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Zéphirin Diabré : "Je ne suis pas du RPC mais rien ne me l’interdit"

Publié le vendredi 18 janvier 2008 à 11h10min

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Zéphirin Diabré

Comment vous portez-vous et comment se déroule votre carrière dans le secteur privé ?

Je vais très bien. Ma carrière au sein du groupe AREVA se déroule aussi très bien.

Le groupe AREVA est depuis quelque temps au centre d’un certain nombre de polémiques : tantôt c’est le Président Tandja du Niger qui vous accuse de soutenir les rebelles du MNJ, tantôt c’est le président Bozizé de Centrafrique qui vous accuse d’avoir pris illégalement possession de ses gisements d’uranium. Qu’est-ce qui se passe ?

• Dans les accords qui nous lient au Niger, nos installations minières sont protégées par les forces de sécurité. Cette protection donne lieu à un versement mensuel de perdiems. Ces perdiems étaient gérés par un officier, le capitaine AJITAR, qui commandait l’escadron basé sur le lieu de nos installations. Brusquement, cet officier a choisi de rejoindre la rébellion, avec bien entendu le reliquat des sommes qui lui étaient régulièrement versées.

C’est ça l’histoire. Le montant total des perdiems que nous avons versés se situent entre 75 et 80 millions de francs CFA, sur une période d’environ un an. J’imagine qu’au fur et à mesure que ces versements étaient faits, les soldats étaient payés. Combien restait –il sur le compte au moment de son départ ? Je n’en sais rien.

Je ne suis pas expert en rébellion, mais je suis sûr qu’on ne monte pas une rébellion avec 80 millions de francs CFA ! J’ai eu maintes fois l’occasion de présenter notre version des faits. Nous n’avons aucun intérêt à participer à la déstabilisation du Niger.

Je dois dire que le président Mamadou Tandja a fait montre d’une grande retenue et d’une grande sagesse dans cette affaire. Je tiens à saluer ici la grandeur d’esprit, le sens de la responsabilité et la tolérance toute africaine avec lesquels il a géré et continue de gérer ce malentendu. Dieu merci, la confiance est rétablie.

Oui mais c’est maintenant le MNJ qui semble vous accuser d’avoir pactisé avec le gouvernement de Tandja. Il semble qu’ils menacent même de s’en prendre à vos intérêts ?

Comme toutes les organisations internationales publiques ou privées, quand nous travaillons dans un pays, nous discutons avec l’Etat. Or c’est le pouvoir en place qui peut parler et agir au nom de l’Etat. Nous ne pouvons pas discuter avec des forces parallèles, qui ne représentent pas l’Etat. Cela dit, nous ne portons pas de jugement de valeur sur telle ou telle partie. Et nous ne nous ingérons pas dans les débats politiques internes. C’est l’attitude que nous adoptons partout, que ce soit au Niger ou ailleurs.

On dit aussi que vous achetez l’uranium à un prix très bas ?

En fait pendant longtemps, le prix de l’uranium était très bas parce que le nucléaire n’était plus à la mode. Ce n’était pas la faute d’AREVA. C’est la loi du marché. Depuis 5 ans, le nucléaire est revenu à la mode, et les cours de l’uranium commencent à remonter.

Dans un tel contexte, nous comprenons tout à fait que nos partenaires nigériens demandent une révision à la hausse de son prix d’achat. C’est légitime. Les ressources minières du sous-sol africain doivent profiter aux populations africaines. La semaine dernière, nous avons augmenté de près de 50% le prix d’achat de l’uranium. La question est donc réglée.

Et la Centrafrique ?

Le groupe AREVA y a racheté une compagnie minière canadienne qui s’appelle URAMIN. Cette compagnie possédait des gisements d’uranium en Afrique du Sud, en Namibie, en RCA et dans d’autres pays à travers le monde.

Pour nous, automatiquement, tous ces gisements deviennent notre propriété. Les autorités d’Afrique du Sud et de Namibie nous ont laissé prendre possession des gisements qui se trouvent dans leurs pays. Et les travaux d’exploitation vont être lancés bientôt.

Par contre, nos partenaires centrafricains estiment que nous ne pouvons pas entrer en possession du gisement qui se trouve sur leur territoire, parce que notre transaction pose un certain nombre de problèmes juridiques. Je respecte tout à fait leur position.

