LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Union africaine : Jean PING ou le retour à l’ordre ancien

Publié le mardi 5 février 2008 à 11h12min

PARTAGER :                          

Le 10e sommet des chefs d’Etats membres de l’Union Africaine (UA) a consacré le retour à l’ordre ancien et célébré la France-Afrique en confiant les rênes de l’organisation au Gabonais Jean Ping. La rupture a été consommée avec le départ d’Alpha Oumar Konaré qui avait su impulser une dynamique progressiste au mouvement panafricain envers et contre tous.

Avec l’installation d’un fonctionnaire, il ne faudra pas s’étonner des prises de position de l’UA qui s’efforcera avant tout de conforter les chefs d’Etat au détriment des peuples africains désormais en lutte ouverte contre la mal gouvernance.

C’est un secret de Polichinelle, les chefs d’Etat africains n’aiment pas qu’on touche à leur "chose". Et l’UA est cette "chose" qu’ils ont fabriquée à leur image, pour endormir les peuples africains et profiter des largesses du guide libyen dont les réactions sont imprévisibles. L’on se demande d’ailleurs pourquoi n’avoir pas simplement ressuscité l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) mais sans son comité de décolonisation qui avait fait un travail de titan ? Car l’UA de l’après 10e sommet, est redevenue une organisation fantoche, qui ne fera que le bonheur des Chefs d’Etat et de leurs alliés d’une partie de l’Occident, sans égard pour l’Afrique. Certes, on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. On peut donc comprendre que très rarement, on ait songé à mettre en application les résolutions des différents sommets ou engagé des débats sérieux sur la question. Mais que pourra vraiment Jean Ping ?

On ne saurait douter des compétences de ce diplomate chevronné et au carnet d’adresses bien fourni. Il a compulsé moult dossiers aux Nations unies dont il a présidé des travaux. Il connaît bien le continent et surtout ses dirigeants. Mais aura-t-il les coudées franches ? Osera-t-il tenir tête à son mentor, le président Bongo, élément important du dispositif de la France-Afrique ? Ping, positionné aujourd’hui comme l’un des successeurs potentiels de ce doyen des chefs d’Etats africains, franchira difficilement ce pas qui l’éloignerait alors du fauteuil âprement convoité à Libreville. Peu de doute que pendant le mandat Ping, l’Afrique va tourner en rond, se replonger dans les incertitudes et les divergences multiformes pour le grand bonheur de ceux qui n’ont réellement jamais voulu de l’unité, de la force et de la réussite de ce continent. Il faut avoir de la pitié pour ce continent orphelin de ses héros et de ses patriotes intrépides.

C’est une évidence aujourd’hui que Konaré, lui-même ancien chef d’Etat, dérangeait sérieusement. L’homme n’éprouvait aucun complexe à l’égard de ses anciens pairs dont il connaissait les intrigues et les fuites en avant. Il ne pouvait demeurer longtemps à son poste, sachant bien les rancoeurs qui couvaient à chaque intervention sur des dossiers épineux. Mais surtout, il devait partir, après avoir mis l’organisation panafricaine sur les rails, et donné de l’espoir aux peuples africains dont les luttes quotidiennes indiquent la voie à suivre, et inspirent les dirigeants qui osent.

Mais en dépit des efforts du président Konaré, l’UA demeure une coquille vide de par la volonté même des chefs d’Etat membres. Qu’on se rappelle les tiraillements et les divergences profondes entre l’ancien président de la Commission et le Président Obasanjo alors président en exercice de l’UA à propos des dossiers du Liberia, du Togo et de la Sierra Leone ? Jamais l’UA ne condamne les dictateurs et le viol des Constitutions. Elle entérine les élections frauduleuses et ses complices de l’Occident lui emboîtent le pas. Elle fait parfois preuve de négligence coupable dans le traitement de dossiers : on le voit aujourd’hui dans le cas du Kenya comme ce fut le cas pour les Comores, etc. Dans le récent cas du Tchad, si les chefs d’Etat africains avaient, de manière responsable, contraint Idriss Déby à respecter le jeu démocratique, on aurait certainement fait l’économie de la tragédie que vit présentement le peuple tchadien.

La hâte avec laquelle les chefs d’Etat condamnent les coups d’Etat et les rébellions pour se protéger de la juste colère des peuples, est à verser au dossier de leur incurie. Mais l’on comprend difficilement que la communauté internationale leur emboîte toujours le pas, comme si elle abdiquait devant la souffrance des peuples asservis par des dictatures sanguinaires et des présidences à vie. Parce qu’aucun sommet de chefs d’Etat africains, aucune résolution de la communauté internationale n’a encore ouvertement condamné le tripatouillage des Constitutions et les fraudes donnant naissance à de faux résultats. Le silence et l’inertie de la communauté internationale vis-à-vis de ces forfaitures, constituent une prime à l’anti-démocratie. Parce que justement ces entorses aux règles élémentaires de la démocratie sont bien souvent la source même des coups d’Etat et des rébellions.

Ce 10e sommet a confirmé la réticence de plusieurs dirigeants à aller aux Etats- Unis d’Afrique, projet pourtant cher au guide libyen. En général, les chefs d’Etat oeuvrent à sauvegarder les intérêts d’un Occident qui se moque éperdument de la démocratie et de l’avenir des peuples du continent. Si Khaddafi déçu, tourne le dos à l’Afrique et resserre les cordons de sa bourse, des problèmes surviendront assurément dans bien des pays. Les subsides de l’Occident, on le sait, parviendront alors très difficilement à combler le trou.

L’UA fait plaisir aux exploiteurs et aux oppresseurs du continent. Si les chefs d’Etat membres eux-mêmes ne sont pas libérés, comment peuvent-ils aider l’Afrique à se libérer et à émerger économiquement ? Pour avoir toujours entériné la mal gouvernance et manqué d’audace, pour n’avoir jamais voulu anticiper, et pour avoir évité de mettre en application les résolutions de l’UA, ils portent sur la conscience la mort de nombreux Africains et la détresse de millions de réfugiés dont des femmes et des enfants.

Parce que les acteurs politiques ont perdu toute crédibilité, parce que les élites déçoivent, les masses africaines esseulées sont désormais en déshérence. A force de tergiverser, de condamner les coups d’Etat sans condamner les entorses à la démocratie républicaine, les peuples finiront bien un jour par investir les casernes pour s’armer et défendre leurs droits. A qui faudra-t-il alors en imputer la responsabilité ?

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique