleur et le degré d’horreur atteints par les crimes perpétrés par l’Allemagne nazie et le Japon qui ont conduit à la mise en place de deux tribunaux militaires "internationaux", l’un à Nuremberg et l’autre à Tokyo, chargés par les vainqueurs de châtier les coupables. De là date le signal qui conduira à l’adoption, dans le cadre des Nations unies, d’une base juridique nouvelle intégrée dans des conventions internationales, de même que dans quantité de législations nationales. Il faudra néanmoins attendre le milieu des années 1990, dans un nouveau contexte international rendu possible par la fin de l’antagonisme Est-Ouest, pour que démarre véritablement le long processus, parsemé d’embûches, qui va aboutir à l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2002, du statut de la Cour pénale internationale (CPI). Nul doute que les crises yougoslave et rwandaise, survenues dans ce même intervalle, n’ont pas pu contribué à la naissance de la CPI. Car, faut-il le rappeler, en l’absence de juridiction pénale internationale permanente, c’est le Conseil de sécurité qui a dû créer, dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies relatif à l’"action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression", deux tribunaux ad hoc. Tribunaux à existence limitée dans le temps et à compétence restreinte dans l’espace…

Compétente pour les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, ainsi que les crimes de guerre commis à partir du 1er juillet 2002, la Cour pénale internationale, dont le siège est à La Haye, ne fait cependant pas l’objet d’un consensus universel car certains Etats, dont les Etats-Unis, ne sont toujours pas partie prenante à la Convention de Rome qui l’a instituée. Toute personne âgée de dix-huit ans révolus peut théoriquement être poursuivie, et ce indépendamment de son statut et des fonctions occupées : aucune exonération de responsabilité pénale n’est en effet prévue pour des actions menées dans le cadre de responsabilités officielles.

Selon le statut, cette compétence ne saurait s’exercer que si l’Etat sur le territoire duquel un crime a été commis ou dont le responsable du crime est ressortissant, est partie au Traité. Cependant, au cas où une situation est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité, en cas de menace ou d’atteinte à la paix et à la sécurité internationales, aucune condition préalable n’est exigée, et la Cour est toujours compétente. Les deux autres cas de saisine possibles sont ceux d’une situation déférée au Procureur par un Etat partie ou lorsque le Procureur décide, sur la base des informations dont il dispose, de se saisir d’une situation particulière. Il est à noter, autre originalité de la Cour, qu’elle est complémentaire des juridictions pénales nationales et qu’elle se limitera, sur décision des juges, à enquêter et à engager des poursuites dans les cas où un Etat n’aurait pas la capacité de le faire lui-même ou n’en aurait pas la volonté…

La CPI est d’ores et déjà opérationnelle et son Procureur a ouvert un certain nombre de dossiers pour des crimes de guerre ou contre l’humanité commis en République démocratique du Congo, en Ouganda ou encore au Darfour.

L’originalité des juridictions mixtes

C’est en Sierra Leone qu’a été inaugurée une formule originale de justice, supposée moins coûteuse et plus rapide, impliquant tout à la fois la législation nationale et internationale. En réponse à une demande du gouvernement sierra-léonais de juin 2000, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a été créé le 14 août 2000 par la résolution 1315 du Conseil de sécurité. Le procès de Charles Taylor, l’un des principaux inculpés, a actuellement lieu à La Haye, dans les locaux de la CPI – le Conseil de sécurité ayant en effet autorisé par sa résolution 1688 cette délocalisation, à la demande du TSSL.

Au Cambodge, une loi nationale du 10 août 2001 a permis la création de "chambres extraordinaires", intégrées aux tribunaux existants. Puis le mois de mars 2003 verra la conclusion des négociations entre les autorités cambodgiennes et les Nations unies. Ces discussions devaient aboutir à un projet d’accord, officiellement signé à Phnom Penh le 6 juin 2003, concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien, des auteurs des crimes commis pendant la période du Kampuchéa démocratique. Les premiers procès des inculpés devraient débuter début 2008. Au Timor, le tribunal mixte national et onusien, chargé de traduire en justice les responsables des atrocités commises en 1999 par les militaires et miliciens indonésiens, a été lourdement handicapé par l’absence de coopération de Djakarta. En Bosnie-Herzégovine a été créée une Chambre pour les crimes de guerre, afin de désengorger le TPIY, d’aider à la refondation du système judiciaire bosniaque et de favoriser la réconciliation entre communautés. Enfin, dernier exemple en date, la création, le 30 mai 2007, par le Conseil de sécurité des Nations unies, du tribunal international pour juger (selon le droit libanais) les assassins de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri – ainsi que les auteurs de 14 autres assassinats commis sur des personnalités libanaises anti-syriennes.

Le relais des juridictions nationales

Parallèlement aux juridictions pénales internationales permanente (CPI) ou ad hoc (TPIY, TPIR) et hybrides (Sierra Léone, Cambodge et Timor), la justice pénale s’est également enrichie de l’action de juridictions nationales d’Etats déclarant vouloir exercer la compétence universelle – celle-ci autorisant un Etat à déroger aux principes classiques de territorialité et de personnalité. L’arrestation, à la requête de l’Espagne, d’Augusto Pinochet à Londres le 16 octobre 1998 procède de cette logique et a marqué un précédent important. C’est la Belgique qui est allée le plus loin dans cette voie, en poursuivant les auteurs de crimes commis à l’étranger ; c’est vrai des Rwandais jugés à Bruxelles pour leur participation au génocide de 1994 mais aussi et surtout pour Hissène Habré, ancien président du Tchad de 1982 à 1990, contre lequel un mandat d’arrêt international était délivré en septembre 2005, en même temps qu’une demande d’extradition était adressée au Sénégal – où celui-ci réside depuis lors.

Protéiforme et donc plus efficace, la justice pénale internationale n’en demeure pas moins dépendante de la bonne (et de la mauvaise) volonté des Etats. Les cas de Radovan Karadzic et de Ratko Mladic – tenus pour principaux responsables du massacre de plusieurs milliers de musulmans de Srebrenica, en juillet 1995, et toujours en fuite depuis plus d’une décennie – témoignent du chemin restant à parcourir.

Renaud de la Brosse

Le Pays

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