Les discussions ont commencé. Je me dois ici de saluer la grande disponibilité et l’esprit d’ouverture du gouvernement centrafricain et plus particulièrement de Son Excellence le président François Bozizé. Sous son autorité et avec ses conseils avisés, je suis sûr que nous allons trouver rapidement un terrain d’entente.

Depuis un certain temps vous semblez distribuer des centrales nucléaires à droite et à gauche : Chine, Libye, Algérie, etc. Or rien ne vient dans notre sous-région. Pourquoi ?

D’abord parmi tous ceux que vous citez, le seul pays où nous avons signé récemment des accords de livraison de centrales nucléaires, c’est la Chine. Pour le reste, ce sont des discussions sur des intentions de coopération. Ensuite, nous répondons à la demande des pays. Si un pays de la sous-région est intéressé par le nucléaire, nous sommes prêts à discuter.

Beaucoup d’observateurs s’inquiètent qu’un pays comme la Libye puisse posséder la technologie nucléaire, eu égard au passé de ce pays et à son implication dans les actes terroristes...

Pour ce qui nous concerne, avec la Libye, il n’a jamais été question de livraison de centrale nucléaire. Nous n’en sommes pas encore là. Les échanges que nous avons eus à ce jour avec elle portent sur des demandes d’informations. La partie libyenne recherche des informations sur la possibilité de dessaler l’eau de mer avec l’électricité produite par une centrale nucléaire, pour faire de l’irrigation à très grande échelle.

Deuxièmement, AREVA vend du nucléaire civil, qui sert à produire de l’électricité. Nous ne sommes pas impliqués dans le nucléaire militaire, qui sert à la fabrication de bombes atomiques Troisièmement, je ne sais rien des implications ou des non- implications libyennes dans les histoires de terrorisme.

Pour accéder au nucléaire, il y a surtout des protocoles à ratifier et à respecter. Le reste relève d’une décision politique. Cela dit, à supposer même que ce que vous dites soit vrai, rien n’empêche de croire que les comportements ont changé.

Si un chat revient de la Mecque et dit qu’il a vraiment changé, il faut malgré tout lui accorder le bénéfice du doute. Et attendre de voir s’il va recommencer à bondir sur les souris. Si on doit gérer les affaires du monde en figeant les pays, les régimes ou même les individus dans des caractérisations qui n’évoluent pas, on ne fera jamais de progrès.

Pensez-vous vraiment que le nucléaire pourrait être une solution aux problèmes énergétiques du Burkina et si oui y a-t-il des projets dans ce sens ?

La production d’électricité d’une centrale nucléaire dépasse très largement les besoins actuels d’un pays comme le Burkina. Et il faut savoir qu’une centrale nucléaire coûte excessivement cher. C’est trop cher pour un seul pays. Sans compter la question de sa maîtrise technique.

De mon point de vue, la meilleure solution serait une formule régionale, dans le cadre de l’UEMOA. Surtout que le processus de sa mise en œuvre est très long. Si notre sous-région décidait aujourd’hui de se doter d’une centrale nucléaire, il ne faut pas espérer pouvoir l’inaugurer avant 10 ans au moins.

Vous nous avez habitués à faire des virages dans votre carrière sans crier gare. Combien de temps comptez-vous rester chez AREVA et quelle est la prochaine étape ?

Je ne sais pas.

Au cours de l’année qui vient de s’écouler, votre nom a été beaucoup cité dans le débat politique, notamment à propos du RPC. Une imposante délégation du CDP s’est même rendue dans votre fief à Manga pour vous accuser, en des termes à peine voilés, d’être à la base de la création de ce parti. Vous avez gardé le silence malgré tout le battage médiatique autour de cette affaire. Pouvez-vous nous expliquer aujourd’hui de quoi tout cela retourne ?

Je n’étais pas au Burkina lorsque cette mission a été menée. Je l’ai appris en lisant la presse et en écoutant les commentaires des gens, quand je suis passé par ici quelque temps après. Dans ce pays, il faut faire beaucoup attention lorsqu’il s’agit de propos rapportés. A-t-on parlé de moi ? Je n’en sais rien. Et même si c’était le cas, cela ne me poserait aucun problème. Si on parle de vous, c’est que vous êtes quelque chose.

