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Kenya : Kibaki s’arc-boute et les pourparlers piétinent

Publié le lundi 14 janvier 2008 à 10h59min

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On n’avait vraiment pas besoin d’être expert en science politique ou spécialiste de la politique kenyane pour savoir que la médiation du "géant gentil" s’annonçait difficile. En effet, Mwai Kibaki, qui préfère ignorer ce désaveu électoral, minimiser les images de chaos que son pays projette à la face du monde, en soutenant avec aplomb que "tout va bien et que le Kenya n’est pas en guerre", avait, au début, opposé un niet cinglant à la proposition de médiation de l’Union africaine.

Sans la moindre élégance, l’homme d’Etat kenyan avait rejeté également l’offre faite par le prix Nobel de la paix sud-africain Desmond Tutu, et celle de l’ex-chef d’Etat sierra-léonais, Ahmed Tejan Kabbah. Et c’est presque à son corps défendant que Kibaki, du bout des lèvres, a dû donner son quitus pour qu’enfin Kufuor puisse venir dans son pays rencontrer les protagonistes de la situation et exposer ses propositions de sortie de crise.

Seulement une trentaine de minutes d’entrevue entre le Président contesté du Kenya et l’envoyé de l’Union africaine qui s’entretiendra par contre environ deux heures avec le chef de l’opposition, Raila Odinga. Et pendant que ces tractations se poursuivaient entre Kufuor et celui-là même qui lui conteste "la victoire", Kibaki, feignant d’ignorer ces discussions, poursuivait allègrement et en sourdine la mise en place de son administration. 17 de la trentaine des membres de son gouvernement ont été ainsi nommés, laissant "sagement" le reste à son opposant irréductible.

Pendant donc que le vieil homme d’Etat s’affaire à constituer son équipe postélectorale, des policiers en armes quadrillent les villes, des réfugiés tentent désespérément de rejoindre l’Ouganda voisin, contraint de fermer sa frontière, des machettes ressortent des cases et des insultes ethniques fusent de toutes parts. Depuis le début des violences, le bilan humain s’élève à environ 700 morts. Ces violences politico-ethniques visent essentiellement les Kikuyus (18% de la population), l’ethnie du Président contesté.

C’est l’annonce, le 30 décembre, de la réélection de Mwai Kibaki, rappelons-le, qui a provoqué ces scènes d’horreur telles qu’on se croirait au Rwanda en avril 1994 lors du génocide qui s’y était déroulé. En une journée, le Kenya, qui n’était autre qu’une oasis de paix et de stabilité et un paradis pour Européens, Américains et Asiatiques en mal de safaris et d’écotourisme, venait de renouer avec ses vieux démons : fraudes électorales, violences, etc.

Compte tenu de l’atmosphère de chaos qui prévaut, il est difficile de dire qui des deux, de Kibaki ou d’Odinga, a remporté l’élection. Même si, comme pour nombre de Kenyans à l’image du détenteur du record du monde du 3000 mètres, Daniel Komen, "un enfant sait qui a gagné. C’est Odinga. Si Mwai Kibaki était un homme de Dieu, il aurait reconnu sa défaite". Véritablement, tout porte à croire que Kibaki a bel et bien perdu cette présidentielle.

En effet, le Président de la Commission électorale, Samuel Kivuitu, qui avait pourtant annoncé Kibaki vainqueur le 30 décembre, est revenu toute honte bue sur sa déclaration pour maugréer ces quelques mots : "Je ne sais pas si Kibaki a gagné". Un aveu qui en dit long sur l’étendue des fraudes. Nombreuses sont les circonscriptions où les formulaires officiels de décompte des voix n’ont pas été signés, d’autres contrefaits ou tout simplement dissimulés.

