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Paix sociale au Burkina : Le Kenya aussi était un pays stable

Publié le vendredi 22 février 2008 à 11h32min

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Un déchaînement de violences comme celui qui a cours au Kenya depuis la St-Sylvestre 2007 et que Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, s’échine à circonscrire est-il envisageable au Burkina ? "Oui", répondront tout de suite les contempteurs du régime quand, pour les thuriféraires de Blaise Compaoré, oser même poser une telle question dénote sinon l’inconscience notoire (il ne faut pas parler du diable car ce serait une façon de l’inviter) du moins la pure provocation. Après tout, les réalités kenyanes et burkinabè ne sont pas les mêmes et, c’est bien connu, comparaison n’est pas raison.

Touchons d’ailleurs du bois qu’une telle tragédie, à jamais, n’endeuille cette "patrie des hommes intègres". Pourtant, l’interrogation mérite d’être posée après que nous avons assisté, de nouveau, à des manifestations violentes dans certaines villes du Burkina. Si à Ouagadougou la manifestation projetée par certains leaders d’opinion a été tuée dans l’œuf, tel ne fut pas en effet le cas de Bobo-Dioulasso et de Ouahigouya, où à la fois commerçants et consommateurs ont donné du fil à retordre aux forces de l’ordre.

Et hier la contagion a gagné d’autres cités comme Banfora pendant que la capitale se prépare. Casus belli : pour les uns ce serait les patentes et autres taxes qui les tiennent à la gorge, pour les autres la flambée des prix des produits de première nécessité (hydrocarbures, huile, riz, sucre, savons, sel, omo...) qui finit de les étouffer d’autant plus rapidement que les revenus des travailleurs et des ménages n’épousent pas la même courbe ascendante, bien au contraire. Une relation de cause à effet donc qui a débouché sur l’explosion sociale qu’on connaît.

Bien entendu, une personne responsable, a fortiori un journal, quand bien même on pourrait les expliquer, ne saurait cautionner ces actes de vandalisme sous couvert de lutte contre la vie chère, ces casses étant bien souvent une occasion en or pour de petits voyous en mal de castagne de faire un peu d’exercice et, au passage, de se faire un peu de pognon en pillant les honnêtes gens. De petits délinquants qui parasitent habituellement les mouvements sociaux, ruinant au passage des travailleurs laborieux qui voient leurs biens partir en fumée.

Qui pis est les manifs de l’autre jour ne reposaient sur aucune base légale et ces feux tricolores endommagés, ces routes détériorées, c’est nous qui allons les payer de nouveau jusqu’au dernier centime alors qu’on se plaint déjà du coût de la vie. Absurde donc ! Il n’empêche, les autorités auraient tort de négliger ce mouvement d’humeur sous prétexte que c’est l’œuvre de loubards, car ces "mangeurs de haricot" sont aussi des citoyens burkinabè et si on peut désapprouver la méthode, nul doute que les raisons officielles qui sous-tendent leur action rallient de nombreux suffrages.

Et c’est là qu’on peut établir un lien avec les violentes crises qui secouent le continent et dont le dernier exemple en date est celui du Kenya. Un pays jadis réputé stable dans une sous-région tourmentée. Un peu à l’image du Burkina, dont les premiers responsables se gargarisent à tout-va de notre fameuse stabilité, qui semble, pour eux, irréversible. Alors que, bien souvent, et Nairobi l’a montré, ça ne repose pas sur du solide.

Car si les contestations postélectorales et le déni de démocratie sont, dans la plupart des cas, les détonateurs qui mettent le feu aux poudres, elles viennent souvent se greffer à de multiples difficultés socio-économiques des petites gens qui forment le vivier de la contestation, les vieilles rancœurs ethno-tribales finissant de mettre de l’huile sur un feu qui a déjà bien pris. Une situation qui dégénère complètement quand les responsables politiques, comme c’est le cas de Raila Odinga, après avoir manié le fouet qui excite les bas instincts de leurs poulains, n’ont plus de crochet pour retenir leurs ardeurs.