En tout cas nous sommes en démocratie, donc la liberté d’expression est garantie pour tout le monde. Il faut toujours savoir faire preuve de maturité, de retenue et de pondération. Si au stade où je suis aujourd’hui je ne peux pas entendre des gens parler de moi, même m’insulter, et pouvoir me maîtriser et me taire, c’est que je n’ai encore rien appris de la vie.

D’ailleurs je souris quand je relis aujourd’hui les propos que la presse prêtait à certains des excités politiques qui s’agitaient ce jour-là comme s’ils étaient des prophètes : « Le RPC sera écrasé » ; « je vais quitter ma province pour venir m’installer ici à Manga et faire la campagne » ; « même s’il faut amener la BCEAO ici, l’argent coulera à flots ».

Et patati et patata… Finalement on n’a rien vu du tout ! Zéro ! Certains devraient avoir honte aujourd’hui ! Que voulez-vous que je réponde à des sottises de ce genre ! Quand on a atteint un certain niveau, il faut faire beaucoup attention à ce qui sort de votre bouche !

Je dois dire d’ailleurs que je n’entends plus ceux qui faisaient des déclarations incendiaires ce jour-là. Peut-être que, comme le murmurent les sages de chez moi, ils ont eu un autre problème tellement gros à gérer, qu’ils ont oublié le RPC et Zéphirin Diabré. (Rires aux éclats).

Oui mais l’opinion nationale s’est demandé ce qui se passait exactement. Parce qu’en fait, cette mission vous a pratiquement désigné comme un opposant à abattre. Êtes-vous devenu un adversaire pour le régime ? Ou certains au sein du régime ont-ils peur de vous ?

Vous exagérez ! Pour moi il s’agissait de propos de campagne électorale. Et puis, de toute façon, posez-leur la question. Ce sont eux qui peuvent vous répondre. Moi je n’ai pas de problème avec qui ce soit au Burkina. Je n’en ai même pas le temps. Et je ne me préoccupe pas des excitations des uns ou des autres.

Depuis 10 ans j’évolue en dehors des circuits politiques ou administratifs du Burkina. Si de là où je suis, je peux aider mon pays à avancer, notamment dans le domaine minier ou énergétique, je n’hésiterai pas un seul instant à le faire. Maintenant, s’il y a des gens à qui ma position actuelle pose problème, eh bien c’est leur affaire ! Comme dirait René Char : "vis ta vie, suis ton chemin, à force de te voir, ils s’habitueront !"

Après cet épisode, certains pensaient que vous alliez vous engager tout de suite dans le combat politique à la tête du RPC.

Même si je veux faire de la politique, c’est à moi d’en choisir le lieu et le moment. Je ne laisserai pas à d’autres la possibilité de m’imposer cela. Si j’ai envie de faire la politique, je la ferai quand je l’aurai décidé, et je serai maître de mon calendrier. Je ne vais pas commencer à m’exciter comme un dindon, tout simplement parce qu’on a évoqué mon nom dans une réunion publique à Manga !

D’autant que sur le fond je ne vois pas où est le problème ! A supposer que je sois vraiment « le parrain » du RPC, à supposer même que je sois président-fondateur du RPC ou de je ne sais quel autre parti politique, où est le problème ? Où est le problème ?

Est-ce que j’ai volé ? Non. Est-ce que j’ai tué ? Non ! Créer un parti n’est pas un délit, donc ce n’est pas quelque chose qui donne lieu à accusation. Je crois savoir que nous sommes en démocratie. En tant que citoyens, nous sommes tous libres de penser ce que nous voulons, de nous associer avec qui nous voulons, de faire de la politique si cela nous intéresse, de militer là où nous voulons, de partir si nous le décidons, etc., tant que nous sommes en conformité avec la loi.

Il y a près d’une centaine de partis politiques qui vont et viennent dans ce pays, dirigés par des citoyens de toutes sortes. Est-ce qu’on leur a interdit de faire la politique ? Non ! Est-ce qu’on leur a coupé la tête ? Pas à ma connaissance. Est-ce qu’il y a une loi qui dit que Zéphirin Diabré ne doit pas faire de la politique ? Pas que je sache. Donc, où est le problème ?

Bon, après ce beau discours, maintenant dites-nous : êtes-vous membre du RPC ? En êtes-vous le parrain ? Bref, quelles relations avez-vous avec ce parti ?

