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Mahama Zoungrana, Dg des prévisions et des statistiques agricoles : "Le déficit céréalier peut être organisé à dessein"

Publié le vendredi 11 janvier 2008 à 11h04min

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La polémique qui a prévalu au sujet du bilan céréalier cette année, se rappelle-t-on, avait pour pierre angulaire la notion d’excédent. Nombre de personnes ne comprennent pas qu’on parle d’excédent céréalier pendant que les prix flambent sur les marchés et qu’il y a pénurie de vivres dans certaines localités. Le directeur des prévisions et des statistiques agricoles explique, à travers l’interview suivante, le mécanisme de calcul des résultats agricoles, et aborde bien d’autres aspects du fonctionnement de sa structure.

"Le Pays" : Présentez-nous la direction générale des prévisions et des statistiques agricoles, à travers ses missions et son fonctionnement.

Mahama Zougrana : La direction générale des prévisions et des statistiques agricoles (DGPSA) est l’une des 6 directions centrales du ministère de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques. Elle a en charge le suivi des indicateurs de la situation alimentaire dans notre pays. Elle le fait à travers deux grandes fonctions : la fonction d’organisation et de gestion des statistiques agricoles et celle du suivi du déroulement de la campagne agricole. La première se charge de collecter les données sur les niveaux de production, les superficies, les rendements chaque année. Cela, à travers deux types d’enquêtes : une première enquête dite prévisionnelle a lieu en fin octobre-début novembre, et permet de coupler les résultats. Une deuxième dite définitive a lieu courant janvier. Cette fonction statistique permet également au pays de disposer d’informations structurelles sur le secteur agricole à travers le recensement. En ce moment même, notre direction est en plein recensement général de l’agriculture, pour permettre de cerner les informations qui n’évoluent pas annuellement. Les données sur les productions, les superficies, évoluent annuellement, en fonction de la pluie, de l’engagement des producteurs à privilégier telle ou telle spéculation. Par contre, d’autres informations dites structurelles, tel l’achat d’un tracteur par un cultivateur, varient peu. C’est pourquoi, ce type d’information est collecté tous les 10 ans. Le dernier recencement de ce type a eu lieu en 1993. Toujours dans cette fonction statistique, il y a aussi des moments où, à la demande du gouvernement, nous réalisons certaines enquêtes pour éclairer certaines questions particulières. Par exemple, au moment de la crise acridienne en 2004, il a été nécessaire de mésurer l’impact de cette crise sur la production. Une enquête spécifique a été menée à cet effet.

La fonction système d’alerte précoce permet de déterminer à l’avance certaines situations qui peuvent être problématiques sous l’angle alimentaire. Par exemple, lorsqu’il commence à pleuvoir, il y a un certain nombre d’indicateurs, tels la pluviométrie, les attaques parasitaires au niveau des plantes, les situations des prix, qui sont suivis. Tout cela permet de dire aux décideurs de faire attention à tel ou tel facteur qui est en train d’évoluer et qui est susceptible d’engendrer des problèmes. Cette année, par exemple, par le biais de ce système, à partir d’octobre déjà, on a pu connaître les zones qui pouvaient être confrontées à des difficultés alimentaires. c’est cela qui a permis de déterminer les provinces déficitaires, ainsi de suite.

Expliquez-nous comment vous procédez pour parvenir à certains résultats tels l’excédent ou le déficit céréalier. Peut-il y avoir excédent céréalier et pénurie alimentaire à la fois ?

