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Moustapha Kamara : Transfert de footballeurs : « Les Africains se font piéger par des agents véreux »

Publié le lundi 21 janvier 2008 à 10h25min

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Moustapha Kamara

Les amoureux du ballon vibrent depuis hier au rythme de la phase finale de la 26e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui se déroule du 20 janvier au 10 février 2008 au Ghana. En dépit de l’incertitude qui caractérise le sport et fait sa beauté, beaucoup d’observateurs n’ont pas hésité à faire des pronostiques sur les sélections susceptibles de remporter le trophée continental au soir du 10 février. Il s’agit notamment des sélections du Ghana, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de l’Egypte, du Nigeria…

En regardant de près ces équipes, on s’aperçoit qu’elles ont toutes la particularité d’être composées presque totalement de joueurs évoluant à l’étranger. Aucun joueur du championnat national ne figure dans les 23 présélectionnés du Mali, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Le Cameroun en compte 1, le Ghana 2, l’Angola 7 et le Bénin 5.

Pour de nombreux footballeurs africains, l’expatriation, de préférence en Europe reste la seule alternative pour mener un belle carrière et gagner convenablement sa vie. Au Ghana, le spectacle n’attirera pas que des spectateurs, des recruteurs officiels et officieux vont également faire le déplacement dans l’espoir de détecter et recruter de jeunes talents.

La formation et les transferts de joueurs sont devenus des activités très lucratives et qui constituent de substantielles sources de revenus pour les clubs. Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, le football professionnel fonctionne sur des bases juridiques contestables. C’est ce que soutient Moustapha Kamara, auteur d’une thèse de droit sur le sujet et publiée aux éditions L’Harmattan (1). Qu’il s’agisse des transferts, de l’indemnisation des clubs formateurs, des clauses liant les joueurs aux clubs, du rôle des agents, l’auteur montre l’urgence de clarifier les règles du jeu afin d’assainir un secteur qui défraie régulièrement la chronique. Pour tous les footballeurs professionnels, particulièrement les africains évoluant en Europe, ce livre constitue un précieux outil dans la défense de leurs intérêts.
Explications avec ce jeune avocat du sport de 36 ans, originaire de Tambacounda, au Sénégal, lauréat 2008 du Grand prix de l’Union des clubs professionnels de football français pour « la meilleure contribution universitaire en droit du sport »

Qu’est-ce qui vous a motivés à consacrer une thèse aux opérations de transferts des footballeurs ?

Je me suis intéressé au sujet pour deux raisons : d’abord le nombre de footballeurs africains qui s’expatrient, notamment en Europe, augmente d’année en année. En 2006, on dénombrait ainsi près de 677 footballeurs africains professionnels dans les championnats européens sans compter les amateurs qui se comptent aussi par milliers.
Ensuite, le sport se modernise en Afrique, prend beaucoup d’ampleur et pèse économiquement. Enfin, j’ai participé à plusieurs colloques sur les transferts des joueurs et j’ai pu me rendre compte que beaucoup de gens ne savent pas ce que veut dire un transfert au plan juridique. Pourtant, il y a 3500 transferts dans le monde par an générant 2 milliards d’euros, mais la base juridique de ces opérations n’est pas clairement établie. Du coup, chacun fait ce qu’il veut

Justement, dans votre livre, vous dites que les transferts des footballeurs professionnels se font sur des bases juridiques assez floues…

Tout a fait ! Et j’ai voulu dans ce livre donner une qualification aux transferts, leur donner une base juridique en évoquant les problèmes liés de l’indemnisation de la formation, aux conditions de transferts d’un club à un autre et les modalités de rupture du contrat. Il y a beaucoup de jeunes qui sont formés dans les centres de formation aussi bien européens qu’africains, et qui sont dépouillés par des recruteurs sans foi ni loi. Il faut donc bien trouver une solution pour que ces centres soient vraiment récompensés à la hauteur de leurs efforts.

Quel est le coût moyen de la formation d’un joueur et comment rémunérer les centres de formation ?

Il faut savoir qu’en moyenne, sur 40 jeunes qui entrent chaque année dans un centre de formation, seulement 2 deviennent des professionnels. Et en France par exemple, chaque centre investit en moyenne 6 millions d’euros (un peu moins de 4 milliards de F CFA) par an pour un formation qui dure en moyenne 4 ans, ce qui fait 24 millions d’euros pour assurer la formation complète un jeune footballeur.
Or, le règlement de la Fédération internationale de football association (FIFA) du 1er septembre 2001 et du 1er juillet 2005 ne prévoit qu’une indemnisation pour les jeunes dont la formation est réussie, c’est à dire ceux qui deviennent professionnels. Même pour eux, la FIFA ne prévoit pour les clubs européens de catégorie 1 que seulement 90 000 euros d’indemnités compensatoires alors que le club a investit 24 millions en 4 ans ! Quant aux centres de formations africains qui sont de catégorie 2, l’indemnité est fixée à 30 000 euros. Ca paraît injuste mais il y a une explication. La FIFA a demandé aux centres de formation dans les pays où existe un championnat professionnel de lui communiquer les coûts de formation. Or, si en Europe il y a des championnats professionnels, ce n’est pas le cas en Afrique, et là il est difficile d’évaluer le coût de la formation.
Néanmoins, il existe une loi en France qui oblige tout jeune joueur formé dans un centre à signer un contrat d’une durée de 3 trois ans dans le club propriétaire du centre. Et s’il refuse, il ne pourra pas évoluer dans un autre club français, mais il peut bien contourner la loi en allant signer dans un club étranger. Il faut donc une harmonisation de cette loi au niveau européen

Quelles sont les règles qui encadrent les centres de formation ?