A l’heure où je vous parle, je ne suis pas membre du RPC ni d’aucun parti politique. Si je l’étais, je l’aurais dit, puisqu’encore, une fois, je ne vois pas où est le problème. Si je veux faire de la politique, je n’ai pas à me justifier ni à en rendre compte. Tout au plus, peut-être vais-je aller vers certains pour les en informer par courtoisie ou pour nouer une alliance. Mais ça, c’est une autre affaire.

Ceux qui sont au RPC n’ont pas besoin de parrain pour faire la politique. Les gens font la politique dans la poursuite de leurs ambitions et de leurs intérêts. Et ils savent comment s’organiser pour y arriver. Si je veux faire de la politique, je ne demanderai pas à d’autres de le faire pour moi. D’ailleurs je suis trop bien instruit par l’expérience pour savoir, comme disent les Mossis, que la meilleure course au marché, c’est celle qu’on fait soi-même.

La vérité, c’est que je connais très bien les responsables du RPC qui évoluent dans ma province. Ce sont d’ailleurs d’anciens CDR reconvertis à l’ODP/MT et puis au CDP. Ils m’ont fortement soutenu du temps où je faisais la politique. Ils faisaient partie de mon camp.

A l’approche des élections législatives passées, ils ont calculé qu’ils n’avaient pas de chance de mettre un des leurs sur la liste CDP de la province. D’où l’idée de tenter leur chance ailleurs. Certains sont allés au RPC, d’autres sont restés au CDP, d’autres encore ont rejoint un autre parti.

C’est leur droit. Ce n’est pas parce que moi je ne fais pas de la politique qu’eux sont obligés de s’asseoir. Et ils ont bien fait. Si on ne t’aime pas quelque part, ne force pas pour y aller. Cherches- toi, et va briller ailleurs.

Eux au moins, ils ont eu le courage de partir, plutôt que de rester, de subir et de se morfondre en privé comme c’est le cas de certains. Si tu es fort dans ta base, pourquoi accepter de travailler gratuitement pour un autre candidat, impopulaire et imposé par les caciques de ton parti ? Pourquoi ? De toutes les façons, leur audace a payé. Comme quoi parfois, il faut savoir dire non !

Oui mais on dit que c’est grâce à votre soutien, notamment financier, et l’utilisation de votre nom pendant la campagne électorale. Sinon comment en deux mois un parti qui vient de naître, dirigés par des inconnus, peut arracher un siège au Zoundwéogo ?

• Je ne sais pas s’ils ont utilisé mon nom, mais même s’ils l’ont fait, je n’en fais aucun problème. De toute façon, pour un politicien tous les moyens sont bons pour obtenir ce qu’il cherche. Et puis je n’ai jamais interdit à quelqu’un au Zoundwéogo de dire qu’il est mon ami ou mon ennemi.

Comment expliquez-vous le fait que la création du RPC ait semé une telle panique dans votre fief ?

Je n’en sais rien. Posez votre question à ceux qui sont paniqués. C’est vrai qu’il y a de quoi se poser des questions quand on voit des gens qui aiment dire qu’ils sont stoïques et qu’il n’y a rien au village perdre leur sang froid pour une affaire comme celle-là ! En politique on apprend tous les jours !

A votre avis, maintenant que le RPC a montré sa force au Zoundwéogo, va-t-il chercher à s’implanter dans les autres provinces du pays ?

Posez la question aux responsables du RPC.

Alors vous-même, allez-vous revenir en politique ?

A la vérité, je n’y ai même pas encore pensé. Et puis je ne sais pas si la question se pose pour des gens comme moi. Je ne suis pas un politicien de carrière. Et je n’ai pas d’ambition politique ou administrative particulière. D’ailleurs vous l’aurez remarqué à la manière dont je me suis organisé jusque-là.

De toutes les façons, je vis au Burkina, pas au Guatémala ni au Bhutan. Donc si je dois faire la politique, ce sera devant vous ici.

Pensez-vous revenir un jour au CDP ou travailler avec ce parti ?

A ma connaissance, je n’ai aucun conflit ni avec le CDP en tant que parti, ni avec ses militants. J’étais militant du CDP à un moment donné. Je ne le suis plus. Je suis libre de militer dans un parti comme d’en démissionner. Si cela pose problème à certains, eh bien tant pis !