C’est toute la question qui n’est pas souvent comprise par l’opinion. Si on était dans un monde parfait du point de vue information, les prix sur les marchés devraient réfléter la disponibilité. Mais il se trouve que nous sommes dans un contexte où l’information aux producteurs, celle aux consommateurs et celle aux commerçants n’est pas toujours la même. Cela, du fait des jeux d’intérêt de part et d’autre. Cette année, par exemple, et c’était la même situation en 2005, vous avez une situation où il y a une campagne qui a été fortement médiatisée, surtout en son aspect risque. Tout le monde a été témoin des informations difficiles à supporter qui ont été véhiculées sur les inondations, les champs détruits et autres. Si bien qu’à un moment donné, pour l’opinion, au niveau des grands centres surtout, le Burkina Faso a été dévasté cette année. Aucun champ n’a été épargné. Ensuite, il y a eu l’arrêt brutal des pluies ; vers la fin septembre, la pluie s’est arrêtée de façon brutale un peu partout. Dans certaines zones, on a eu quelques pluies qui n’étaient pas extraordinaires, mais tout de même des pluies à observer. L’un dans l’autre, on se retrouve dans une situation où, automatiquement, tout le monde s’attend à une campagne catastrophique. Donc, quel est l’intérêt d’un acteur céréalier qui est au fait de cette information ? Son intérêt, bien évidemment, c’est de dire, le sac de mil que je te vendais à 8 000 FCFA, cette année, toi-même tu vois, la saison a été mauvaise, il n’y a pas de céréales, si ce n’est pas 15 000 F CFA, je ne peux pas te le donner. C’est ainsi ; c’est la spéculation. Je connais même des fonctionnaires qui ont pris des prêts pour payer le maïs poser dans des magasins pour le revendre. C’est donc des situations qu’on voit dans les campagnes un peu difficiles. En 2004-2005, c’était la même chose. C’est la manipulation de l’information à des fins de spéculation qui a été à l’origine de la hausse importante des prix. La deuxième raison, c’est un contexte mondial, basé sur une hausse généralisée des cours, surtout du maïs, du blé et du riz, qu’il faut souligner. Pour le maïs, il paraît que certains l’utilisent dans la fabrication du biocarburant. Cela a provoqué une certaine tension au niveau de l’offre mondiale.

Une situation de psychose interne due à une rumeur véhiculée à dessein, et un contexte mondial caractérisé par la tension sur certains types de céréales, voilà ce qui explique la situation actuelle au niveau de notre pays. Pour me résumer donc, le niveau des prix sur les marchés n’est pas forcément lié à un déficit de l’offre. L’offre peut être là et on peut organiser le déficit. Il suffit de ne pas mettre la quantité au niveau du marché et on crée une tension fictive.

Pensez-vous que les dispositions prises par le gouvernement, avec notamment la vente des céréales à prix social, permettront d’atteindre la prochaine saison sans grand péril ?

Ce qu’il faut dire ici, c’est que le mécanisme de gestion des crises alimentaires, qui est peut-être peu connu du public, comprend plusieurs outils. Ce que le gouvernement vient d’activer, c’est-à-dire le stock d’intervention, n’est que le plus petit des outils. C’est un stock un peu volant, qui permet, à chaque fois qu’il y a des velléités de tension des prix, de pouvoir intervenir pour les faire chuter. En dehors de ce stock, on a plusieurs autres outils tel le stock national de sécurité, qui, dépuis un certain temps, n’a pas encore été mobilisé, tout simplement parce qu’on ne se trouve pas dans des situations qui le nécessitent ; il y a également le stock financier, assez important, qui, en cas de situation vraiment dramatique, est utilisé pour faire des achats à l’extérieur parce que l’offre n’existe pas au niveau national. C’est dire qu’il y a tout un arsenal qui est là. Le gouvernement a toute la possibilité de soutenir cet exercice jusqu’aux prochaines récoltes. Là n’est même pas la question. Il s’agit de suivre sereinement l’évolution de la situation et voir le moment où telle ou telle action est nécessaire.

Donc, il n’y a pas lieu de craindre une famine cette année, malgré tout ?

