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Barrage de Samandéni : "Un Programme évolutif et dynamique"

Publié le mercredi 30 janvier 2008 à 10h20min

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Vous avez procédé à l’occasion de la douzième édition de la Journée nationale du paysan au lancement d’un Projet pharaonique, le Programme de développement intégré de la vallée de Samandeni (PDIS). Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte ce programme a été initié par le gouvernement burkinabé ?

• Ce programme est né de l’idée première qu’il fallait revoir l’hydrologie de notre pays. Le Burkina étant un pays sahélien, il nous fallait trouver une formule pour rendre nos fleuves permanents, notamment le Mouhoun. Un jour de mars 1998, le président du Faso, Blaise Compaoré, en lisant la carte hydrographique du Burkina à ma présence, m’a instruit de voir la possibilité de connecter le Mouhoun au Nakanbé par un chenal de 110 km qui irait de Oualou (province du Mouhoun) à Dourou (province du Passoré). C’était là la première idée qui allait donner naissance à ce programme. Par la suite, on a essayé d’explorer cette possibilité mais sa réalisation posait beaucoup de problèmes techniques et surtout le triangle qui allait être constitué, englobait une population nombreuse, car il fallait déménager de nombreux villages. La deuxième alternative discutée avec le président du Faso était de construire le barrage de Samandéni qui, en fait, existait déjà comme idée. Plusieurs tentatives d’études avaient été faites avec les Chinois à l’époque, les Coréens ; les Japonais aussi avaient fait une étude sommaire. Mais aucune de ces tentatives n’avait abouti. Nous avons donc repris cette idée mais cette fois avec la volonté d’augmenter le débit du fleuve pour le rendre permanent, car notre fleuve le plus important, le Mouhoun, disparaissait à certains endroits du territoire en saison sèche. Cela avait des conséquences dramatiques.

C’est ainsi que l’idée de Samandéni dans sa forme actuelle est née et le président Compaoré a suivi au jour le jour les études y relatives. Nous avons entrepris en effet une grande étude de l’ensemble du bassin du Mouhoun. Cette étude a été réalisée par le bureau d’études tunisien STUDI. Nous avons alors décidé de créer le programme de Samandéni. Car il ne suffisait pas de faire un barrage et une centrale hydroélectrique. Il fallait que les objectifs socio-économiques soient vraiment importants pour que les partenaires puissent s’engager. Pour cela, nous avons mené une étude socio-économique. Et pour rendre les impacts socio-économiques importants, il fallait aménager 21 000 ha, créer un canal navigable de 195 km et une zone agro-industrielle qui pourrait contenir au moins une centaine d’usines.

Quels sont les objectifs stratégiques recherchés par ce programme ?

• Pour nous, ce programme est un point d’appui pour le développement socio-économique du Burkina Faso. Parce qu’en créant un barrage de 1 milliard 50 millions (1 050 000 000) de mètres cubes et surtout en le calibrant sur le fleuve Mouhoun sur 195 km, nous créons une sorte de soupape de sécurité pour le Mouhoun dans son ensemble, à savoir le fleuve et son bassin. L’autre objectif stratégique, c’est la naissance d’une zone agro-industrielle où l’électricité produite par le barrage sera vendue au prix le plus bas possible pour que les industries puissent se développer. Nous avons arrêté le principe que l’électricité qui sera vendue dans la zone agro-industrielle de Samandéni aura le même coût que l’électricité vendue dans des pays côtiers comme le Nigeria et le Ghana.

Ce sera donc une sorte de zone franche ?

• Tout à fait. C’est une zone franche que nous allons créer pour que l’énergie ne soit pas une entrave au développement des industries dans notre pays. Vous vous rappelez qu’à chaque rencontre entre le gouvernement et les opérateurs économiques, ce problème d’énergie revenait comme facteur limitant pour le développement de l’industrie dans notre pays. Avec Samandeni donc une réponse est trouvée à cette préoccupation.

Pouvez-vous détailler les différentes composantes du programme et les résultats véritables qu’on en attend ?

• Dans le domaine purement agricole, nous escomptons par an 750 000 tonnes de produits agricoles, 2 millions de litres de lait et, sur le plan industriel, 80 à 100 usines qui pourraient employer des jeunes. Rien que pour les travaux d’aménagement de la zone, la construction du barrage, de la centrale et surtout du canal, nous escomptons créer environ 164 880 emplois. Une zone aménageable de 21 000 ha sera disponible. Par ailleurs, le gonflement du fleuve dans son cour supérieur permettra d’envisager en son aval de réaliser l’autre barrage important qu’est celui de Ouessa qui pourrait atteindre quatre (4) milliards m3 avec une production d’électricité beaucoup plus importante que tout ce qui existe sur notre territoire.

Sur le papier c’est un programme pharaonique. Combien ça va coûter tout cela et quelle est l’efficience en terme de rapport coût-impact ?

