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Tchad : Le jeu trouble de la France

Publié le mercredi 6 février 2008 à 11h02min

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Momentanément interrompue donc ce que les Tchadiens appellent eux-mêmes par autodérision, la "musique tchadienne" (celle de la canonnière) tant elle est permanente quoique désagréable à écouter, on redoute maintenant une catastrophe humanitaire avec ces hordes de populations jetées dans les rues.

Comme en effet dans tous les conflits de ce genre, ce sont les populations civiles, baluchons de fortune au dos, qui trinquent et qui payent le plus lourd tribut aux violences politiques, prises en tenaille qu’elles sont souvent entre les belligérants.

Aujourd’hui donc, une paix fourrée s’est installée à N’Djamena sans qu’on sache véritablement quelles sont les intentions des différents protagonistes. Pour les rebelles, ils se sont repliés hors de la ville pour recharger les accus avant de redonner l’assaut tandis que les loyalistes, qui ont repris le contrôle de la capitale, affirment les avoir repoussés intégralement.

C’est dans les contradictions de cette guerre des communiqués et des déclarations qui est le propre de tout conflit qu’il est question depuis hier d’un cessez-le-feu qui sonne en fait comme une échappatoire pour les insurgés repoussés hors de la capitale.

Quoi qu’il en soit, le conflit tchadien est loin d’être terminé et nouvelle offensive immédiate ou pas, il ne peut s’agir que d’un sursis pour le président Idriss Deby Itno en proie depuis de longues années à une rébellion qui se reproduit comme par scissiparité. Lui-même ancien rebelle sait plus que quiconque, ce qui fait le lit des conflits.

Car, s’il est aujourd’hui prompt à indexer le voisin soudanais, il semble oublier trop vite que c’est du même Soudan qu’il avait entamé sa marche victorieuse, en 1990, à N’Djamena pour chasser Hissène Habré aujourd’hui sous les griffes de la communauté internationale. Pour tout dire, si les "bonnes volontés" extérieures ne manquent jamais pour mettre le feu à la case du voisin quitte à en subir le contrecoup, les germes des différends prospèrent toujours à l’intérieur.

Hélas, le guérillero Deby devenu président est à peine mieux que son prédécesseur. Car, si on ne peut pas, au risque de pécher contre l’esprit, le traiter d’affreux dictateur façon Habré, il n’a pas pour autant réussi sa mue démocratique et les reproches qu’il faisait à l’autre sont à peu de choses près les mêmes que ses contempteurs lui font présentement. Dès lors, il ne peut véritablement s’étonner de ce qui lui arrive. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes, disent les juristes.

Nous l’avons toujours dit et répété : qu’il s’agisse hier du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire, du Congo-Kinshasha... et aujourd’hui du Soudan, du Kenya et du Tchad, c’est le déficit démocratique, le déni des droits de l’homme, la prédation des richesses nationales bref, la mauvaise gouvernance politique et économique qui sont à l’origine de ces drames.

Il faut sans doute se garder de donner le Bon Dieu sans confession aux rebelles qui se révèlent souvent être pires que le mal qu’ils prétendent soigner (Deby lui-même, et tous ces "opposants historiques" qui ont mal tourné, en sont l’illustration), mais on peut comprendre que devant un horizon bouché, on puisse recourir au langage doum-doum.

L’Union africaine, l’ONU et la communauté internationale, la France en l’espèce, ont d’ailleurs beau jeu de condamner les velléités putschistes car autant qu’on se souvienne, elles ne font pas montre du même zèle pour rappeler à l’ordre ces despotes à la petite semaine qui s’illustrent dans les fraudes électorales et les révisions de constitution pour s’éterniser au pouvoir.

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ne se sont-ils pas précipités pour féliciter Mwaï Kibaki avant de rectifier le tir quand ils se sont rendu compte de leur erreur d’appréciation ?

En vérité, cette fameuse communauté internationale dont Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), le parti au pouvoir, avait au plus fort de la crise ivoirienne, critiqué l’inconséquence et l’inconsistance, joue la plupart du temps un jeu trouble. Le regain de tension actuellement au Tchad en donne l’illustration.

Après avoir en effet déclaré de la bouche même de son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, que l’Hexagone n’interviendra pas dans le conflit actuel, cette "douce et généreuse" France a laissé entendre qu’elle pourrait s’impliquer davantage si les rebelles ne se tenaient pas au carreau. N’a-t-elle pas du reste obtenu l’onction onusienne pour parer à toute éventualité, la Maison de verre de Manhattan ayant adopté une déclaration invitant tous les pays à "fournir au pouvoir tchadien toute l’aide et l’assistance nécessaire pour l’aider à mettre fin à cette agression"...

Après tout, il est déjà arrivé aux avions de son dispositif Epervier d’ouvrir le feu sur des colonnes de croquants qui fonçaient sur la capitale les empêchant ainsi de prendre, ou même d’investir N’Djamena. De là à penser que si aujourd’hui, les révoltés ont pu de façon relativement facile entreprendre ce qu’ils ont entrepris, c’est que le coq Gaulois qui veillait a dû un moment fermer les yeux, il n’y a qu’un pas que certains analystes ont vite fait de franchir.

Alors, du simple appui logistique et en renseignements, va-t-on donc voir Paris bander à nouveau les muscles pour broyer du rebelle ?

On n’en est pas encore là mais le moins qu’on puisse dire c’est que la France joue parfois un jeu trouble, souffle le chaud et le froid, lève tantôt le pied ou appuie sur l’accélérateur comme pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier car on ne sait jamais.

Ouédraogo Adama dit Damiss

L’Observateur

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