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Kadhafi à Ouagadougou : Le Guide serait-il venu s’offrir des complices pour expulser près de 2 millions d’Africains ?

Publié le lundi 21 janvier 2008 à 11h46min

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Rompant avec ses habitudes, le « Guide » libyen est venu à Ouagadougou, sans battage médiatique, sans la caravane habituelle traversant le désert avec cortège, chameaux et tout le tralala. La voie choisie pour rallier la capitale burkinabé sera celle des airs. Pourquoi un tel déplacement et dans ces conditions ? Il fallait s’attendre à ce que la question interpelle bien de Burkinabé.

Blaise Compaoré a fait savoir que c’était lui qui l’avait fait venir en qualité d’invité spécial au Sommet de la CEDEAO. Il aurait en fait voulu, pour la circonstance, placer Kadhafi au cœur de l’évènement comme on le ferait d’une cerise sur un gâteau. Cela n’a pas empêché de se demander qu’est-ce que Kadhafi avait à voir avec la CEDEAO et de tourner les pensées vers d’autres pensées et d’autres réponses plus pertinentes ?

Pour quelques-uns, cette visite qui venait après la vexation de Kadhafi par rapport à la démarcation de Blaise Compaoré au sujet de son discours à Accra sur l’union africaine et à la non-assistance de l’avion présidentiel burkinabé qui
survolait la Libye pour le Portugal par les autorités libyennes, avait tout d’une démarche visant à recoller les morceaux : Kadhafi serait en quelque sorte venu à Canossa ; il se serait rendu auprès de Blaise Compaoré, auquel même un puissant comme lui, ne peut pas sans risque faire la tête et encore moins, s’attaquer. Là, on comprendra qu’on en fait un peu trop en poussant le bouchon ou en jouant de la brosse à reluire.

Pour d’autres, qu’on pourrait plus à prendre au sérieux, le « Guide » serait venu pour éviter une fracture au sein de la CEDEAO qui ne pourrait qu’en entraîner d’autres au sein de la CENSAD, et la cause de cette fracture ne pouvant que découler de la mésentente quant au choix du patron de la BCEAO par l’UEMOA. Comme Kadhafi ne manque pas de moyens de persuasion et de pression sur tout ce beau monde, il pouvait trouver la manière de faire entendre à tous, raison. Mais il est peu probable, quand on connaît aussi certaines fortes têtes qui composent la CEDEAO, que cette explication soit la bonne.
Mais alors pourquoi est-il venu ?

Pour relancer son éternel combat en faveur de l’union africaine. Le cadre était bien choisi. Devant ce panel de chefs d’Etat, il pouvait, en bon prédicateur, infatigable, revenant toujours sur l’ouvrage, faire comprendre l’urgence à réaliser l’union pour ne pas être évacué par l’histoire. Mais bien que cette proposition soit plausible et souhaitable, le moment ne semble pas choisi pour mener une telle discussion, l’approche diplomatique personnalisée paraissant plus indiquée en l’occasion.

Alors, procédant toujours par élimination, il en est qui soutiennent que si le patron de la Jamahiriya arabe libyenne a atterri à Ouagadougou, quasiment toutes affaires cessantes, c’est parce que le feu brûle quelque part, et ce pourrait être à La Haye avec cette satanée affaire Taylor.

On en compte qui se réveillent le matin en espérant entendre des témoignages ressortir l’implication d’un Kadhafi, d’un Compaoré… Ceux-là sont persuadés, tellement il y a à leurs yeux des éléments à charge contre ces chefs d’Etat et bien d’autres, que le procès ne peut pas se terminer ainsi en queue de poisson avec la seule mise en cause du seul Taylor. Et pour ceux-là, Kadhafi préférant prévenir que guérir, pourrait avoir fait le déplacement dans l’optique de préparer des alibis en béton.

Mais quand on pense à la cour effrénée dont le « Guide » est l’objet autant qu’aux désagréments que pourraient connaître certains grands de ce monde par le fait d’un quelconque appel en cause de sa personne à La Haye, on est tenté de dire que là aussi, n’est pas l’explication de la venue de Kadhafi à Ouagadougou.

Quel mystère cache donc cette visite ? Peut-être finalement cette sombre affaire d’expulsion de 2 millions d’Africains dont la plupart sont sub-sahariens. Face à cette méga expulsion de la part d’un homme qui passe pour le plus grand pourfendeur des pays qui montrent de l’ingratitude envers les immigrés (ne vient-il pas justement de faire la leçon aux Français lors de sa visite controversée dans l’Hexagone ?), nous avons affaire à une question de taille. Elle aura des répercussions politiques, économiques et sociales sur les pays de retour ; elle risque de constituer comme un blanc-seing pour nombre de pays développés qui rechignaient encore pour des questions humanitaires, de gestion des opinions, à durcir les conditions d’entrée et de résidence des immigrés. Si quelqu’un comme Kadhafi peut se permettre de bouter hors de la Libye jusqu’à 2 millions d’immigrés sans qu’on ne « oufe » sur le continent, alors ce n’est pas à Hortefeux qu’on en voudra de soulager annuellement la France de quelques 25.000 de ces indésirables ! Kadhafi pourrait effectivement avoir effectué ce déplacement pour tenter d’expliquer sa position à ses pairs, pour tenter aussi, pourquoi pas, avec les possibilités qu’on lui connaît, de s’aménager sinon leur soutien, leur silence. Mais le pourra-t-il lorsque déjà, ici et là, sourdent des protestations qui risquent de gagner en puissance si jamais son projet continuait à être mis à exécution ? Dans certains pays, on ne se cache pas pour dire que cette expulsion est la contrepartie du pont d’or qui lui a été fait en France et en Europe pour permettre son insertion dans la communauté internationale.

Le débat ne fait que commencer car s’il est une matière qui, jusqu’à preuve du contraire, est au-dessus des pressions financières, médiatiques, politiques, diplomatiques que peuvent exercer les puissants de ce monde, c’est bien celle liée à l’immigration. Cet appel du large, qui prend aux tripes les damnés de la terre et qui les amène à affronter les plus grands défis pour atteindre les espaces où les herbes leur paraissent plus vertes, est si fort que le retour de manivelle risque d’être très dur pour Kadhafi comme pour tous ceux qui, pour le coup, tenteraient de lui sauver la mise. En attendant la suite, il faut délivrer un carton rouge aux chefs d’Etat de l’UEMOA et de la CEDEAO qui auraient dû saisir l’occasion pour obtenir des clarifications de Kadhafi sur son projet et plus encore, pour s’en démarquer le plus nettement possible aux yeux de l’opinion africaine et mondiale !

La Rédaction

San Finna

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