Le summun de la fraude aura eu lieu dans ce bureau de vote où étaient inscrits 1 200 votants mais qui, au finish, s’est retrouvé avec des suffrages 10 fois supérieurs, c’est-à-dire 12 000 bulletins qui, dans leur quasi-totalité, étaient favorables au Président sortant. Au dire de quelques observateurs qui ont dénoncé cette mascarade électorale dans plusieurs dizaines de circonscriptions, les chiffres ont été "gonflés sans retenue", parfois de 70 000 voix au profit de Kibaki.

Reconnaissons cependant que ces fraudes électorales, même si elles sont massives du côté du pouvoir, qui dispose de toute une machine électorale aguerrie à cet effet, n’ont pas été le fait des seuls partisans de Kibaki ; l’opposition aussi a tenté de "se débrouiller" autant qu’elle pouvait. C’est ainsi que, dans l’Ouest du pays, dans le fief d’Odinga, de repréhensives irrégularités ont été dénoncées. Cette présidentielle a par conséquent été émaillée d’énormes irrégularités, à telle enseigne que le Procureur général du Kenya a mis en doute la victoire de Kibaki et n’a pas hésité à demander une enquête indépendante sur ce scrutin.

Pendant que l’opposition réclame à cor et à cris la tenue d’un nouveau scrutin, le Président sortant et les siens s’arc-boutent sur leur fauteuil, excluant toute idée de reprise des consultations, sauf sur décision de justice. Mais Odinga et le Mouvement démocratique orange ne vivent pas sur mars, mais bel et bien au Kenya et ils savent que, dans ce pays comme dans bien d’autres de ce continent où quelques petits potentats font la loi, la Justice est aux ordres du chef de l’heure. La justice kenyane dérogera-t-elle à cette règle ?

Rien n’est moins sûr. En prêtant ainsi serment à la sauvette en tant que "président nouvellement élu", Kibaki a voulu prendre de court ses contempteurs et l’opinion internationale. Mais Odinga ne paraît aucunement être un poussin d’hivernage pour se laisser si facilement conter. Les deux hommes se connaissent bien, puisqu’en 2002 déjà, ils étaient alliés au sein de la coalition arc-en-ciel qui mit fin au règne de l’ancien parti unique, la Kenyan African National Union (la Kanu), en battant Uhuru Kenyatta, le dauphin désigné de Daniel Arap Moi.

Mais leur entente a fait long feu puisque, une fois au pouvoir, Kibaki a grossièrement écarté ceux qui l’ont soutenu pour qu’il s’empare des rênes du pouvoir d’Etat. Rappelons que depuis son indépendance il y a de cela 44 ans, le Kenya a connu trois Présidents : Jomo Kenyatta, le héros de l’Indépendance, qui a passé 16 ans au pouvoir, Daniel Arap Moi (24 ans) et Kibaki, à la tête de l’Etat depuis 2002 grâce à la coalition arc-en-ciel.

Mais, quoiqu’à la tête de l’Etat depuis seulement cette période, Mwai Kibaki a occupé pendant quarante ans tous les postes possibles dans un gouvernement. Il a même été dix années durant vice-président. Aujourd’hui âgé de 77 ans, le Président sortant, qui règne à la tête de ce pays où l’espérance de vie ne dépasse guerre 49 ans, n’entend aucunement lâcher du lest, car, pour lui, le pouvoir n’est autre qu’une cure de jouvence.

Le vieil homme d’Etat kenyan, qui a depuis une quarantaine d’années goûté à toutes les sauces gouvernementales, était pourtant apparu comme quelqu’un de neuf avant sa prise du pouvoir. Il avait, en effet, été élu pour sauver le pays de la stagnation, des criardes inégalités sociales et de la corruption rampante. Il n’a hélas pas tardé à décevoir ; car si la croissance économique a connu une hausse sensible, les inégalités sociales par contre ont décuplé et la corruption est devenue sous son règne un sport national. La situation semble bloquée au Kenya et une intervention énergique de la Communauté internationale s’impose. Afin que le peuple kenyan arrête de payer inutilement les pots cassés.

La Rédaction

L’Observateur

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