Je vous l’ai déjà dit dans ces colonnes : je garde un très bon souvenir de mon militantisme au CDP et j’ai une profonde estime pour les militants du CDP avec lesquels j’ai évolué. J’ai même des amis très proches qui militent toujours au CDP. De la même manière, j’ai des amis très proches qui militent dans d’autres partis.

Pour le reste, en politique, les chemins se croisent et se décroisent en fonction des circonstances, des intérêts et des rapports de forces. Nous appartenons tous à la même génération politique. Et je ne suis pas sectaire. Malgré la différence de leur pelage, disent les Mossis, les veaux d’une même saison n’ont aucune difficulté à se retrouver pour aller brouter le même pâturage. Mais chacun dans sa ligne !

Il y a de cela quelques semaines, on a assisté à deux commémorations politiques importantes : les "20 ans de renaissance démocratique sous la houlette de Blaise Compaoré", et le 20e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara. Comment avez-vous apprécié ces deux commémorations ?

Je n’étais pas au pays lors de ces commémorations. L’essentiel est que tout se soit bien déroulé de part et d’autre. On avait craint à un moment donné qu’il y ait une certaine tension, mais finalement chaque camp a pu se faire entendre. C’est le plus important.

Certains estiment que la véritable date de notre retour à la démocratie, c’est l’adoption de la constitution du 2 juin 1991.

Si on se situe sur un plan stricto sensu juridique, on peut comprendre leur argument, même si on ne l’approuve pas. Mais situons-nous plutôt sur le terrain politique. Dès lors qu’il n’y a pas eu de rupture de régime, et que l’adoption de la constitution est l’aboutissement d’un processus politique initié après les événements de 1987, je crois que la polémique n’a pas lieu d’être. Le plus important, c’est de parler de la qualité et des insuffisances de notre système démocratique, et de voir comment les améliorer. C’est à ça que doit servir une commémoration ou un bilan.

Quel jugement l’intellectuel que vous êtes porte-t-il sur la période révolutionnaire et sur l’œuvre de Thomas Sankara ?

Il faut faire beaucoup attention quand on apprécie l’action des autres, parce qu’il y a toujours des éléments que vous ne maîtrisez pas, et qui font qu’ils agissent de telle ou telle manière. Je n’étais pas membre du CNR. Je n’étais pas militant des groupuscules de gauche qui alimentaient la doctrine du CNR. Je n’étais pas CDR et je n’appartenais à aucune des structures de la révolution.

Mon jugement est donc celui d’un simple citoyen observateur, qui a subi, comme tous les autres, les conséquences de la politique qui a été menée à l’époque. Sans compter que la période révolutionnaire sous Thomas Sankara a duré en tout et pour tout 4 ans. C’est court pour faire un bilan.

Je crois qu’il y avait dans cette politique des aspects positifs et des aspects négatifs. Pour moi, la première contribution de la révolution, et sans doute la plus importante, c’est d’avoir réussi à opérer un début de changement de mentalité dans notre pays. D’une certaine manière, cette période a ouvert les yeux des gens. Même dans les campagnes reculées, les gens ont commencé à comprendre un certain nombre de choses dans le domaine politique et dans les questions de développement.

Par exemple avec les différentes batailles, ils ont pris conscience que finalement notre pays n’était pas condamné à rester pauvre et arriéré, et que s’il y avait la volonté, la mobilisation et le courage, on pouvait s’en sortir. Ils ont commencé à comprendre qu’ils devaient compter sur leurs propres forces.

Avec les TPR, ils ont redécouvert que l’intégrité était une vertu cardinale, qu’il fallait bien gérer la chose publique, que le citoyen devait toujours avoir à l’esprit le bien collectif. En participant aux travaux d’intérêt commun, ils ont compris qu’il fallait travailler dur pour que le pays avance. Dans les structures locales, ils ont découvert concrètement ce que voulait dire un pouvoir populaire, etc.

Les politiques mises en œuvre ont été d’une certaine manière la traduction de cette vision volontariste. Et il faut reconnaître qu’il y a eu des débuts de progrès dans des domaines-clés de notre développement : l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable, la préservation de l’environnement, l’accès au logement, la situation de la femme, la promotion de la culture nationale, la moralisation de la vie publique, le soutien internationaliste aux mouvements de libération, etc.

