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Festivités du 11-décembre 2007 : Ces fastes serviront-ils le civisme ?

Publié le mercredi 12 décembre 2007 à 09h46min

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Hier 11 décembre 2007, le Burkina tout en entier a vibré au son de la fête nationale, qui se trouve être la date anniversaire de la proclamation de la République de Haute-Volta en 1958. Comme au bon vieux temps, les plus de 40 ans d’âge ont revécu, certes dans des contextes différents, ces moments où ils défilaient ou regardaient défiler, devant les présidents Maurice Yaméogo ou Aboubacar Sangoulé Lamizana, les diverses couches socioprofessionnelles du pays.

Les plus jeunes, quant à eux, vivent pour la première fois un tel événement sous l’Etat de droit libéral et démocratique tel qu’institué par la Constitution de 1991.

Qu’en dire sinon se réjouir du fait que les dirigeants du Faso ont renoué avec notre histoire commune et sont en train de réconcilier les Burkinabè avec eux-même d’une part et d’autre part avec leur passé. En effet, plus d’un dirigeant actuel se souvient avec une pointe de nostalgie des défilés auxquels il a pris part ou a assisté à Ouagadougou ou dans les autres villes du pays.

Et pour ces raisons : aux élèves on distribuait des tenues et des chaussures pour la circonstance, aux internes étaient servis des plats spéciaux et des boissons gazeuses, à la place de la nation étaient organisées des kermesses grandioses, dans les bars et boîtes de nuit, l’ambiance était électrique...

Tout cela dans un contexte où les mœurs n’étaient pas aussi dépravées qu’elles le sont aujourd’hui : moins de banditisme, moins de prostitution (réelle ou déguisée), plus de respect de la chose publique et des aînés, plus d’enthousiasme au travail... Certes, on nous rétorquera que la vie était moins difficile qu’aujourd’hui comme si la vertu était systématiquement liée à la consistance de nos comptes bancaires.

A l’évidence, nombre de nos parents qui nous ont envoyés à l’école étaient d’une indigence matérielle inqualifiable mais d’une opulence vertueuse remarquable. Bien qu’Aristote, cet illustre philosophe de l’antiquité, ait dit que pour pratiquer la vertu il faut un minimum de bien-être matériel, lui-même reconnaît que le pauvre est potentiellement plus vertueux que le riche en ce qu’il est en contact permanent avec les dures réalités assagissantes de la condition humaine.

Noble intention mais...

En renouant avec l’organisation faste du 11-Décembre, le gouvernement ambitionne d’injecter une dose de civisme dans l’esprit et le comportement des Burkinabè en général et des plus jeunes en particulier. Son intention est également de rassembler les Burkinabè, divisés qu’ils étaient (et sont ?) à propos du 4-Août et du 15-Octobre.

Le commentateur du défilé qui, sauf erreur de notre part, ne s’est pas présenté et dont on n’a aperçu aucune image, a souligné en substance que le cachet particulier donné au 11 décembre 2007 tient au fait que le gouvernement voulait que les citoyens burkinabè se réjouissent ensemble et à l’unisson autour de la fête nationale et que ce soit un catalyseur de plus de civisme.

Si tous les esprits, au regard de la déliquescence de notre société, s’accordent sans peine sur la noblesse de l’objectif, il n’en est pas de même sur la démarche.

Effectivement on peut :
premièrement, regretter que le gouvernement n’ait pas donné les contours définitionnels du mot civisme à travers des conférences médiatisées ou des explications dans les spots conçus à l’occasion du 11-Décembre ;

deuxièmement, déplorer que (à notre connaissance en tout cas) on n’ait pas non plus dit un mot sur le choix porté sur le 47e (et non le 45e ou le 50e qui sont des multiples de 5) anniversaire pour un tel faste. 47 est un nombre premier et dans le cachet particulier que les sociétés donnent à leur histoire, ce genre de nombre ne retient pas l’attention ;
troisièmement, noter une erreur d’appréciation prospective en matière de civisme.

...Une explication critique s’impose

Afin d’apporter notre quote-part à cet élan malgré tout bien à propos, il importe d’apporter des réponses aux trois points de critique soulevés plus haut. Non parce que nous sommes plus érudits que les organisateurs, mais parce que l’esprit critique qui est incapable de proposer quelque chose à la place de ce qu’il critique dégénère en esprit de critique.