• Actuellement, l’étude de faisabilité montre que la rentabilité interne du projet se situe entre 8 et 17%. Donc le programme en lui-même dans les conditions actuelles est rentable à plus d’un titre. Le coût global estimé à l’heure actuelle est de 260 milliards de F CFA hormis les coûts des usines et des hôtels envisagés, étant entendu que les usines et les hôtels relèveront de l’investissement privé.

Mais si les opérateurs privés pour X ou Y raisons ne répondent pas, vous faites quoi ?

• Si les privés n’investissent pas, ce qui m’étonnerait, ce serait une perte pour eux. Je pense qu’ils vont investir parce que les conditions de Samandéni seront des conditions extraordinaires pour eux. Nous avons eu des rencontres avec les opérateurs économiques. Ils ont toujours demandé un accès beaucoup plus facile et moins coûteux à l’électricité. La zone de Samandéni est une aubaine pour eux.

Quelle sera la capacité de production de la centrale hydroélectrique et avez-vous une idée de ce que peut coûter le prix de l’électricité dans cette zone ?

• Nous allons produire annuellement 16 gigawatts-heures. C’est suffisant pour faire tourner la centaine d’usines. Notre objectif est que cette électricité soit vendue le moins cher possible ; presqu’aux mêmes prix que l’électricité servie aux usines des pays côtiers qui sont les moins chers de la sous-région.

Tout cela c’est encore à l’état de projet. Dans combien d’années véritablement cela va-t-il prendre corps ?

Nous avons déjà quitté le stade de projet pour être sur le terrain. Le travail proprement, dit va commencer par le déguerpissement des populations du site. L’installation de l’entreprise et le début des travaux vont commencer d’ici mai 2008. Au total, pour le barrage et la centrale, les travaux vont durer 42 mois.

Avez-vous une idée des unités industrielles qui vont s’installer dans cette zone de Samandéni ?

• Notre souhait est que les usines qui vont s’installer soient celles qui transforment les productions agro-sylvo-pastorales. Mais nous ne sommes pas fermés, la zone a vocation à recevoir plusieurs types d’industries. Le ministère du commerce et les responsables du programme vont définir les conditions d’installation dans la zone. Par exemple, les filatures seront les bienvenues.

...Ça pourrait par exemple résoudre en partie le problème du coton burkinabè ?

• Absolument ! Cela permettra d’avoir une valeur ajoutée au-delà de l’égrenage sur le coton burkinabè. C’est une des idées fortes de ce programme. Seulement, il faut espérer et insister pour que nos opérateurs économiques développent des initiatives dans ce sens.

Les opérateurs qui doivent ouvrir des usines se signalent–ils comme vous vous voulez ?...

• Certains nous ont déjà approché. Mais puisqu’il s’agit d’initiatives privées, nous attendons vraiment de les voir concrètement à l’œuvre. Je connais 3 à 4 initiatives qui attendent impatiemment Samandéni.

Qu’est-ce qu’il en est de la production piscicole et animale dans le programme de Samandéni ?

• Au niveau halieutique, il faut d’abord savoir que le barrage va avoir une superficie de 153 km2 et une longueur de 50 km. C’est dire que c’est un lac important. En pêche traditionnelle, on peut escompter 1200 tonnes de poisson. Mais en aquaculture, on peut atteindre 5000 tonnes.

Monsieur le ministre, l’un des reproches qu’on vous fait, c’est d’inciter à la production. Les producteurs suivent le mouvement. Mais on a souvent le sentiment qu’en aval on ne prévoit pas des solutions pour l’écoulement des produits. Qu’est-ce qui est fait dans le cadre du programme de Samandéni pour pallier ce problème qui décourage parfois les producteurs ?

• Vous avez parfaitement raison parce qu’aujourd’hui si la production agricole n’est pas liée à la transformation et à la commercialisation, nous aurons des difficultés et on retombera uniquement dans l’agriculture de subsistance. C’est pourquoi Samandéni a été conçu pour d’une part avoir des possibilités de productions agricoles modernes et vastes, et d’autre part obtenir la transformation des produits et leur commercialisation. Maintenant, il faut préciser que nous sommes dans un système libéral. L’Etat n’intervient pas dans la commercialisation et la transformation. Il faut l’initiative privée. L’Etat ne peut que donner des orientations et des appuis. Le problème c’est que dans notre pays, nous n’avons pas encore une base d’opérateurs privés dans le domaine des industries de transformation. C’est aujourd’hui une préoccupation. Nous avons poussé les producteurs à faire de la tomate. L’année dernière, j’ai été personnellement meurtri de voir que dans certaines régions, la charretée de tomates était à 1500 FCFA. C’est vraiment des pertes sèches pour les producteurs et l’ensemble même du pays. La transformation et l’écoulement des produits sont des secteurs où il nous reste encore beaucoup à faire.

Il est également prévu un hôtel touristique sur la rive gauche du barrage. Quel objectif vise l’implantation de cet hôtel dans une zone à vocation de production surtout ?