Malheureusement, à côté de ces progrès, il y avait aussi beaucoup d’aspects très négatifs, dont certains étaient franchement condamnables. D’abord le régime du CNR n’était pas une démocratie au sens ou on l’entend aujourd’hui. C’était même plutôt une sorte de dictature très militarisée, avec tout ce que cela implique. Si on en croit les civils qui en faisaient partie, son fonctionnement était plutôt très opaque, et parfois les décisions étaient prises on ne sait trop comment.

Plus grave, les libertés individuelles et collectives ont été férocement malmenées. D’abord la liberté d’expression a été pratiquement supprimée, sauf peut-être pour les partisans du régime. Beaucoup ont souffert à l’époque tout simplement parce qu’ils on exprimé des opinions contraires au dogme officiel.

On a dégagé des gens pour "propos contre-révolutionnaires" ou "propos subversifs", ce qui veut dire qu’ils ont exprimé une opinion contraire à ce que le pouvoir voulait entendre. La liberté de presse a été violemment réprimée, et à ce jour le symbole le plus poignant de cela demeure l’incendie de votre journal.

Comme nous le rappelait récemment la CGT-B, cette période a été très difficile pour les libertés syndicales. On voulait attaquer les « anarcho-syndicalistes » au lance-flammes parce qu’ils ont osé revendiquer, ou parce qu’on soupçonnait certains d’entre eux d’avoir écrit quelque part que la révolution n’était pas une vraie révolution. Ils sont nombreux, ceux que l’on a contraints ainsi à la clandestinité.

Et c’est surtout un comble, pour un régime qui a mobilisé son opinion en criant : « Malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple ». Quelque part, certains CDR ont contribué par leurs agissements à créer ce climat de peur voire de terreur qui existait à l’époque et que le grand frère Amadou Dabo de l’UNDD a brillamment décrit dans un article récent.

Le sommet de l’inacceptable a été atteint avec toutes ces exécutions sommaires sans jugement qui ont eu lieu. Des vies humaines ont été massacrées sans qu’on ne puisse dire à ce jour s’il y avait un vrai motif ou non à cela. D’ailleurs, de cette période date une certaine culture de la violence politique, qui nous suit depuis.

L’un des échecs les plus patents du CNR a eu lieu dans le domaine de la gestion de l’harmonie sociale. Voyez-vous, un peuple, une société, c’est un mélange de tout : des petits et des grands, des intelligents et des idiots, des honnêtes et des malhonnêtes, des révolutionnaires et des réactionnaires, etc.

Il faut accepter cette diversité et la gérer. Or le CNR lui a raisonné par l’exclusive ; d’un côté les bons, et de l’autre les mauvais, qu’il faut combattre et exclure. Du coup, certaines catégories sociales, qui ne demandaient qu’à contribuer, ont été stigmatisées ; des cadres compétents de l’Administration ont été brimés ; la chefferie coutumière a tout de suite été confondue avec la féodalité, etc.

La situation économique du pays a beaucoup souffert de ce climat. Pratiquement, l’investissement privé avait déserté le Burkina. Même notre propre secteur privé avait trouvé refuge au Togo.

Fallait-il absolument payer ce prix pour avoir les débuts de progrès que j’ai cités plus haut ? Dans tous les cas, l’important aujourd’hui, c’est de tirer les leçons de tout cela. Ceux qui soutenaient le régime doivent accepter de le faire sans flatterie ni complaisance. Et ceux qui étaient contre le régime doivent le faire sans passion ni haine.

Pour moi, il faut laisser maintenant ces débats à l’histoire. Et construire le futur. Les histoires du passé sont intéressantes en ce qu’elles permettent de tirer des leçons pour l’avenir. On ne doit pas oublier certaines choses. On doit même rendre justice s’il le faut. Mais on ne peut pas non plus vivre dans la revanche permanente.

Pour moi, toute cette histoire nous enseigne que rien ne vaut la démocratie. Malgré tous ses défauts, mieux vaut en définitive vivre sous un régime démocratique pluraliste, où l’on s’exprime librement, où on compétit librement pour le suffrage, et où on se combat à coup d’arguments.

