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Blaise Compaoré : "A Marcoussis, il n’a nulle part été question du Burkina dans l’analyse des causes profondes du conflit ivoirien"

Publié le mardi 26 février 2008 à 10h51min

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Dans cet entretien accordé par le président du Faso à Charles Zorgbibe de la revue "Géopolitique africaine" et publié dans son numéro de décembre dernier, Blaise Compaoré explique sa méthode en tant que médiateur dans plusieurs crises en Afrique et donne sa vision des dynamiques d’intégration et des relations internationales.

Dans l’élan de votre mandat de Président de l’OUA, qui a pris fin en juillet 1999, vous n’avez cessé de vous impliquer dans la prévention ou le règlement des conflits africains. C’est à Ouagadougou que les principaux acteurs politiques du Libéria ont lancé leur processus de paix en juillet 2002, qu’a été signé l’accord de paix de décembre 2003 entre le gouvernement du Tchad et les rebelles du Mouvement pour la démocratie et la justice, et on pourrait citer aussi d’autres médiations, dans les crises de Madagascar, du Centrafrique ou du Togo…D’où ma question : Avez-vous une méthode en tant que médiateur, une procédure privilégiée en matière de prévention ou de résolution des conflits ?

Blaise Compaoré :
Pour sortir d’une crise, il faut d’abord que les parties en conflit aient la ferme volonté de trouver une solution consensuelle à leurs différends. Cela a été le cas pour la Côte d’Ivoire, où chacun s’est rendu compte que la guerre n’était pas la meilleure option. Le gouvernement et les ex-rebelles ont décidé, d’un commun accord, d’engager un dialogue direct entre eux. Au Togo, la même volonté politique a été observée.
Une fois que cette condition est remplie, il faut un facilitateur qui inspire confiance aux parties. Ce facilitateur doit adopter une position de neutralité, savoir prendre une position médiane au regard des positions extrêmes affichées par les uns et les autres au départ. Il doit faciliter les concessions de part et d’autre, de façon à ce que personne n’ait le sentiment d’avoir été lésé. Je réitère mes félicitations aux parties opposées en Côte d’Ivoire et au Togo, parce qu’elles ont su transcender leurs divergences pour ne prendre en compte que l’intérêt supérieur de leurs pays respectifs.

Enfin, dès qu’un accord a été trouvé, il faut des dispositions pour en garantir la bonne application. A ce titre, les parties doivent recourir à l’arbitrage du facilitateur, en cas d’interprétations divergentes sur tel ou tel aspect du texte. En outre, il est nécessaire que les signataires et la communauté internationale puissent périodiquement évaluer la mise en œuvre de l’accord et apporter d’éventuelles corrections.

Vous étiez accusé, il y a deux ans, par Laurent Gbagbo, d’être le responsable des difficultés ivoiriennes. Et vous avez ramené la paix civile dans ce pays, vous avez rapproché et réconcilié les forces antagonistes. Comment expliquer ce retournement ?

C’est vrai qu’il y a eu des périodes d’incompréhension entre les autorités ivoiriennes et nous. Nous étions effectivement accusés d’être à l’origine de la crise. Rappelez-vous cependant que lorsque la classe politique ivoirienne s’est réunie à Marcoussis en janvier 2003, il n’a nulle part été question du Burkina, dans l’analyse des causes profondes du conflit. On a plutôt parlé de problèmes de nationalité, d’élections non ouvertes, de réforme foncière…
Avec le temps, les autorités ivoiriennes ont compris que le Burkina n’avait aucun intérêt à voir la Côte d’Ivoire déstabilisée. Au contraire, pour des raisons humaines, historiques, économiques, nous avons besoin d’une Côte d’Ivoire solide. Notre seule préoccupation a toujours été la sécurité physique et matérielle de nos millions de compatriotes qui vivent en Côte d’Ivoire.

Comment appréciez-vous l’évolution des organisations africaines de sécurité collective ? Les transformations de structure de l’Union africaine vont-elles dans le bon sens ?