Juridiquement, le problème se pose de la façon suivante : en Europe, les clubs sont constitués de deux structures : Il y a la société sportive qui s’occupe de tout ce qui est gestion professionnelle, participation au championnat professionnel, contrats de travail, puis il y a l’association sportive qui s’occupe des centres de formation. Cette dernière a un statut associatif. Dans la plupart des pays africains où il n’y a pas de championnat professionnel, il n’existe pas de société sportive, mais seulement des associations sportives qui ont les centres de formation. Pis, on a des personnes physiques qui créent des centres de formation dans les quartiers, sans agréments de la Fédération nationale de football et du ministère en charge des sporst. A Dakar, au Sénégal, des gens qui ont de l’argent créent des centres de formation dans les quartiers, forment des jeunes et essaient de les vendre dans les pays où existe un championnat professionnel ! Ces gens là créent des associations dont dépend le centre de formation et quand il y a transfert, les clubs acquéreurs de footballeurs discutent avec l’association. C’est l’anarchie totale…Pour mettre fin à ce désordre, un pays comme le Sénégal travaille actuellement à créer un championnat professionnel, ce qui obligera les clubs à avoir une société sportive et une association qui va s’occuper des centres de formation avec l’obligation de demander un agrément à la Fédération sénégalaise de football

Parmi ceux qui assistent actuellement à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) au Ghana, il y a des recruteurs, venus détecter des talents. Quelles précautions faut-il prendre face à certains vendeurs de rêve ?

Premièrement, le joueur doit s’assurer que le contrat qu’on lui propose est écrit dans une langue qu’il comprend, car certains signent des contrats sans rien comprendre à la langue dans laquelle le contrat est écrit. Deuxièmement, quand on lui propose une période d’essai, qu’il exige un billet aller-retour car si le test ne réussit pas, le jeune n’intéresse plus le club et refuse de lui payer un billet retour. C’est comme ça qu’on fabrique des clandestins. Quand le test est réussie, il doit retourner au pays demander un visa longue durée. Il lui sera alors délivré une carte de séjour d’un an, et au bout de trois ans de renouvellement, il peut demander la carte de résidence de dix ans. Après cinq années, il peut demander la naturalisation et s’il est talentueux, le soutien du club et de la ville peut accélérer la procédure.

Troisièmement, le joueur n’est pas obligé d’avoir un agent car la FIFA autorise les parents (frère, cousin) à le représenter sans avoir la licence. La FIFA prévoit également qu’un avocat peut l’assister car, si c’est un joueur qui est très talentueux, il n’a pas vraiment besoin d’agent ce dernier servant à chercher les clubs. Il peut donc se contenter d’un membre de la famille ou d’un avocat comme le font les footballeurs européens et brésiliens. Mais quant il doit traiter avec un agent, il faut s’assurer qu’il a la licence FIFA afin d’éviter de tomber dans de mauvaises mains. J’insiste sur un point qui me paraît important : il y a des agents qui débarquent en Afrique, contournent les centres de formation et vont traiter directement avec les parents en leur donnant par exemple 5000 euros (plus de 3 millions de F CFA). Dans ce cas, je recommande aux parents de ne se faire assister par un avocat qui va vérifier que l’agent est bien mandaté par un club avant de signer le contrat, car une fois signé, on ne plus rien faire.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, il y a beaucoup d’Africains, parfois des internationaux qui viennent en Europe et qui signent des contrats dans une langue qu’ils ne comprennent pas. De même que beaucoup de jeunes viennent avec juste un billet aller, et croient que seul un agent peut les faire changer de club, ce qui bien évidemment est faux.

L’exemple le plus récent concerne Mustapha Bayal Sall, un international sénégalais qui est à St-Etienne. Dans un premier temps, il a signé un contrat avec un club norvégien sans rien comprendre du contenu des termes du contrat rédigé en norvégien. Par la suite, il a été transféré à St-Etienne par un autre agent alors qu’il est sous contrat avec le club norvégien, ce qui ne se fait pas sans l’accord de son club. Ce qui intéresse cet agent, ce sont les indemnités qu’il va toucher, peu importe que l’opération soit illégale. Conséquence, le joueur est aujourd’hui suspendu pour 4 mois par la FIFA pour rupture unilatérale de contrat suite à la plainte de St-Etienne. Mais pour le club c’est moins grave que pour le joueur, condamné à ne pas jouer pendant 4 mois. Pour un international, c’est sportivement dramatique

La rémunération des agents est-elle réglementée ou est-elle laissée à la discrétion des joueurs ?