Comment appréciez-vous l’avancée de la démocratie en Afrique ? On a l’impression d’un certain recul quand on regarde la difficulté d’alternance dans de nombreux pays.

L’Afrique est un continent multiple. Que ce soit sur les questions économiques ou politiques, un jugement global n’a pas de sens. Dans le domaine de la démocratie, chaque pays évolue à sa manière. Certains avancent, d’autres piétinent.

Cela dit, si l’on compare l’Afrique d’aujourd’hui à ce qu’elle était il y a trente ans, il faut reconnaître que malgré tout, des progrès ont été faits en matière de démocratie et de libertés. La question des alternances est plus complexe et là, en réalité, les torts sont partagés.

D‘abord, et c’est vrai, les régimes en place font tout pour qu’une opposition crédible n’émerge pas. Et tout y passe : l’utilisation abusive des moyens de l’Etat, l’achat des consciences, la fraude électorale, le noyautage des partis d’opposition, etc.

Les campagnes électorales exigent d’énormes moyens humains et financiers. Or sur ce terrain, un parti au pouvoir a toujours une longueur d’avance : c’est lui que les opérateurs économiques soutiennent ; c’est à lui que les cadres de l’Administration préfèrent se rallier ; c’est vers lui que certaines forces sociales convergent, etc. Même dans les pays développés, c’est parfois la même chose : regardez le nombre de socialistes qui rejoignent Nicolas Sarkozy !

Mais en même temps, il faut reconnaître qu’il y a de quoi être désorienté par le comportement de certaines oppositions. D’abord il est très rare de voir une opposition unie dans un pays africain. Chacun préfère se battre pour lui, quitte parfois à pactiser avec le parti au pouvoir, pour empêcher son collègue opposant d’émerger.

Même l’astuce simple qui consisterait à faire des listes communes, c’est difficile à mettre en œuvre. Deuxièmement, les opinions sont parfois déçues par les zigzags de certains opposants, qui privilégient leurs intérêts politiques personnels à la défense des idéaux qu’ils sont supposés incarner.

Quand vous soutenez un opposant qui passe le temps à critiquer un pouvoir et que vous vous rendez compte un jour qu’en fait il émarge en secret auprès du même pouvoir à la nuit tombante, quel crédit pouvez- vous encore lui accorder ? Ou qu’il va signer des accords sans même prendre la peine de consulter sa base. Ce sont des choses qui peuvent même vous dégoûter de la politique !

Troisièmement, et c’est plus grave, certains opposants arrivés au pouvoir n’ont pas fait mieux que les gens qu’ils ont remplacés. Ce ne sont pas les exemples qui manquent ! Parfois même, ils se sont mis à refaire exactement toutes les choses qu’ils reprochaient à leurs prédécesseurs.

Du coup les opinions publiques font beaucoup attention, et se disent qu’il est peut-être mieux de garder celui qu’on connaît, plutôt que de tenter l’aventure. C’est tout cela, je crois, qui rend parfois difficiles les alternances.

Quand on voit ce qui se passe au Kenya, est-ce qu’on peut être optimiste ?

Ce qui se passe au Kenya est inacceptable. C’est un hold-up électoral. Il faut souhaiter que les parties en présence mettent rapidement un terme à la violence et trouvent un terrain d’entente. Mais malgré le Kenya, il faut être optimiste. Le Kenya brûle, mais d’autres pays avancent, même difficilement. C’est aussi ça, l’Afrique.

Le PNUD vient de publier son rapport et une fois de plus le Burkina est placé en queue de liste. Qu’en pensez-vous ?

J’ai regardé rapidement le rang du Burkina lorsque j’ai reçu le rapport. Il doit y avoir un problème de statistiques. Si on prenait en compte les données du dernier recensement, je crois que notre rang devrait se situer à un niveau nettement plus honorable. Mais je n’en sais pas plus.

Etes-vous toujours en contact avec votre ancienne maison, le PNUD ?

Oui, mais pas comme je l’aurais souhaité. Je n’arrive pas à répondre aux différentes invitations qui me sont adressées et je le regrette.

Dans la dernière interview que vous nous avez accordée, vous avez pointé du doigt le phénomène de la corruption. Depuis quelque temps, le gouvernement affirme qu’il fera de cette lutte contre la corruption une priorité. Avez-vous le sentiment que les choses peuvent changer radicalement dans ce domaine, connaissant les habitudes de « deal » qui se sont installées dans notre pays ?