La paix, la sécurité et la stabilité sont des conditions indispensables au développement. Il était donc normal que l’Afrique s’en préoccupe, et se donne les moyens de les garantir ou de les construire. C’est ainsi que des mécanismes ont été mis en place, tant sur le plan sous-régional qu’au niveau continental.
En Afrique de l’Ouest par exemple, la CEDEAO a fourni d’importants efforts dans le domaine de la prévention et du règlement des conflits. Le Conseil de médiation et de sécurité, qui peut se réunir au niveau des Ambassadeurs, des Ministres ou des Chefs d’Etat et de gouvernement, est un élément important du dispositif communautaire de prévention, de gestion et de règlement des conflits. La communauté a également mis en place un Conseil des Sages dont la mission est de promouvoir une diplomatie de prévention, un Centre d’observation et de contrôle d’alerte précoce, et une force de 6 500 hommes qui peut être déployée immédiatement dans la région en cas de troubles.

Au niveau de l’Union africaine, le Conseil de paix et de sécurité a, depuis sa création en 2002, répondu aux objectifs premiers qui lui étaient assignés, à savoir la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité du continent. De manière concrète, il a surtout été sollicité pour rétablir et consolider la paix, mener des activités de reconstruction post-conflits, sans oublier son rôle de plus en plus grand dans la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit. A titre illustratif, c’est sous son égide que des accords ont été conclus, concernant le Sud-Soudan ou le Burundi, et que les premiers bataillons ont pu être déployés en Somalie et au Soudan. Il se préoccupe actuellement de la situation aux Comores, et est à l’origine de la force hybride ONU/UA qui doit être déployé au Darfour.

C’est vous dire que malgré quelques difficultés, notre appréciation de l’action de ces organes est positive.
Quant aux transformations des structures de l’Union africaine, elles sont nécessaires, et nul ne le conteste. La Commission et la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement doivent disposer des pouvoirs et des moyens nécessaires à l’exécution de leurs mandats. Toutefois, notre démarche doit être progressive, en partant d’abord de la consolidation des fondations de l’Union que sont les communautés économiques régionales.

Où en est la Communauté des Etats sahélo-sahariens, la Censad, dont vous êtes l’un des co-fondateurs ?

Depuis sa création en 1998, la CENSAD n’a cessé d’accueillir de nouveaux membres. Aujourd’hui, elle en compte vingt-trois, avec l’admission de la Guinée et des Comores lors du dernier sommet tenu à Syrte en juin 2007.
En presque dix ans d’existence, elle a beaucoup contribué à la paix et au développement en Afrique, et apporté une contribution décisive à l’intégration et à l’unité africaines. La CENSAD a joué un rôle catalyseur dans l’avènement de l’Union africaine, et elle s’emploie encore de nos jours à accélérer le processus d’intégration du continent.
Sur le plan politique, la Communauté s’est dotée d’un Haut médiateur permanent pour la paix et la sécurité, d’un mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, et d’une convention de coopération en matière de sécurité. Sa contribution a été souvent décisive dans la gestion de certaines crises.
Sur le plan économique, des efforts sont également faits en vue de favoriser le développement des Etats membres. La création, en avril 1999, de la Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce en est un exemple. Nous avons également mis en place un programme régional de sécurité alimentaire depuis janvier 2004, ainsi que des programmes de gestion des ressources en eau et de lutte contre la désertification.

Boutros Boutros-Ghali voulait doter l’Organisation internationale de la Francophonie de compétences en matière de maintien de la paix. Est-ce possible ?

Tout à fait. Le Cadre stratégique décennal que l’OIF a adopté en novembre 2004 à Ouagadougou a permis à l’organisation de se fixer deux grands objectifs dans la double perspective du développement et de la paix dans le monde. D’abord, consolider la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit ; ensuite, contribuer à prévenir les conflits et accompagner les processus de sortie de crise, de transition démocratique et de consolidation de la paix.
L’Organisation Internationale de la Francophonie œuvre à l’instauration d’une paix durable en encourageant notamment au retour à une vie constitutionnelle normale, à l’instauration du multipartisme, à la mise en place d’ institutions démocratiques et légitimes, au respect des droits de l’homme, à la tenue d’élections pluralistes, à la liberté de la presse, etc…

Vous entretenez d’excellence rapports avec les grandes organisations inter-étatiques. A la tribune des Nations Unies, vous avez plaidé pour un ordre international plus juste. Quel est le message que vous lancez, au nom de l’Afrique, à la communauté internationale organisée ?

