LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Laurent Sédogo, ministre de l’Environnement : « Nous avons découvert que le Burkina exportait du charbon jusqu’en …Arabie Saoudite ! »

Publié le jeudi 13 décembre 2007 à 10h51min

PARTAGER :                          

Laurent Sédogo

Sous l’égide de l’Organisation des nations unies (ONU) les représentants de près de 190 gouvernements sont réunis du 3 au 14 décembre à Bali, en Indonésie pour plancher sur l’avenir de la planète et trouver des solutions au réchauffement climatique. Ils devront définir la feuille de route des négociations prolongeant au-delà de 2012 le protocole de Kyoto, seul véritable outil international permettant de réduire les émissions à effet de serre, responsable du réchauffement climatique.

Ce protocole signé en 1997, mais pas ratifié par les Etats-Unis, vise entre autres à réduire de 50% d’ici 2050 les émissions à effet de serre pour les pays en développement et de 80% pour les pays industrialisés.

Prix Nobel de la paix cette année avec le vice-président américain Al Gore, les membres du Groupe international d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) prévoient une augmentation de la température de 1,1°C à 6,4 °C d’ici 20100 comparativement à la période 1989-1999. Ils ont souligné que l’activité est la principale responsable de la hausse de température

Quelle est la place de l’Afrique dans ces négociations ? Alors que le continent noir émet beaucoup moins de dioxyde de carbone, il subit aussi les conséquences du réchauffement climatique : désertification, inondations, sécheresse…
Comment l’Afrique peut-elle faire face au réchauffement climatique, concilier le droit de l’environnement et le droit au développement ? Quelle est la politique burkinabè en matière d’environnement ? Peut-on espérer l émergence d’une véritable citoyenneté écologique au Pays des hommes intègres ?
Explications avec le ministre de l’Environnement et du cadre de vie, Laurent Sédego, en charge de ce département depuis 2004.

Avez-vous vraiment le sentiment de parler des mêmes sujets dans les rencontres internationales consacrées à l’environnement ?

Dans l’absolu, on pourrait être tenté de répondre par la négative ! Car on se rend bien compte que dans les grands fora, la voix de certains pays comme le nôtre n’est pas très considérée alors que nous considérons que sur de nombreux points, la gouvernance mondiale en matière d’environnement a quelque dérapé par rapport aux travaux de la conférence de Rio de 1992 qui a réellement constitué un tournant dans la façon de concevoir la place de l’environnement dans l’évolution du monde.

Malheureusement, très vite, on a constaté combien il était difficile d’appliquer les conventions et engagements pris à Rio, notamment sur la biodiversité, le réchauffement climatique et la désertification. Il faut le dire, ces conventions ont été prises en otage par des intérêts politiques et stratégiques qui se sont invités à la table des négociations. On a importé sur les questions environnementales, des problèmes courants que l’on rencontre à l’Organisation des nations unies (ONU) et à cause d’intérêts économiques, certaines conventions comme le Protocole de Kyoto, les conventions sur la gestion des produits chimiques, le transport des produits dangereux…ont été tardivement signées.

Du coup on peut se demander quels intérêts accordons-nous à tout ce qui a été fait à Rio, les questions politiques ayant pris le dessus sur le souci de préserver l’environnement, un sujet qui doit échapper aux enjeux géostratégiques. Pour toutes ces raisons, je peux dire qu’on est frustré à la l’issue de certaines rencontres internationales surtout quand le refus d’un seul pays peut faire échouer les travaux. Pourtant, il faut avancer sur problèmes qui nous sont posés sans tenir compte des intérêts immédiats des uns et des autres.

Je dois nuancer cette lecture assez pessimiste que je viens de faire, car si elle est vraie dans l’absolu, il faut aussi reconnaître que tout le monde a pris conscience que nous sommes pratiquement dos au mur, que dans les trois prochaines années, il y aura des mutations qui vont intervenir et qu’il faut absolument réagir sur la gouvernance environnementale.
Sur le changement climatique, les enjeux sont colossaux car il y a des pays du Nord qui ne voient pas ce qu’ils gagnent à opérer ces mutations. Ils ont donc une attitude purement conservatrice parce que les gouvernements ne veulent pas mécontenter des groupes d’intérêts qui exercent des pressions sur eux.