D’abord il faut se féliciter que le gouvernement lui-même fasse maintenant de la lutte contre la corruption une priorité. La corruption est un obstacle au développement. Jusque-là, ce sont essentiellement les partis politiques d’opposition et la société civile qui dénonçaient le phénomène. Si le gouvernement lui-même dit qu’il y a un problème de corruption dans le pays, alors, comme dirait l’autre, nous sommes sauvés !

Quelles actions pensez-vous que le gouvernement devrait engager pour réussir ce combat ?

C’est un domaine où on n’a pas besoin de grands discours. Les dossiers sont connus, parce que nos corps d’inspection ont fait un travail remarquable depuis des années. Il ne reste plus qu’à activer les procédures.

Vous étiez il y a quelques mois en visite en Chine à la tête d’une délégation du Forum d’amitié sino-burkinabè (FASIB). Quel bilan tirez-vous de cette visite ?

Cette visite était une réponse à la dernière visite au Burkina Faso de nos homologues chinois. Elle survient à un moment où, plus que jamais, nos opérateurs économiques vont en Chine en très grand nombre pour faire des affaires, et que de nombreux Chinois viennent s’installer au Burkina pour aussi faire des affaires.

Avec nos amis chinois, nous nous sommes félicités de ce que, malgré l’absence de relations diplomatiques, les affaires marchent bien entre nos deux pays .Et nous avons examiné les voies et moyens permettant de renforcer cela.

Comment le Fasib arrive-t- il à concilier son action avec la position de notre gouvernement qui, lui, a renoué depuis 1994 avec Taiwan ?

Le Fasib est une organisation de la société civile. Il n’est pas tenu de calquer sa démarche internationale sur la diplomatie officielle du pays. Il devrait en tenir compte s’il y avait une crise grave, ou une guerre entre le Burkina et la Chine Populaire, ce qui n’est pas le cas.

Du reste, le Fasib a reçu son récépissé des services du ministère de l’administration du territoire. Si le gouvernement était opposé à la création du Fasib, rien ne l’obligeait à délivrer ce récépissé.

Il n’y a pas que le Fasib qui aille en Chine. Comme je l’ai dit plus haut, aujourd’hui, de nombreux opérateurs économiques burkinabè, et pas des moindres, font des affaires en Chine, et établissent des partenariats juteux.

Des missions collectives ont même été organisées dans un passé récent sous l’égide de structures comme la Chambre de commerce et la maison de l’entreprise. Personne n’a jamais demandé comment tous ces gens-là concilient leur démarche avec la position officielle du pays.

Pensez- vous qu’un jour le Burkina va renouer avec Pékin ?

Je n’en sais rien. Le Fasib est composé d’hommes et de femmes d’affaires qui veulent profiter de la montée en puissance de l’économie chinoise. Il ne s’occupe pas des questions politiques ou diplomatiques. Qu’il y ait ou non relation diplomatique, pourvu que les hommes d’affaires burkinabè puissent aller librement en Chine, et que les hommes d’affaires chinois puissent venir librement s’installer au Burkina.

C’est le plus important. Les Chinois nous ont même confié que d’après les informations qui leur parviennent, leurs compatriotes qui viennent au Burkina sont mieux traités et plus heureux que les Chinois qui sont dans certains pays avec lesquels ils ont des relations diplomatiques.

Le gouvernement choisit les amis qu’il juge intéressants et capables de l’aider à promouvoir le développement de notre pays. Et nous lui faisons entièrement confiance pour cela. Le secteur privé, lui, recherche les partenaires avec lesquels il peut faire du business. Pour ce faire, il va là où il pense qu’il peut en trouver.

Laissons chacun chercher de son côté, et prions Dieu pour que chacun trouve et ramène au Burkina ce qu’il a trouvé. De toutes les façons, ce sont en définitive les Burkinabè qui en bénéficieront. Et c’est ça le plus important.

Quels vœux formulez-vous pour l’année 2008 ?

• Des vœux de paix, d’unité, de stabilité et de progrès pour notre pays. Des vœux de santé, de longévité, de succès et de prospérité pour chacun de vos lecteurs.

Entretien réalisé par Bernard Zangré

L’Observateur

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