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Procès d’Hissein Habré : C’est le fonds qui manque le moins

Publié le mercredi 23 janvier 2008 à 10h15min

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Hier, c’est-à-dire en février 2003, c’est le dictateur serbe Sloban Milosevic qui a comparu devant le tribunal pénal international de la Haye, jusqu’à son décès mystérieux en cellule. Si à l’époque, beaucoup doutaient que cet exemple fasse boule de neige, de plus en plus de dirigeants sont soit dans les starkings blocks judiciaires ou carrément à la barre.

D’aucuns avaient cru résoudre ce casse-tête politique, à l’instar de l’opposant guinéen Alpha Condé, qui proposait aux adeptes du pouvoir ad vitam aeternam de céder leur place en échange de l’immunité ou de l’impunité, c’est selon. Bien avant cette idée du patron du Rassemblement du peuple guinéen (RPG), de nombreux hommes politiques qui ont rongé leur frein pendant des décennies sans parvenir à déboulonner le locataire de la présidence avaient pensé également à ce scénario.

"Si vous acceptez de quitter le pouvoir au terme de votre mandat, vous ne serez jamais ni jugé ni même convoqué devant un tribunal", voilà résumé de façon triviale la proposition de ces opposants. Longtemps partisans du pire en matière judiciaire pour le "dictateur", voué aux gémonies, les opposants africains ont donc évolué dans leur combat politique. D’où cette étrange proposition de l’immunité juridictionnelle pendant et après l’exercice des fonctions de chef d’Etat.

Pour "inacceptable" qu’elle soit, cette perche tendue aux chefs d’Etat en fonction depuis des années a gagné l’approbation de quelques-uns dont certains ont regretté par la suite, s’étant sentis trahis par ceux-là même qui leur ont donné cette garantie. Un Frédéric Chiluba de la Zambie, qui a parrainé pratiquement son successeur, Levy Mwanawassa, a dû croire avoir la berlue quand un matin, un juge lui a signifié qu’il devait venir répondre de chefs d’accusation d’enrichissements illicites et de crimes économiques.

Aujourd’hui, Charles Taylor, dont le procès a recommencé le 7 janvier 2009 devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), doit ressentir la même rage de s’être laissé ainsi piégé.

Certes dans son cas, c’est l’Oncle Sam qui lui avait lancé un ultimatum de quitter le pouvoir sous peine d’en être chassé par les boys américains. Mais de là où il était, n’aurait-il pas préféré tomber les armes à la main que de subir pareille infamie, dont l’issue est pratiquement connue : quelque soit le poids des arguments à sa décharge, il est peu probable que celui que les Libériens appellent "Freedom Fighter" échappe aux "dix ans de prison", peine maximum prévue pour son cas.

Et pourtant, Charles Taylor aurait pu, depuis sa première salve en décembre 1989 contre les miliciens Krahns de Samuel Doe et son accession au pouvoir, demeurer président jusqu’à sa mort. Sans doute aussi qu’il a aidé l’ancien caporal Foaday Sankoh du Front révolutionnaire uni (RUF) à s’imposer en Sierra Leone. Donc il n’est pas blanc comme neige.

Mais incontestablement le fait d’accepter d’aller en exil doré à Calabar au Nigeria pour que la paix revienne au Liberia est un grand geste de la part d’un ex-seigneur de guerre de la trempe du célèbre rouquin de Monrovia.

Et encore, quelle raison avait-il de ne pas croire en la parole d’Olesegun Obasanjo, le chef de l’Etat nigérian et chouchou des USA ? Ce dernier ne lui a-t-il pas promis que jamais, il ne serait livré à une justice et que son départ volontaire absout tous les délits commis ?

En tout cas, Taylor doit ressasser avec amertume tous ces aspects de sa trajectoire et se demander si entre tomber les armes à la main à la tête de ses combattants du National patriotic front of Liberia (NPFL) et finir dans une cellule dans un pays européen, quelle est la plus "honorable" sortie pour lui.

Demain, ce sera peut-être Hissein Habré, l’ex-président tchadien, qui comparaîtra devant un tribunal, sénégalais. En effet, après moult tergiversations, celui qui fut renversé en 1990 par son com’chef d’alors, Idriss Déby Itno, sera inculpé à Dakar en 2000. Mais très vite, la justice sénégalaise se déclarera incompétente pour juger cet hôte encombrant.

S’en suivront donc des micmacs procéduriers et des pressions des familles des victimes et d’organisations de droits de l’homme, puis un juge belge, au nom de la compétence universelle (véritable potion magique judiciaire à l’époque), délivrera un mandat d’arrêt international contre l’ancien président en septembre 2005.

Après son arrestation en novembre 2005, un tribunal sénégalais refusera de statuer sur la requête visant son extradition, l’Etat sénégalais demandera alors à l’Union africaine de s’emparer du dossier, en particulier de se prononcer sur la juridiction compétente pour juger Habré. Le verdict de l’UA ne tardera pas à tomber, puisque le 2 juillet 2006, un Comité d’éminents juristes africains a demandé au Sénégal de le juger au nom de... l’Afrique.

En février 2007, le chef de l’Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, promulguait de nouvelles lois permettant de juger des faits de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerres... y compris commis en dehors du Sénégal. Subrepticement donc l’étau se resserre autour d’Hissein Habré, même si rien n’est gagné d’avance (1).

Seul hic, et comme l’a laissé entendre en substance Cheick Tidiane Gadio, le ministre sénégalais des Affaires étrangères lors du premier sommet de l’UA en juillet 2007 à Accra, ce procès prendra 2 ou 3 ans, car outre la quantité de documents et de témoins à réunir, la question financière reste pendante. L’instruction à elle seule coûtera 28 millions d’euros, et 1,5 million d’euros devront être alloués à ce procès.

L’Union européenne, dont une délégation a séjourné le 20 janvier 2007 à Dakar, est prête à mettre la main à la poche. Ce qui lèvera sans doute un des derniers obstacles à ce procès très attendu.

Il faut juger Hissein Habré pour rendre justice aux 1 208 personnes mortes en détention et aux 12 321 victimes de violations des droits humains.

Attention cependant à la justice "revancharde", car si actuellement le procès de Charles Taylor suscite tant la polémique, c’est moins du fait du jugement en lui-même que du lieu où il se déroule. L’argument brandi par le chef de l’Etat libérien, Searleaf-Johnson Hellen, à savoir"la crainte de troubles qu’auraient provoqués ses partisans si ce procès se déroulait au Liberia ou en Sierra Leone" est certes fondé, mais avait-on besoin de l’envoyer jusqu’au Pays-Bas ? N’y avait-il pas un pays africain (le Nigeria par exemple où il était en exil) pour le juger ?

Car si de nombreux africains et même l’opinion internationale sont d’accord pour que justice se fasse, celle à vitesse variable (n’oublions pas que la justice est toujours celle des forts du moment) rebute : Saddam Hussein, qui n’était pas un enfant de cœur suspendu au gibet, plus loin Mussolini pendu à un croc de boucher, Haïlé Sélassié assassiné par le Derg éthiopien... autant d’exemples de justice "barbare", autant d’images qui ne passent pas.

C’est pourquoi il faut saluer le courage de l’Etat sénégalais d’abord et de l’UA également, qui ont décidé de prendre leurs responsabilités pour juger un Africain en Afrique, une occasion aussi de montrer que la justice africaine quoique parfois décriée comme partiale existe, et surtout que le cas Habré peut faire jurisprudence sur le continent noir.

Z. Dieudonné Zoungrana

L’Observateur

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