C’est particulièrement vrai pour les Etats-Unis et un peu moins en Europe où l’opinion a pousse les gouvernements à prendre des mesures courageuses pour la protection de l’environnement. Quant aux pays émergents qui ont aujourd’hui des taux de croissance économique quasiment à deux chiffres, ils se demandent si les conventions internationales en matière d’environnement ne visent pas à freiner leur développement et à les maintenir dans un état de pauvreté.

Ces derniers ont-ils totalement tort, quand on sait que les autres se sont développés en détruisant la nature. Comment peut-on concilier le droit au développement et droit de l’environnement ?

Je ne pense pas que le problème doit être abordé de cette façon ! Dans la naissance, il y a déjà l’idée de mort et c’est évident qu’il est difficile de changer sans détruire. Mais que faut-il, justement, détruire sans définitivement compromettre des possibilités de reconstruire ? C’est là que se trouvent les enjeux et pour les problèmes climatiques, il s’agit de créer des services pour améliorer les conditions de vie des populations tout en préservant l’avenir.
On sait aujourd’hui l’impact du CO2 libéré dans l’atmosphère sur l’écosystème et il s’agit maintenant de voir comment faire avancer l’humanité sans hypothéquer le futur

Selon certains experts, si tous les habitants de la terre devaient avoir le même niveau de vie que les Occidentaux, il faudrait trois planètes. Tout le monde a aussi droit au confort…

Si vous voulez dire que les pays du Nord doivent baisser leur niveau de vie pour préserver la planète, c’est une mauvaise approche du problème. La question est de savoir si on peut consentir des sacrifices et changer la manière de produire. Au départ de la révolution industrielle, il y a la machine à vapeur avec le charbon, puis on est passé au moteur à explosion et aujourd’hui, il existe d’autres technologies qui peuvent nous permettre d’être plus mobiles, plus rapides et de produire en grande quantité. Il suffit donc de faire des choix judicieux et c’est possible !
Certes, au début de toute nouvelle technologie, le coût de production est élevé, mais qui peut vite être amorti grâce à des économies d’échelle. Voyez le téléphone et l’ordinateur, considérés au départ comme des produits de luxe et qui sont aujourd’hui des produits ordinaires, des outils courant dans notre vie quotidienne.

Il y a seulement trois ans, qui pouvait imaginer que le téléphone portable serait à ce point populaire au Burkina ? Aujourd’hui, il n’y a pas un village où on ne trouve pas au moins un détenteur de téléphone ! Donc dès qu’un produit devient une consommation de masse, les coûts de production deviennent moindres et ceux qui disent aujourd’hui que les énergies alternatives coûtent cher, comme l’énergie solaire, ignorent peut-être que c’est parce qu’on n’a pas mis les moyens pour les développer. On se contente donc de la bonne vieille technologie à base de pétrole, alors que si on mettait les moyens pour développer cette source d’énergie la plus disponible, le soleil peut prendre une part importante dans l’approvisionnement en énergie et remplacer en partie le pétrole qui, en revanche est épuisable.

Le nucléaire faisait peur à cause de la radioactivité, mais on connaît et maîtrise mieux aujourd’hui les conséquences du nucléaire. Je le dis en tant que ministre de l’Environnement, entre le nucléaire et les énergies fossiles, je refuse de choisir. La question est de savoir comment maîtriser au maximum la source de nuisance, c’est-à-dire le rayonnement, la radioactivité afin de limiter les conséquences pour l’homme. Avec les générateurs dont on dispose aujourd’hui, ces risques sont maîtrisés et il faut travailler à faire en sorte qu’ils soient disponibles pour tout le monde dans une perspective de développement durable.
C’est le message que nous lançons aux autres dans les rencontres internationales et il y a des signes qui montrent qu’on commence à nous entendre. Après leurs empoignades, les pays du Nord se demandent :au fait que pense et disent les autres ? Justement, c’est ce que disent les autres qui est de plus en plus écouté

Vraiment ?

Oui, on peut le dire ! Regardez, depuis deux ans, l’évolution des débats aux Etats-Unis sur les questions environnementales. Les politiques sont en train de changer de discours et vous avez des grandes figures de la vie politique comme Al Gore, prix Nobel de la paix cette année, et plus surprenant, le gouverneur de la Californie Arnold Schwarzenegger. Lors de la dernière session sur les changements climatiques, il a livré un témoignage et expliqué, chiffres à l’appui, comment grâce à des mesures hardies de préservation du climat, la Californie, a pu se maintenir comme la première puissance économique des Etats-Unis

Si l’opinion publique au Nord est sensibilisée sur les questions environnementales, qu’en est-il en Afrique, et particulièrement au Burkina ?

Chez nous également, il y a une évolution très sensible de l’opinion sur les questions environnementales. Quand j’ai été nommé en 2004, les débats portaient sur le changement climatique, la biodiversité, la désertification et certains les trouvaient farfelus. On disait que c’est l’affaire des écologistes, mais aujourd’hui, producteurs agricoles comme travailleurs intellectuels s’en inquiètent tout simplement parce que les bouleversements affectent leur vie de tous les jours. Maintenant que faut-il faire ? Je constate en tout cas qu’il y a un bouillonnement en Afrique sur ces questions et nous devons mettre nos efforts en commun et que l’Afrique défende une position cohérente, affirme son leadership sur ces questions d’autant que nous sommes les moins coupables dans la dégradation de l’environnement.
Au Burkina, l’éducation en matière d’environnement entamée depuis des années commence à porter des fruits. Le gouvernement a consenti des efforts pour parler de l’éco-citoyenneté et aujourd’hui, les préoccupations environnementales ne sont plus l’apanage des spécialistes

Vous êtes ministre de l’Environnement et du cadre de vie, comme s’il y avait un lien naturel entre l’environnement et le cadre de vie…

Ce n’est pas moi qui ai choisi l’intitulé du ministère, mais je crois que les premiers responsables de notre pays l’ont fait à dessein. En y mettant le cadre de vie, il ne s’agit lus d’une description statique, on ne se contente plus de constater les phénomènes, mais de faire en sorte de maîtriser tout ce qui peut nuire à notre cadre de vie. Souvent quand on parle d’environnement, certains pensent principalement aux ressources naturelles, aux problèmes d’eau, à la pollution, au changement climatique, mais rarement au cadre de vie dans lequel l’homme évolue. Nous voulons dire que l’homme doit apprendre à connaître le potentiel du milieu qui l’entoure, en faire un outil de son développement sans pour autant le détruire. Comment faire en sorte que notre mode de consommation ne nuit pas à notre cadre de vie ? D’où la sensibilisation sur les ordures et la pollution

En quoi consiste justement la campagne de l’éco-citoyenneté ?

Je viens d’évoquer le lien entre l’homme et son milieu de vie. Etant le moteur de tout changement, il faut commencer par l’homme. Pour nous, l’éco-citoyenneté consiste à créer un citoyen qui prenne toute la mesure de sa responsabilité quant aux conséquences de ses activités, surtout en matière d’écologie. Pour la pollution, on évoque souvent les déchets industriels et ménagers, qui dégradent la qualité de la vie, mais il y a plus grave. Dans une décharge par exemple contenant des piles entassées, les infiltrations peuvent contaminer la nappe phréatique et causer des maladies.

Sur la pollution, nous avons élaboré un document pour nous attaquer aux sources des nuisances. Au Burkina, cette source, c’est essentiellement la fumée des engins, des véhicules d’un certain âge et à Ouagadougou, 80% de la pollution provient des deux roues et 18% des maladies d’origine respiratoires sont liées à la pollution. Et comme on ne peut pas interdire les deux roues, il faut par conséquent sensibiliser les utilisateurs de ces engins, de même que les constructeurs et les distributeurs. Je constate d’ailleurs que les moteurs ne sont plus à deux, mais à quatre temps.

Nous intégrons aussi la dimension sociolo-économique dans notre combat en développent les métiers de la forêt et en disant qu’il faut planter utile. Avec le baobab, il y a des associations de femmes qui se procurent des revenus en vendant les feuilles et on m’a même évoqué l’exemple d’un paysan dans le Yatenga qui, ayant planté pendant moins vingt ans du baobab, dispose du parc de mille pieds et ne vit que de ça puisque dans la zone, les populations consomment beaucoup les feuilles de baobab.
Nous avons réussi à faire accepter que dans chaque ministère, il y ait une « cellule environnement » et toutes les politiques menées prennent en compte la dimension environnementale.

Dans la ville de Ouagadougou, on constate cependant que cette campagne n’a pas encore modifié les comportements. Après la sensibilisation, la répression ?

Non pas du tout. Nous préférons accentuer la sensibilisation à travers les médias et je ne suis pas pessimiste pour la suite. Nous voulons faire comprendre qu’il est même possible de joindre l’utile à l’agréable, lutter pour l’environnement tout en faisant des affaires. N’y a-t-il pas pour un opérateur économique quelque chose à gagner dans le traitement des ordures ?
La répression ne doit pas être la règle, mais elle doit être appliquée seulement de temps en temps et nous le faisons quand il le faut. Quand des gens vont déverser des déchets n’importe comment, bafouant ainsi le code de l’environnement, nous les obligeons à réparer leur faute en appliquant le principe du pollueur payeur. Celui qui commet un acte doit en assumer la responsabilité

Que savez-vous de l’impact de l’utilisation des pesticides sur l’écosystème ?

Nous avons des études partielles sur les conséquences éventuelles de l’utilisation des pesticides dans le processus de production et de commercialisation du coton sur différents sites. Il nous faut à présent prendre des mesures qui nous permettent de continuer la culture de ce produit stratégique dans les années à venir. Nous savons quel est l’impact de l’irrigation sur l’environnement, mais il reste encore à savoir très précisément ce qui nous attend dans 15-20 ans dans la production du coton et pour cela, nous faisons appel à des compétences multiples, économistes, ingénieurs, sociologues, chimistes pour nous éclairer sur le sujet.

Il y a aussi la dégradation des terres contre laquelle nous avons lancé avec le fond mondial de l’environnement, un programme de gestion durable des terres où il s’agit de travailler avec des laboratoires qui mesurent très précisément l’impact des pesticides en laboratoires et en milieu ouvert. Nous savons également les nuisances que provoquent les usines comme les tanneries, les brasseries et les réponses à apporter face à ces nuisances

Dans votre politique de préservation de l’environnement, des confrères ont estimé que vous utilisez des méthodes qui rappellent celles des CDR…(Comité de défense de la révolution)

(Rires) Ah oui ! Je comprends pourquoi ils disent cela et c’était à propos de la production et de l’exploitation du charbon. De quoi s’agissait-il ? En 2004-2005, nous avions constaté que des gens utilisaient des méthodes non conventionnelles dans la production de charbon et qui comportaient des conséquences extrêmement graves pour l’environnement et qui risquaient de compromettre toute notre politique en matière de foresterie. Des individus vont en brousse, coupent abusivement le bois, l’enfouissent dans un trou et le brûlent. Conséquences : au bout d’un certain temps, tous les arbres situés dans un rayon de 50 à 100 mètres meurent. En plus de cela, dans la région de Fada N’Gourma, nous avons vu des tas de charbon équivalent à la hauteur d’un building de trois étages, et comble de l’aberration, nous avons découvert que le Burkina exportait du charbon jusqu’en …Arabie Saoudite ! Est-ce que nous pouvons nous payer ce luxe ?

J’ai donc fait arrêter la production pendant six mois jusqu’à ce qu’on écoule le stock disponible qui était suffisante pour la consommation nationale. Nous avons réorganisé autrement la filière en faisant en sorte que les populations locales deviennent les vrais acteurs de la production du charbon et non les citadins qui ne vivent pas au quotidien les effets de la coupe anarchique du bois. D’ailleurs, les villageois se plaignaient du fait que les gens de ville viennent saccager leurs forêts pour les besoins des habitants de la ville. Nous avons donc formé des villageois à des techniques de production qui ne détruisent pas l’environnement et qui soient rentables. En début de campagne, le ministère signe un arrêté pour limiter les zones où la production est faisable et maintenant les villageois ont des revenus puisque désormais, ce sont eux les acteurs de la filière. Voilà comment nous avons procédé avec une méthode assez volontariste et le résultat est là. C’est vrai, j’ai été CDR et j’en suis fier, mais même si je ne l’avais pas été, ma responsabilité de ministre de l’Environnement me commandait de mettre fin à cette exploitation sauvage du charbon

Joachim Vokouma
Lefaso.net

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)