Sur cet aspect, je suis catégorique. Ce n’est même pas envisageable. D’abord, au niveau interne, si on revient sur les niveaux de production province par province, on a enregistré cette année une importante production malgré l’arrêt brusque des pluies et le phénomène des inondations. La raison, c’est que beaucoup de producteurs cotonniers ont reversé leurs superficies dans la production des céréales. Il y a eu une chute d’environ 30% dans les superficies cotonnières, et cela au profit des céréales. Et cette tendance n’est pas propre au Burkina seul ; au Mali le même phénomène a été observé, à cause de la baisse des cours du coton au niveau international. Donc, si on n’avait pas eu ces inondations et l’arrêt brutal des pluies, le Burkina aurait réalisé une production qu’on aurait jamais vue de mémoire de Burkinabè. On aurait crevé le plafond de 4 millions de tonnes. Donc, au niveau interne, malgré ces aléas, la zone ouest, traditionnellement grande productrice de céréales, reste toujours avec des niveaux importants de production. Ensuite, du point de vue de la sous-région, puisque avec la porosité des frontières, il ne sert à rien de parler de disponibilité céréalière au Burkina si au Mali ou au Niger, par exemple, ça ne va pas, la plupart des pays ont réalisé une bonne production. Pour donner quelques chiffres au Niger, ils sont à plus de 3 millions de tonnes de céréales, au niveau du Burkina on a un excédent prévisionnel de 700 000 tonnes, presque 400 000 tonnes au Mali. Dans l’espace CILSS, on dégage une production prévisionnelle excédentaire d’environ 1 million de tonnes, avec des productions qui vont être satisfaisantes au niveau d’un certain nombre de pays comme la Guinée Conakry, la Sierra Leone, le Togo, le Bénin, même si ces deux derniers ne sont pas de grands producteurs. La situation au nord-Ghana est un peu mitigée, tout comme celle du nord-Nigeria. L’un dans l’autre, on a une production sous-régionale qui n’est pas du tout catastrophique, selon les informations que nous avons.

Pour revenir un peu sur la notion d’excédent, comment arrive-t-on à le définir ? A partir de quels repères dit-on qu’il y a excédent ou déficit ?

Il y a deux types de calculs pour l’excédent ; il y a le bilan national qui peut être excédentaire ou déficitaire, et il y a le bilan provincial qui peut être aussi excédentaire ou déficitaire. Le calcul de l’excédent se fait un peu comme en comptabilité : d’un côté on a l’actif et de l’autre le passif. De la comparaison du passif à l’actif, selon que l’un est supérieur à l’autre, on a une situation soit excédentaire, soit déficitaire. En matière alimentaire, les choses fonctionnent à peu près de la même façon. Il y a le disponible alimentaire qui est constitué de la production de l’année plus les stocks initiaux, c’est-à-dire les fonds de greniers des paysans au moment des récoltes, que l’on arrive à évaluer par enquête. Ensuite, toujours dans ce registre de disponible alimentaire, il y a aussi ce que les différents opérateurs économiques prévoient comme importations alimentaires, notamment le riz et le blé. Pour cela, nous avons des grands opérateurs qui travaillent avec nous et qui nous communiquent les informations sur les prévisions fermes d’importation. Il y a également les aides alimentaires qui font partie de ce disponible national. Face à ce disponible alimentaire, il faut maintenant voir quels sont les besoins de consommation. Ceux-ci sont évalués sur la base de la population à la date d’avril 2007, c’est-à-dire la période à cheval entre deux récoltes. On prend cette population et on estime qu’elle a une consommation moyenne de 190 kg de céréales par personne et par année.

Ce sont des normes homologuées au niveau international pour tous les pays, selon les habitudes de consommation des uns et des autres. Ainsi, sur cette base, on arrive à estimer ce que toute la population peut consommer pour l’année. En plus de cela, il faut prendre en compte les prévisions d’exportation. Ces deux éléments conjugués avec les stocks finaux donnent ce qu’on appelle les besoins alimentaires du pays. Si on compare le poste disponible et le poste besoins, on dégage un bilan qui peut être excédentaire ou déficitaire. Alors, un bilan par nature, c’est quelque chose qui est fait à un moment donné. Cela veut dire que ce bilan peut être excédentaire, et, par le jeu de certaines transactions par la suite, il peut s’avérer déficitaire. S’il y a par exemple trop d’exportations, de sorte qu’à un moment donné, tout le disponible se retrouve hors des frontières, sans être compensé par une importation adéquate, on peut se retrouver en situation déficitaire.