Les règles de la FIFA sont claires là-dessus : l’agent doit toucher au maximum 10% du salaire brut par mois du joueur durant toute la durée du contrat. Si, par son intermédiaire un joueur signe dans un club pour deux ans par exemple, l’agent touche 10% du salaire brut du joueur, mais en pratique, les joueurs ne paient que 7%. Hélas, une fois de plus, pour les joueurs africains, certains agents, profitant de leur ignorance, touchent 10% du salaire, mais aussi des indemnités de transfert. Pis, il y a des clubs qui imposent des agents aux joueurs africains, ce qui est aussi illégal car il y a conflit d’intérêts. Comment un agent peut-il défendre convenablement les intérêts du joueur s’il est choisi par le club ?
En général, les joueurs professionnels européens ont un agent, chargé de leur trouver un club, puis un avocat dont le rôle est de négocier et signer les clauses du contrat. Chez de nombreux africains, c’est tout le contraire : l’agent qui prospecte les clubs négocie aussi les clauses du contrat, ce qui n’est pas son rôle car il n’a pas les compétences pour ça. Tout ce qui l’intéresse, ce sont les indemnités qu’il va toucher.

Un footballeur qui ne joue pas assez est-il fondé à rompre son contrat ?

Oui, mais à certaines conditions. D’abord, la FIFA a institué deux périodes durant lesquelles les transferts peuvent s’opérer, l’objectif étant d’assurer l’équilibre de la compétition par la stabilité contractuelle. Ensuite, l’âge du joueur est important dans les opérations de transfert.
S’il a moins de 28 ans, il ne peut rompre son contrat unilatéralement durant les trois premières années, sans l’accord de son club. Sinon, il encourt une sanction sportive et financière. Mais après les trois années, il peut rompre son contrat sans être sanctionné sportivement mais seulement financièrement. S’il a plus de 28 ans, il lui faut attendre deux années avant de pouvoir partir sans l’aval de son club, mais en s’acquittant d’une sanction financière.
A part ces deux, et pour répondre à votre question, il y a ceux qui, effectivement ne jouent pas assez pou X ou Y raison et qui veulent partir. La règle de la FIFA dit que si un joueur ne participe pas à 10% du total des matchs officiels au cours d’une saison, il peut rompre son contrat et partir sans sanction sportive et financière. Si un agent fait croire le contraire, il met la carrière du joueur en péril et malheureusement beaucoup d’Africains en ont été victimes.
Leur péché, c’est de faire trop confiance à leur agent et ce dernier prend d’ailleurs le soin de le couper de tout contact avec les éventuels conseils. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, les problèmes liés au transferts concerne à 95% les joueurs africains, jamais les Européens. En général, ces derniers choisissent un parent et un avocat pour les assister dans la recherche de club et la négociation du contrat.
Je n’ai rien contre les agents, mais il faut savoir que leur rôle n’est pas de négocier les clauses du contrat encore moins de gérer le patrimoine du joueur comme cela arrive. En fin de carrière, des Africains ont subi des redressements fiscaux en France parce que l’agent a fait de mauvais placements et de fausses déclarations fiscales. Pourquoi ne pas faire appel aux services des sociétés spécialisées sur la gestion des patrimoines des sportifs ?

Les entraîneurs des équipes nationales, particulièrement africaines peinent souvent à réunir à temps les éléments sélectionnés. Un club a t-il le droit d’empêcher son employé de rejoindre la sélection nationale ?

Là également règle est claire : la sélection nationale est prioritaire sur le club. Dès lors qu’un joueur reçoit une convocation, il est obligé de répondre positivement, et s’il refuse tout en continuant de jouer dans son club, il est passible de sanction, de même que le club qui l’emploie. Le club est donc obligé de le libérer et le payer durant son absence. Le joueur aussi a l’obligation de rejoindre la sélection nationale, même s’il ne le veut pas.
S’estimant lésés, les clubs ont d’ailleurs porté plainte contre l’UEFA et la FIFA, en demandant que les sélections nationales les indemnisent pour la mise à disposition de leurs employés. Mais si cette requête aboutit, les sélections africaines ne pourront prendre en charge ni les salaires des joueurs ni les frais de santé en cas de blessure. Juridiquement, la requête est illégale, du moins en France où l’article L125-3 du code du travail français, dit que la mise à disposition du joueur salarié doit être fait à titre gratuit. Le président de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas a d’ailleurs été débouté quand il a attaqué la fédération française suite à la blessure d’Eric Abidal au cours d’un match des Bleus. En aucun cas, une sélection nationale ne peut pas payer un club en contrepartie de la mise à disposition d’un joueur.

Interview réalisée Par Joachim Vokouma,
Lefaso.net

(1) Les opérations de transferts de footballeurs professionnels, éd L’Harmattan

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