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Médias : Cyriaque Paré, Docteur en sciences de l’information et de la communication de l’université Bordeaux 3

Publié le vendredi 28 décembre 2007 à 18h16min

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Cyriaque Paré

L’exercice auquel je dois me livrer est assez délicat. Il consiste à rendre compte, sans flagornerie, ni fausse objectivité, du travail d’un ami, en l’occurrence Cyriaque Paré qui vient de soutenir le 21 décembre dernier, à l’université de Bordeaux, en France, un Doctorat en Sciences de l’information et la communication sur le thème : « Les médias ouest-africains et la société de l’information. Enjeux, discours et appropriations ». Fort heureusement, la mention « Très honorable avec les félicitations du jury » qui lui a été décernée me facilite la tâche.

Je peux donc écrire, sans être suspecté de partialité, que le travail qu’il a défendu est d’une remarquable qualité et que, pour ceux que le débat sur la place et le rôle des nouvelles technologies de l’information dans le développement de l’Afrique intéresse, ils y trouveront de quoi nourrir amplement leurs réflexions.

Pour beaucoup, l’avènement de l’Internet constitue une véritable révolution dans la structure et le fonctionnement des médias. On y voit « une grande mutation dans la pratique du métier de journaliste qui intéressera toutes les étapes, de la collecte à la diffusion de l’information en passant par son traitement. Une certaine opinion veut même que l’avenir de la presse soit sur Internet au risque de dépérir et de disparaître » écrit Cyriaque Paré. Plus qu’ailleurs, l’avènement de l’Internet représente aux yeux de nombreux Africains, une formidable opportunité d’accélérer le développement du continent noir. Très enthousiaste, la Commission économique africaine (CEA) croit dur comme fer, que « l’édification de la société africaine à l’ère de l’information aidera l’Afrique à accélérer l’exécution de ses plans de développement, à stimuler la croissance et à créer de nouvelles chances en matière d’éducation, de commerce, de soins de santé, d’emplois et de sécurité alimentaire ».

Ce discours euphorique sur les nouvelles technologies n’est pas nouveau. A chaque apparition d’une nouvelle technologie, on croit y voir les signes de l’avènement d’un monde meilleur, comme si le progrès humain dépendait du progrès technique. Dans le passé, cette naïve idéologie techniciste a fait croire que la télévision, le minitel, le câble et le magnétophone apporteraient un changement radical dans les rapports humains en réduisant les menaces de guerre et en accélérant le processus d’industrialisation des pays du Tiers monde.
Pour les médias africains, Internet pourrait-il être un remède efficace à leur précarité économique et financière ? Confrontés à des difficultés liées à la diffusion, aux coûts des communications et d’accès aux sources d’informations, quel peut être l’apport de l’Internet dans l’épanouissement des médias africains ? Certes, dans beaucoup de pays ouest-africains, plusieurs médias disposent de site Internet, mais « les problèmes rencontrés par les journaux papiers ne font qu’empirer » relève l’auteur de la thèse, qui se demande s’il y a « un avenir de la presse africaine dans la société de l’information ».

Depuis 1998, Cyriaque Paré tente de cerner les enjeux de l’Internet aux plans médiatique, économique et social. Et s’il est trop tôt, dix ans après, pour faire un bilan sur l’impact des Technologies de l’information et la communication (TIC) sur les structures de production et de distribution de la presse africaine, il lui est apparu cependant intéressant de mener « une recherche universitaire sur les médias et leur appropriation ou pas des nouvelles technologies ».

Les membres du jury : le Pr André-Jean Tudesq, le Pr Jacques Barrat, le Dr Marie-Soleil Frère et le Pr Annie Lenoble-Bart

Divisée en deux parties, la thèse fait d’abord l’état des lieux des médias en ligne et le degré d’insertion dans la société de l’information, et ensuite, dresse les perspectives qui leur sont offertes. Malgré l’abondante littérature présentant l’Internet comme une chance pour l’Afrique d’intégrer, à peu de frais, la société de l’information, de nombreuses questions restent encore sans réponses. Quel est le degré d’appropriation des TIC dans les médias, principalement en Afrique de l’Ouest ? Comment Internet peut-il aider les journaux africains à améliorer leur rentabilité financière ? Quelles sont les attentes des principaux acteurs des médias, c’est à dire les journalistes et leurs partenaires ? Y a t-il un lectorat conséquent pour la presse en ligne en Afrique ? Au lieu de démocratiser, les TIC ne vont-elles pas accentuer les inégalités d’accès à l’information en créant des « inforiches » et des « infopauvres » entre le Nord et le Sud, et aussi à l’intérieur même des pays du Sud ?