Le bilan provincial est aussi calculé sur la base des besoins de la province en rapport avec la production locale. Seulement, à ce niveau, on n’a pas de postes importation et exportation parce que, d’une province à une autre, on n’a pas de dispositif d’information pour faire une évaluation. Dans une nation, cela est possible parce qu’il y a des services telle la douane, et pas mal de mécanismes qui le permettent. Voilà comment fonctionnent les choses. Cette méthode de calcul est une méthode homologuée par l’ensemble des pays du CILSS, selon un itinéraire très rigide, de telle sorte qu’on n’a pas la possibilité d’y déroger car il y a des experts de la FAO et du CILSS qui viennent et qui vérifient les mécanismes utilisés. Ils peuvent donc, sur cette base, valider ou rejeter les données. Il arrive souvent qu’on rejette les données de certains pays.

Quel est, exactement, l’écart entre les données de l’année dernière et celles de cette année au niveau du Burkina Faso ?

L’an dernier, en prévisionnel, nous avions 1 million de tonnes, et en définitive, c’était 970 000 tonnes d’excédent. Cette année, en prévisionnel, on a plus de 700 000 tonnes, en définitive, ça va certainement diminuer. Donc, il y a à peu près un écart de 300 000 tonnes. Ce qui choque le plus l’opinion, ce sont les prix. Pour les populations, dès qu’on a une flambée des prix, c’est parce qu’il n’y a pas de mil ; or ce n’est pas vrai, la flambée de prix est liée à beaucoup d’autres aspects, la rétention notamment.

Très souvent, l’opinion pense que les chiffres qui sont publiés manquent de sincérité parce qu’ils obéissent à des objectifs politiques. Que dit le technicien que vous êtes, face à de telles considérations ?

Nous ne pouvons pas empêcher les gens de faire de la spéculation. Nous avons essuyé toutes sortes de critiques venant de tous les côtés. En année excédentaire, quand nous disons qu’il y a excédent, on dit voilà, vous avez poussé les gens à produire et il y a excédent, les prix ont commencé à chuter, qu’est-ce que vous faites ? Pour acheter même une simple plaquette d’antipaludéen, le pauvre paysan est obligé de vider tout un grenier. En situation déficitaire, on dit voilà, le pouvoir a déclaré le déficit pour pouvoir bénéficier de l’aide alimentaire pour aller distribuer à ses militants ; etc. Cela fait 15 ans qu’on est dans cela, si fait qu’on est habitué. Finalement, on se dit que si on est critiqué de tous les côtés, cela veut dire que nous avons une part de neutralité. Ensuite, face à tout cela, nous nous disons que notre crédibilité va se jouer dans la méthodologie scientifiquement rigoureuse sur le plan statistique, validée par la communauté internationale d’experts et non sur les appréciations de rue. Nous faisons tout pour garantir la fiabilité de notre dispositif qui dépend essentiellement de la rigueur de la méthodologie utilisée.

On lit souvent dans la presse qu’on a manipulé les chiffres. C’est aberrant, puisque quand les fiches d’enquête viennent, la saisie est automatique, vous ne pouvez rien modifier. Si vous le faites, au moment du contrôle de toute la chaîne statistique, vous aurez des données aberrantes. On est donc obligé, pour notre propre crédibilité, de suivre cette rigueur scientifique, sinon la validation internationale posera problème. Du reste, cette évaluation a impliqué l’ensemble des partenaires ; si vous avez remarqué, jusque-là, malgré tout ce qui se passe, aucun partenaire n’a levé le petit doigt. Personne n’a demandé pourquoi. Les ONG qui sont actives dans la sécurité alimentaire ne disent rien parce qu’elles ont participé à cette évaluation. On n’a seulement que des discussions politiciennes. Mais cela ne nous engage pas, ce sont les discussions techniques qui nous intéressent.

Entretien réalisé par LB

Le Pays

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