• Il existe un volet touristique dans le programme. Mais je tiens à dire qu’il n’appartient pas à l’Etat d’ériger des hôtels. Le site a été déterminé dans le cadre des études que nous avons réalisées. Et nous avons trouvé un très beau site situé sur les hauteurs du pic de Diéfourma. L’étude a montré qu’un hôtel placé en ces lieux allait donner une vocation touristique à l’ensemble de la zone. Nous invitons les privés burkinabé de l’hôtellerie à prendre d’assaut cet endroit et à bénéficier des mesures incitatives de cette zone franche. L’idée qui se profile derrière, c’est qu’avec la création des usines et des commerces, nécessairement des visiteurs seront de passage et chercheront à se loger. Donc un hôtel sur ces hauteurs complètera l’ensemble du dispositif. Samandéni est un programme évolutif, dynamique et nous devons inciter l’initiative privée dans cette zone.

Il y a un autre problème auquel on pourrait être confronté, la zone franche ne va-t-elle pas pousser à la délocalisation des industries de Bobo et de Ouaga vers Samandéni ?

• Actuellement dans notre pays, on n’a pas beaucoup d’industries en dehors des usines d’égrenage. Il faut que de nouvelles usines se créent. Je pense que celles qui existent ne vont pas se délocaliser, mais que leurs promoteurs pourront aller à Samandéni pour développer d’autres initiatives. Le faible coût de l’électricité et les autres détaxes pourront les y inciter.

Il est souvent question du développement économique de la région de Bobo. Dans quelle mesure le programme de Samandéni peut impulser davantage le décollage économique de Bobo qui est à la fois un problème économique et politique ?

• Je pense que Samandéni est une réponse concrète aux revendications de la population de Bobo. C’est un investissement colossal. Mais nous ne devons pas oublier que Samandéni est conçu également pour l’ensemble du pays. Parce que l’impact de ce programme doit se ressentir sur l’ensemble de l’économie nationale. Si effectivement nous parvenons à y créer une zone industrielle, les emplois qui seront créés et les productions de la zone auront un impact sur l’ensemble de l’économie nationale. Pour moi, Samandéni va être un point d’appui du développement de la région de Bobo, mais également de tout le Burkina.

Le coût du programme est estimé à 260 milliards FCFA. Qui sont les bailleurs ? Est-ce que l’argent est déjà mobilisé ? Les financements sont-ils sous forme de dons, de prêts ou de subventions ?

• Nous avons beaucoup de bailleurs dont principalement :
la Banque islamique de développement (BID) ;
la Banque d’investissement de la CEDEAO (BIDC) ;
le Fonds saoudien ;
la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) ;
le Fonds koweitien ;
le Fonds de l’OPEP ;
le Fonds d’Abu Dabi ;
la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Ce sont là les principaux bailleurs de la première phase du programme. Pour le barrage, la centrale électrique et les premiers 1500 ha, les financements sont bouclés.

En quoi consiste cette première phase ?

• Elle consiste en la construction du barrage, de la centrale électrique et de l’aménagement des 100 premiers ha de la zone agro-industrielle. Puis, nous entamerons la deuxième phase avec la construction du canal.

Il y a aussi le problème de l’impact du barrage sur les populations concernées. Le déménagement des villages par exemple concerne combien de personnes et les populations sont-elles indemnisées ?

• Huit villages vont être déménagés pour un total de 12 à 14 mille personnes. Le dédommagement de ces villages est de 2,5 milliards FCFA. Nous allons recaser les populations sur d’autres sites

Est-ce qu’on a une idée de ces villages ?

• On a huit villages concernés que sont Diéfourma, Sinfra, Nablodiassa, Mangafesso, Banakorosso, Kokoro, Sabina et Sougalodaga. En ce qui concerne les deux derniers villages, ce sont des champs et des vergers qui seront touchés.

En quoi vont consister les indemnisations ? Va-t-on distribuer les 2,5 milliards par tête de pipe ou bien comment cela se fera-t-il ?

• L’indemnisation comporte deux volets. Nous allons refaire tous les investissements communautaires de ces villages. C’est dire que nous allons reconstruire pour eux les écoles, les dispensaires, les marchés, etc. Le deuxième volet, c’est l’indemnisation des personnes ayant déjà de gros investissements dans ces villages. Il y a des producteurs qui ont réalisé des investissements privés importants, des vergers notamment. Nous avons donc fait un recensement de ces investissements. Nous avons compté jusqu’aux arbres dans chaque verger. Nous avons arrêté le coût de chaque arbre en fonction de sa nature. Chaque individu détenteur d’un patrimoine sera indemnisé. Trois bureaux d’études se sont succédé pour rencontrer les populations. Il y a eu des débats. Depuis deux ans, on ne fait que ça. S’il y a une tâche qui a retardé le programme, c’est cet aspect, mais il fallait le faire. On discute depuis deux ans avec ces producteurs qui, maintenant, adhèrent véritablement à ce programme.

Propos recueillis par San Evariste Barro

L’Observateur

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