Les éléments ci-dessus énumérés sont plus ou moins rassemblés ici au Faso, où, plus que jamais, la vie est dure. D’abord politiquement, à tort ou à raison, le pouvoir a, de tout temps, été suspecté de fraudes électorales et donc de détournement des suffrages populaires. Ici, c’est le déséquilibre des forces qui pose plus problème que le détournement du suffrage populaire à proprement parler. Or, qu’on le veuille ou pas, l’équilibre ne pourra s’établir qu’après Blaise Compaoré, qui domine, "à hauteur d’homme", la vie politique de ce pays depuis 20 ans.

Il se trouve que l’usure du pouvoir n’épargne personne, pas même le "bandit chef" ainsi que le surnomment certains de ses homologues de la sous-région ; une usure à laquelle répond en écho la lassitude de populations résignées de voir la même tête depuis deux décennies.

Le plus grave, c’est que pour beaucoup, il ne serait pas près de partir, certains lui prêtant l’intention de vouloir de nouveau modifier la Constitution pour rester après 2015 (si bien sûr, faisons semblant de ne pas y croire, il est candidat en 2010 et s’il est élu). D’autres prétendent même qu’il prépare son frère François, qui serait donc une sorte de Raul Castro burkinabè, à être son légataire universelle à la tête du Burkina.

Personnellement, nous créditons le président du Faso d’un minimum d’intelligence et de bon sens pour n’être tenté ni par la première ni par la seconde hypothèse. Mais que ces rumeurs qui se chuchotent dans les chaumières ou qui font l’objet de débats passionnés et même de paris dans les gargottes soient fondées ou pas, elles sont à tout le moins révélatrices des états d’âme de nos compatriotes et de la perception qu’ils ont du premier magistrat burkinabè et de son clan.

Economiquement ensuite, les pauvres hères qui tirent le diable par la queue et dont certains se sont violemment manifestés mercredi n’ont parfois plus grand-chose à perdre. Chez nos voisins ivoiriens, on dit "cabri mort n’a plus peur de couteau", ici ce serait "Burkinabè fauché n’a plus peur de lacry". Que se passerait-il d’ailleurs si les gaz lacrymogènes faisaient place aux balles et qu’on ramassait des macchabées sur le bitume ?

Pour sûr, la tension monterait d’un cran et tous les adversaires du régime, qui doivent boire actuellement leur petit lait, ne se priveraient pas d’attiser en sous-main les braises (à la guerre comme à la guerre) avec tous les dangers que peuvent avoir ce genre de connexions. Et la colère des croquants est d’autant plus grande que, pour eux, les dirigeants, qui seraient corrompus jusqu’à l’os, ne se privent de rien, pas même du superflu et ce n’est pas pour rien que certains ont dû se trouver une planque quand ont éclaté les émeutes dites des "Kundé". Nous l’avons écrit dans ces mêmes colonnes au lendemain de la réélection de Blaise Compaoré, "2006 sera social ou ne sera pas" (1).

Or nous sommes en 2008, cela fait deux ans que le mandat de Blaise court, et il y a longtemps que le "développement solidaire" s’est transformé en "développement solitaire", les riches étant de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres tandis que la classe moyenne est en voie de paupérisation. Quant au "progrès continu pour une société d’espérance", les récentes émeutes en disent long sur le désespoir des gens.

Socialement et culturellement enfin, on aurait tort de penser que la parenté à plaisanterie, qui fonctionne comme une soupape de sécurité, est un antidote à tous les maux de notre société. Les violences récurrentes entre différentes communautés dans de nombreuses régions du Burkina montrent que la paix ethnique est toujours fragile et que la nation burkinabè au vrai sens du terme reste à construire. Une situation délicate surtout que les tensions inter-communautaires sont quelquefois exacerbées par une administration partisane ou des politiciens à la petite semaine qui jouent aux apprentis-sorciers.

C’est pour toutes ces raisons que nous disons qu’il faut faire attention, car ça n’arrive pas qu’aux autres. Le havre de paix qu’on vante tant sans rien faire, ou pas grand-chose, pour le préserver, peut du jour au lendemain se transformer en enfer si on n’y prend garde. Ce n’est pas jouer aux oiseaux de mauvais augure que de l’affirmer.

Ousséni Ilboudo

Notes :
(1) Cf "Lettre de l’éditeur" dans notre édition du vendredi 30 d

L’Observateur

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