Les vertus du multilatéralisme sont indéniables ; elles sont désormais unanimement reconnues, y compris par ceux qui, pour diverses raisons, donnent parfois l’impression de vouloir faire prévaloir des comportements unilatéralistes.
Le Burkina Faso a toujours cru aux capacités des organisations internationales à accompagner les Etats dans leur quête de paix, de justice et de développement. C’est pourquoi nous n’avons jamais hésité à saisir toutes les opportunités offertes par ces organisations pour plaider la cause des plus faibles, des plus pauvres et des marginalisés.
Les Nations Unies constituent à cet égard la tribune idéale, en ce qu’elles sont à ce jour l’expression la plus achevée du multilatéralisme, où tous les Etats, riches ou moins riches, grands ou moins grands, peuvent faire entendre leur voix et porter haut les préoccupations de tous les peuples du monde. Au nom de l’Afrique, notre message dans ces instances est resté constant : une coopération internationale plus solidaire, des relations internationales plus justes et plus démocratiques, une meilleure gouvernance globale, et un commerce international plus équitable, facteur de développement. C’est à ces conditions, et à ces conditions seulement, que les pays en développement, en particulier ceux d’Afrique, dont une majorité de PMA, pourront espérer asseoir des bases solides d’un développement durable.

L’Afrique doit-elle avoir un siège permanent au sein du Conseil de Sécurité ?

L’octroi à l’Afrique de sièges permanents au Conseil de sécurité ne serait pas un geste de charité. Il s’agit d’une question de justice et d’équité, sinon de la réparation d’une injustice qui se perpétue depuis plus d’un demi-siècle d’histoire des Nations Unies. Dans la configuration actuelle du Conseil de sécurité, l’Afrique est la seule région du monde à ne pas compter de représentant parmi les membres permanents, alors que la grande majorité des points de l’ordre du jour sont consacrés à l’Afrique. Cette situation est anachronique et injustifiable, au regard de la contribution de l’Afrique à la paix et à la sécurité internationales, de l’évolution des relations internationales, et de la nécessité de démocratiser l’ONU.

C’est pourquoi, dans le cadre du processus de réforme globale de l’organisation, les pays africains estiment qu’il ne serait que tort réparé que d’attribuer à l’Afrique, non pas un, mais deux sièges de membres permanents au sein d’un Conseil de sécurité élargi, aux méthodes de travail plus transparentes.
Ces nouveaux membres permanents devraient jouir des mêmes pouvoirs et prérogatives que les membres permanents actuels, notamment du droit de veto, en attendant que les changements en cours aboutissent à la suppression de ce droit régalien qui ne se justifie plus, mais que nous sommes obligés, à ce stade, d’intégrer dans notre démarche.

Comment envisagez-vous les rapports de l’Afrique avec la super-puissance des Etats-Unis ? L’Afrique doit-elle s’associer à la guerre contre le terrorisme ?

L’Afrique ne fait pas d’exclusive dans ses rapports avec les autres parties du monde. Dans cet esprit, les Etats-Unis d’Amérique sont un partenaire privilégié des pays africains, avec lesquels, sur la base du principe de l’égalité souveraine des Etats et de la nécessaire solidarité entre les peuples, ils coopèrent et continueront de coopérer, aussi bien sur le plan politique que dans les domaines économique et commercial.
Quant à la guerre contre le terrorisme, elle ne doit pas être spécifiquement associée à nos rapports avec les Etats-Unis d’Amérique. Le terrorisme est un fléau, et l’Afrique le combat comme tel, en tant que partie intégrante de la communauté internationale, qui en a fait une de ses priorités. C’est ainsi que nous nous sommes associés au consensus qui a prévalu lors de l’adoption de la Stratégie globale des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme, et que nous sommes engagés dans les négociations pour l’élaboration d’une convention générale dans ce domaine.

Et les rapports avec l’Union européenne ? Doivent-ils être limités à l’échiquier économique et du développement. L’Europe a-t-elle un rôle à assumer en matière de paix ?

Avec l’Union européenne, l’Afrique entretient également des relations de partenariat. L’Europe est aujourd’hui un acteur majeur incontournable de la scène internationale, et notre coopération avec elle couvre tous les domaines, y compris le domaine politique. Nous avons créé à cette fin de nombreux cadres de concertation. C’est ainsi que les pays africains et leurs partenaires européens se retrouveront en décembre prochain à Lisbonne, en vue de partager leurs vues sur les préoccupations communes, et de définir les perspectives de nos relations futures.
La problématique de la paix et de la sécurité internationales est sans conteste l’une de ces préoccupations. Nous pensons que l’Europe peut apporter une contribution significative à la stabilisation de nombreuses régions à travers le monde. Du reste, elle le fait déjà, en témoigne, pour prendre les derniers exemples en date sur le continent africain, son engagement en République démocratique du Congo et, tout récemment, aux frontières du Tchad, de la République centrafricaine et du Soudan.

