LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Marchés financiers : “Si ce n’est un crash boursier, c’est au moins une crise boursière”, selon Léopold Ouédraogo, directeur de l’antenne nationale de la BRVM

Publié le mercredi 23 janvier 2008 à 10h07min

PARTAGER :                          

Léopold Ouédraogo

Lundi noir sur les marchés financiers, qui ont assisté presque impuissants à l’effondrement des cours des actions dû à la crise des “Subprime”, les crédits immobiliers à risque. Certains analystes parlent de récessions économiques, d’autres évoquent un crash boursier. Mais, quel impact peut avoir une crise financière qui secoue les marchés européens, américains ou asiatiques, elle qui paraît si lointaine et si proche de nous, sur les places boursières et les économies de nos pays ?

Le directeur de l’antenne nationale de la Bourse régionale des valeurs mobilières, Léopold Ouédraogo, donne des éclaircissements dans l’interview accordée hier matin à Sidwaya : “L’impact est marginal pour nos places boursières mais alarmant pour celles d’Europe et d’Amérique et leurs économies”.

S. : Ces derniers temps, on a assisté à un effondrement des cours des actions sur les marchés financiers en Europe, en Asie... dû à la crise des “Subprime” aux Etats-Unis. Qu’est-ce qui explique cela ?

L.O. : Les Etats-Unis sont à l’origine de cette crise. Quand on connaît l’importance de l’économie et de la finance américaine sur le reste du monde, on ne doit pas être surpris que les conséquences se ressentent partout. Les “Subprimes” sont des crédits hypothécaires. Ce sont des prêts accordés à des clients qui n’auraient pas eu ces crédits, si on devait tenir compte de leur situation financière. Ce sont des crédits à risque dans la mesure où on accorde des prêts à quelqu’un qui normalement ne peut pas prétendre à ce prêt à cause du montant ou de sa situation financière. L’essentiel de ces crédits était basé sur des hypothèques de maison. L’emprunteur fait un prêt à un client pour acheter une maison. Le fait que cette personne n’a pas la capacité pour acquérir cette maison, on fait alors un montage pour permettre à celle-ci d’acheter ce local qui sert de garantie à son prêt.

Les taux d’intérêts de ces prêts sont variables avec un système de promotion qui fait que ces personnes ne paient pas dans l’immédiat le principal (le remboursement). Ainsi, même avec un petit salaire, vous pouvez prétendre à de l’immobilier de valeur importante. Ce système a attiré beaucoup de ménages à revenus modestes aux USA. De 2001 à 2006, les “Subprimes” sont passés de 200 milliards à 600 milliards de dollars US si bien que la progression de l’activité a été telle qu’on assiste aujourd’hui à une explosion encouragée par une loi américaine obligeant les Banques à faire des prêts à des gens à faibles revenus. On a créé une économie de “Subprime”, certaines sociétés s’y sont spécialisées avec des banques comme actionnaires.

Le système fonctionne bien quand le prix de l’immobilier flambe puisque sa garantie constitue le coût de la maison. Par contre, quand les taux d’intérêts se stabilisent alors que de 2000 à 2006, la Banque centrale américaine (FED) a augmenté ses taux directeurs de 1 à 5% ; donc les remboursements qui se faisaient sur des taux variables vont augmenter car indexés aux taux de la FED, avec une prime importante pour tenir compte du risque. Du coup, des gens qui payaient des sommes relativement faibles, doivent désormais rembourser de grosses sommes. L’autre situation défavorable est qu’à partir de 2006, les cours immobiliers ont commencé à stagner et à baisser. Donc, ceux qui ont contracté des “Subprimes” se voient remboursé des prêts sur des immeubles qui ont perdu leur valeur. C’est comme si on disait de rembourser 100 millions sur la base d’un immeuble qui ne vaut plus 60 millions. Cette situation à eu pour effet, le fait que la majorité des gens ayant souscrit aux prêts n’étaient plus en mesure de les rembourser. Or ces prêts hypothécaires placés par des sociétés avaient été titrisés, c’est-à-dire que les créances furent traduites en titres, revendus sur les marchés financiers.

Des investisseurs, des particuliers et des entreprises ont acheté ces prêts extrêmement rentables au départ car comprenant des titres de pensions, des organismes collectifs de placement en valeurs mobilières, banques... Le patrimoine de ces divers acteurs s’est retrouvé amoindri suite au fait que ceux qui, ayant contracté des prêts ne peuvent plus les rembourser. Il faut aussi tenir compte du fait qu’aux Etats-Unis existent des banques appartenant à d’autres pays, donc internationales. C’est pour cette raison que le phénomène s’est exporté sur d’autres places financières en Europe, en Asie avec des banques qui ont pris des titres ou qui ont participé à la naissance de sociétés spécialisées dans les prêts à risque. Il y a aussi le fait que des banques américaines sont implantées ailleurs à travers le monde. C’est de cette façon que s’est faite la transmission de la crise vers l’extérieur. L’interpénétration des systèmes financiers explique pourquoi la crise se généralise au plan mondial.