Cela étant, le Dictionnaire Hachette de la langue française définit le civisme comme "le dévouement du citoyen pour son pays, de l’individu pour la collectivité". En sciences politiques, c’est l’attitude qui consiste à partager les idéaux communs de la société, à participer régulièrement aux activités de la cité (en particulier par l’exercice du droit de vote) et à payer ses impôts.

Enfin en philosophie, le civisme "implique la formation individuelle du citoyen : la vertu (Robespierre, Saint-Just), la raison (Condorcet)". (in Lexique des sciences sociales Madeleine Grawitz, Dalloz, Paris 1991).

On retiendra donc que le civisme est en quelque sorte le niveau ou le degré d’intériorisation et de mise en application par l’individu des valeurs et des vertus en vigueur au sein de la société.

Si l’on reste fidèle à une telle acception, on ne peut que conclure que le gouvernement a commis une erreur d’appréciation prospective. Qu’est-ce à dire ? C’est dire que le civisme ne peut être que parce qu’il y a au préalable des vertus, des valeurs, des idéaux que l’on s’attache à inculquer aux jeunes générations. Par ce processus tous sont concernés : parents, familles, voisins, lignages, clans, amis, gouvernants, gouvernés...

Or, il est admis par la majorité que nos valeurs, nos vertus et nos idéaux vont à vau-l’eau. Si ce fait est, comme le pense la majorité des Burkinabè, avéré, est-ce que l’unique, simple et faste journée du 11 décembre 2007 est suffisante pour que vertus, valeurs et idéaux aient brusquement droit de cité ?

Bien sûr que non, puisque ce n’est pas l’événement qui accouche de la vertu (le civisme) mais l’inverse dans la mesure où le premier est l’aboutissement et la matérialisation de la seconde. Sans cette relation de cause à effet, l’événement devient comme un épiphénomène (un phénomène éphémère et accessoire) juste bon pour nos pulsions égocentriques mais sans intérêt vis-à-vis du peuple.

Un morceau du puzzle et seulement un morceau

Les 500 millions de francs CFA injectés dans l’événement ne doivent pas être outre mesure un sujet de préoccupation. L’adjectif numéral ordinal 47e (bien que nous ayons déploré que le gouvernement n’en ait donné aucune explication) ne pose pas non plus un problème de fond. En clair, pour nous, le problème n’est pas posé et n’est pas à poser à ce niveau.

Le vrai problème, nous semble-t-il, c’est de savoir si :
le civisme, dont on parle et qui semble être la seule affaire des ministères en charge des droits humains et des enseignements, sera un jour la propriété (comme aux temps jadis) des parents, des familles, des lignages, des clans, des gouvernants... Si oui, il faudra savoir comment, car si en théorie, nous tous parlons de civisme et de vertu, dans la pratique, ce ne sont pas des comportements en adéquation avec le civisme que nous adoptons.

Et nos enfants qui sont plus éveillés que nous le croyons, s’en rendent compte et nous emboîtent le pas ;

l’organisation, par les gouvernants, de la fête grandiose cette année-ci sera suivie de réflexions pertinentes et d’actes forts de sorte que la célébration du 11 décembre 2007 soit comme un déclic pour la renaissance de la morale par l’exemple venu d’en haut. Si Blaise Compaoré a nommé un Premier ministre qui, jusqu’à présent, a fait preuve de volonté, voire de volontarisme, force est de reconnaître que les pesanteurs sociopolitiques restent fortes. Si fait que beaucoup de Burkinabè attendent de voir. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, puisque c’est synonyme d’état de grâce. Mais attention, car ce ne sont pas des choses qui durent longtemps.

En dehors d’une telle perspective, la célébration faste du 11 sécembre 2007 ne servira qu’à alimenter le mécontentement (pour cause de misère) des Burkinabè et les critiques acerbes (et c’est de bonne guerre) de l’opposition.

En somme, à elles seules, les manifestations ne sont pas productrices de vertus et de valeurs, même si elles peuvent apporter une contribution non négligeable à l’enfantement de ces vertus et de ces valeurs ; mais encore faut-il qu’en amont, le bien, le vrai et le juste que nous proclamons soient en inadéquation minimale avec notre pratique.

Z. K.

L’Observateur Paalga

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