Pour répondre à autant de questions, Cyriaque Paré a analysé le fonctionnement de 110 sites de médias de 8 pays d’Afrique de l’Ouest, Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Niger, Sénégal et Togo et fait un sondage auprès de journalistes et de directeurs de publication.
Les résultats de ces enquêtes, et les enseignements tirés de la gestion des sites lui ont permis de découvrir que si les journaux étudiés disposent d’ordinateurs dans leurs rédactions, son usage se limite plus souvent au traitement de texte, à la comptabilité, mais rarement pour la connexion à l’Internet. Pis, il existe des journalistes ne sachant pas utiliser l’ordinateur et qui rendent toujours leurs articles sous forme manuscrite. Le cyberjournalisme n’est pas encore une pratique courante des acteurs des médias africains, puisque la mise en ligne du journal n’est pas assurée par des journalistes formés à l’usage des TIC, mais par des informaticiens. Conséquences : l’actualisation du journal n’est pas toujours assurée, et quand elle l’est, le résultat est un « copier-coller » de la version imprimée, et il n’est pas rare de lire des légendes, sans illustrations, sur la version en ligne. Il y a manifestement un manque de ressources humaines qualifiées dans l’usages des TIC qu’il faudrait vite remédier d’autant que les directeurs des médias étudiés veulent à tout prix qu’ils soient sur la Toile, convaincus que cela augmente « leur visibilité, leur crédibilité, engendre des partenariats et permet de recueillir des annonces publicitaires ».

Y a t-il un avenir de la presse en ligne ? Le débat ne fait que commencer aussi bien au Nord qu’au Sud. « Près d’une décennie après les premières tentatives de journaux en ligne, le modèle économique capable de leur garantir un certain épanouissement et donc de les sortir de la précarité, comme l’espéraient les militants de l’introduction des TIC dans les médias, reste à déterminer », note Paré. Faut-il instaurer la gratuité des informations dans l’espoir d’attirer le maximum de lecteurs, donc d’annonceurs publicitaires ? Ou faut-il adopter le modèle des informations payantes comme l’ont essayé Fraternité Matin, l’Agence ivoirienne de presse (AIP) en Côte d’Ivoire et l’Agence de presse sénégalaise (APS), sans succès ? Ou faut-il se résoudre, comme le préconisent certains à s’orienter vers la diversification par la vente des produits comme les DVD, les livres et les photos ? En France, les site Rue89.com animé par d’anciens journalistes de Libération, Bakchich.info, Mediapart, un site que va lancer Edwy Plenel, un ex du journal Le Monde, s’orientent vers un mixage des deux modèles, au moment où le New York Times et le Wall Street journal reviennent au tout gratuit après avoir été payants.

Autre problème que rencontre la presse en ligne : le statut juridique très flou qui l’entoure. Considérant que Internet n’est pas un média, mais un simple prolongement des médias traditionnels, certains dont Hervé Bourges, ne jugent pas utile de le doter d’un cadre juridique qui lui soit propre.

A l’évidence, l’Internet est un outil de modernisation des méthodes de travail des journalistes et l’enthousiasme de ces derniers vis à vis des technologies de l’information et la communication TIC traduit tout l’espoir qu’ils placent en elles. Mais de là à proclamer l’avènement d’une « véritable cyberculture, d’une interactivité délicieuse entre l’individu et la machine, mais aussi entre les humains, d’un accès facile à tous à un savoir universel, en passant par-dessus la tête de tous les médiateurs », c’est à dire les journalistes, il y a un pas que le nouveau Docteur et ex-attaché de presse à l’ambassade du Burkina à Paris, n’est pas près de franchir.

Le jury présidé par le Professeur Jacques Barrat de l’université de Paris 2 et comprenant Madame Marie-Soleil Frère, chercheur à l’Université Libre de Bruxelles, M. André-Jean Tudesq, professeur émérite de l’université Bordeaux 3, Mme Annie Lenoble-Bart, professeur de Bordeaux 3 et directrice de thèse, a apprécié le caractère novateur de sa recherche qui permet de disposer d’un état des lieux des pratiques en matière de médias en ligne en Afrique de l’ouest.

Auteur de plusieurs travaux universitaires et publications sur les TIC, Cyriaque Paré est aussi impliqué dans leur vulgarisation. Fondateur et animateur du portail Lefaso.net, il est également à l’initiative de la création du Club@, une association pour la promotion des TIC dans les médias et le coauteur et l’animateur bénévole du site officiel de l’Eglise du Burkina (www.egliseduburkina.org).

Joachim Vokouma

Lefaso.net

P.-S.

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