De nombreuses organisations non-gouvernementales opèrent au Burkina Faso. Quel regard portez-vous sur cette diplomatie "non-gouvernementale" ?

Elles sont en effet des centaines qui, chaque jour à nos côtés, nous aident à soulager un tant soit peu les difficultés des populations laborieuses de notre pays, et à consolider nos acquis dans les domaines économique, social et politique. Leurs interventions s’étendent aux villages les plus reculés du Burkina, et nous leur en sommes infiniment reconnaissants.
Toutefois, l’action de ces ONG s’inscrit dans la mise en œuvre du projet de société que nous avons défini pour assurer le développement harmonieux et durable de notre peuple. Elles y apportent leur concours, aux côtés d’autres partenaires étatiques et non étatiques, bilatéraux et multilatéraux. Afin d’ optimiser l’efficacité de leurs interventions, l’Etat a mis en place des structures de coordination et des cadres de concertation, qui les aident à mieux cibler leurs contributions. C’est une démarche responsable à laquelle toutes les ONG ont adhéré.

Où en est l’économie burkinabè, après la privatisation d’entreprises dans le coton, la téléphonie, l’hôtellerie et la construction de nouveaux barrages, tel celui de Ziga ?

Malgré un contexte international difficile, l’économie burkinabè a réalisé des performances remarquables. Elle affiche presque 6% de taux de croissance réelle par an depuis dix ans. La pauvreté est en recul constant grâce aux effets cumulés de cette embellie économique, notamment à l’accroissement de la production de céréales et de coton. Pour ce dernier produit qui constitue notre principale source de devises, le Burkina est depuis quelques années le premier producteur africain.
La privatisation partielle dans le secteur du coton n’est pas étrangère au boom de la production. Dans les autres secteurs que vous citez, l’implication plus grande des opérateurs privés a eu pour effet d’accroître les performances, tout en améliorant sensiblement la qualité des services offerts.

Dans le secteur minier, les perspectives sont prometteuses, notamment dans la production d’or. Une dizaine de mines devraient être opérationnelles dans les tout prochains mois.
Concernant le barrage de Ziga, c’est le plus gros investissement jamais réalisé au Burkina ; il a coûté 150 milliards de FCFA soit 228,6 millions d’Euros. Sa réalisation constitue une étape essentielle dans l’approvisionnement en eau potable de la ville de Ouagadougou, qui compte près de 1 500 000 habitants, pendant une période de 25 ans. L’extension prochaine de l’ouvrage permettra d’alimenter, non seulement la capitale mais aussi les localités environnantes, pendant 70 ans.
Plus généralement, la maîtrise de l’eau constitue un défi majeur pour le Burkina. Au cours des prochaines années, d’autres barrages hydro-agricoles et hydro-électriques seront construits.

Une ultime question sur la politique intérieure de votre pays :
Comment est composée et structurée la coalition de partis qui vous soutient ? Comment est composée l’opposition et quels rapports entretenez-vous avec elle ?

Le Congrès pour la démocratie et le progrès est le parti majoritaire au Burkina. Une vingtaine de formations se sont jointes à lui pour créer l’Alliance de la mouvance présidentielle dont l’objectif est de soutenir mon programme. D’autres partis non membres de cette alliance ont décidé d’en faire de même. Cette situation est rendue possible par le fait que nous avons toujours essayé de rassembler les Burkinabè autour des grands enjeux du développement.
L’opposition est bien entendu composée des partis qui ne partagent pas notre vision. Cela n’empêche pas que sur les grandes questions nationales, nous les consultions, au même titre que la société civile, les autorités religieuses et les chefs traditionnels. En 2000, l’Assemblée nationale a voté une loi portant statut de l’opposition. Ce statut lui garantit clairement l’accès aux médias de service public, notamment pendant les campagnes électorales. En outre, les partis de l’opposition bénéficient, dans les mêmes conditions que ceux de la majorité, du financement public.

Source : http://www.cisab.fr

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