S : Est-ce seulement une crise financière ?

L.O : On essaie de le croire. Parce que théoriquement, les entreprises, l’économie réelle liée à la production et à la vente des biens fonctionne normalement même si les cours des actions de celles-ci baissent sur le marché financier. Mais, on a peur que la crise financière ait une répercussion importante sur l’économie réelle au regard de leur interrelation. L’économie réelle reste liée au marché financier en ce sens que ce sont les produits de ce dernier qui permettent son refinancement.

S : Dans ce cas, quelles peuvent être les répercussions possibles sur l’économie réelle ?

L.O : Puisque les banques ont des participations dans les structures de placement des prêts à risque, ou ont acheté des actions basées sur les créances hypothécaires, la méfiance fait que le marché monétaire interbancaire a pris un coup. Comme elles ne se font plus confiance, il se pose maintenant un problème de liquidités des banques. Car les banques ne se prêtent plus les unes aux autres et vice-versa. C’est pour cela que les banques centrales sont intervenues en injectant de la liquidité dans le système en vue d’éviter qu’il ait les faillites ou les blocages des banques.

S : A l’heure actuelle, peut-on parler de récession économique ou de crash boursier ?

L.O : Si ce n’est un crash boursier, c’est au moins une crise boursière même si on espère très fortement qu’elle soit passagère. De toute façon, on paie toujours les erreurs financières. Les conditions étaient réunies pour que la bulle immobilière éclate en raison du désintérêt consécutif à la hausse des taux d’intérêts. C’est ce qui explique le fait que le marché a commencé à dégonfler, faute de nouveaux acheteurs. Donc au regard de l’amplitude des baisses, on peut au moins parler d’une crise boursière. Sur la bourse de Bombay (Inde), on a enregistré une baisse de 9,75 %. Mais, il faut relativer parce que cette bourse a pris 47% en 2007, donc le différentiel reste positif. Pour les économies européennes et américaines, la situation est alarmante. C’est une crise sérieuse. Ceci dit, la bourse a toujours fonctionné ainsi avec des récessions brusques. Mais en définitive quand elles ne touchent pas l’économie réelle, ces crises sont passagères.

S : La crise des “subprimes” a-t-elle eu des effets sur les marchés boursiers et sur les économies en Afrique ?

L.O : En dehors de l’absence de liquidité qui peut naître de cette crise et en raison du climat de méfiance entre les banques et de la peur d’investir, la crise des “Subprime” n’a pas de répercussions sur nos marchés financiers. Comme notre système n’est pas connecté au marché mondial, en dehors de la bourse d’Afrique du Sud qui va probablement ressentir les effets de la crise, les autres bourses sont telles que les effets de la crise seront très marginaux. Hier (NDLR, l’entretien a eu lieu le mardi 22 janvier 2008), l’indice des valeurs mobilières n’a ni baissé, ni augmenté. Mieux, nous avons enregistré des transactions d’une valeur d’environ 2 milliards de F CFA. Il n’y a pas eu une crainte des acteurs qui a entraîné une vente massive des titres à l’image de ce qu’ont vécu d’autres places financières. Beaucoup de structures financières ici n’ont pas de façon directe souscrit aux titres basés sur les prêts à risque aux Etats-Unis. Donc, elles ne devraient pas souffrir de cette crise. Le marché financier ne devrait pas logiquement en pâtir de cette crise. Les fonds de pension qui auraient pu être des vecteurs d’exportation de cette crise vers notre zone financière n’ont que des investissements marginaux au regard de l’ensemble de leur portefeuille. Ce serait illogique que ces fonds de pension liquident leurs positions rentables ici pour rester sur d’autres déficitaires en Europe et en Amérique. Le seul impact de cette crise qui pourrait atteindre l’Afrique serait une crise de liquidité au plan mondial avec des incidences sur le rapatriement des fonds vers l’Afrique.

S : On a pourtant parlé de lundi noir sur les marchés boursiers en référence au jeudi noir de la crise économique de 1929. Quel commentaire vous suggère ces allégations ?

L.O : Nous sommes loin du contexte économique et financier de 1929. Les économies fonctionnent normalement, les entreprises produisent et vendent alors qu’en 1929, il y avait une paralysie générale, les entreprises produisaient et ne vendaient pas. C’était une crise de surproduction marquée par un blocage de l’économie réelle. Mais là, c’est l’huile qui devrait permettre à la machine de l’économie de fonctionner qui manque et non une panne du moteur.

Interview réalisée
par S. Nadoun COULIBALY
coulinad@hotmail.com

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)