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Djibrill Ypénè Bassolé, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale : “L’axe majeur de notre diplomatie, c’est la promotion de la paix et de la stabilité sous régionale”

Publié le lundi 26 novembre 2007 à 19h32min

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Djibril Bassolé

Officier de gendarmerie, qui a gravi tous les “escaliers” de son corps, “né d’une famille modeste”, selon ses propres termes, juriste qui ne se voit pas un “destin de leader politique régional”, Djibrill Yipénè Bassolé, récemment porté à la tête du ministère des Affaires étrangères, nous décline ici les grands axes de son action à la tête de son département. Il nous parle aussi des grands dossiers de son ministère, des ambitions de la diplomatie burkinabè et bien d’autres sujets d’actualité.

Sidwaya (S.) : Quelle orientation comptez-vous donner au ministère dont vous venez d’avoir la charge et quels sont les grands dossiers qui vous attendent ?

Djibrill Y. Bassolé (D.Y.B) : Les grandes orientations du ministère sont déjà définies par le Président du Faso dans son programme quinquennal. Quant aux grands dossiers du ministère, ils englobent d’abord les grandes médiations que le Président du Faso en tant que facilitateur conduit, notamment les dossiers togolais et ivoirien. Ensuite, le 16 septembre 2007, le Burkina Faso a été élu membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Conséquemment, au cours des deux prochaines années, cette participation au Conseil de securité va intensifier le rythme de travail pour le ministère des Affaires étrangères. Nous avons enfin les dossiers traditionnels, et, le Président du Faso étant Président en exercice de l’UEMOA et de la CEDEAO, le ministère des Affaires étrangères burkinabè préside un certain nombre de conseils de ministres, notamment le Conseil de médiation et de sécurité de la CEDEAO. Le chantier est vaste comme vous le constatez. La promotion de la paix et de la stabilité dans notre sous-région, l’intégration économique et le rayonnement du Burkina Faso à l’extérieur seront les axes forts de notre diplomatie.

S. : En rapport avec ce que vous venez de dire à propos de l’élection du Burkina Faso comme membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, quels sentiments vous animent et que gagne concrètement un pays comme le nôtre en siégeant audit Conseil, en dehors du prestige ?

D.Y.B : Déjà, le prestige n’est pas dénué d’intérêt pour notre pays. Ensuite, il y a quand même un sentiment de fierté d’avoir été ainsi plébiscité par les différentes nations du monde. Cela consacre les efforts que le Burkina Faso mène depuis un certain nombre d’années pour renforcer et consolider la paix et la stabilité dans le monde. Nous pensons modestement que notre participation au Conseil de sécurité auprès des cinq membres permanents et des neuf autres non permanents nous permettra d’échanger sur les grandes questions de paix et de sécurité dans le monde. Nous avons, si je peux m’exprimer ainsi, une petite expérience locale à partager avec les autres nations.

S. : Cela nous permet de revenir sur le message que vous avez délivré lors de la 62e session de l’Assemblée générale des Nations unies, pour que vous nous en déclinez les grands axes.

D.Y.B : Lors de cette session, nous étions en campagne pour notre élection comme membre non permanent du Conseil de sécurité. Nous avons, pour ce faire, essayé de présenter aux autres nations du monde les atouts dont disposait le Burkina Faso notamment son expérience en matière de résolution de crises. Nous avons aussi lancé des messages pour la préservation de notre environnement. Vous êtes mémoratif qu’à l’époque, (ndlr : août-septembre 2007) nous venions de sortir d’une cascade d’inondations qui ont endeuillé des familles. De notre point de vue, ces catastrophes naturelles avaient quelque chose à voir avec les désordres climatiques que notre planète connaît. Nous souhaitons que très rapidement, la communauté internationale puisse trouver des solutions pour que les hommes et les femmes de cette partie du monde soient mis à l’abri de telles catastrophes. Le Burkina étant impliqué dans le processus de la paix au Togo et en Côte d’Ivoire, nous avons saisi cette opportunité pour lancer un appel à la communauté internationale, afin qu’elle appuie nos frères ivoiriens et togolais dans leur quête de la paix et de stabilité.

S. : Sur la facilitation ivoirienne, malgré les garanties données par toutes les parties, les choses semblent piétiner sur le terrain et il y aurait même des “claquages”. Où en êtes-vous globalement avec le dossier ivoirien ?

D.Y.B : D’une manière générale, il faut reconnaître que l’Accord de Ouagadougou a vraiment ramené l’accalmie et plus encore, un sentiment de paix et de sérénité en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, les Ivoiriens vaquent librement à leurs occupations ce qui est un acquis incontestable. Ensuite, par rapport à la mise en œuvre de l’Accord, l’objectivité commande de dire qu’au regard du chronogramme initial, nous sommes en retard. Mais comme je l’ai indiqué récemment au niveau du Conseil de sécurité, cela n’est pas dû à une quelconque mauvaise volonté des deux parties. Il y a des lourdeurs liées à la lenteur au plan administratif au manque de ressources financières, mais qui ne touchent pas à la substance même de l’Accord. Au cours de notre dernière réunion de travail, nous avons essayé avec les deux parties de recenser ce qui pourrait constituer des obstacles à la mise en œuvre rapide de l’Accord. C’est sur ces questions que le facilitateur a proposé aux deux parties, des Accords complémentaires. Il a été question du choix de l’opérateur technique chargé de l’identification. Les deux parties se sont accordées pour désigner la société SAGEM. Mais vous savez que l’identification dans le processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire, tient une place extrêmement importante. Elle est au cœur des tâches à accomplir d’où l’intérêt manifeste de chacune des parties. Cela amène des débats sur la répartition des tâches.

Mais ces questions gagnent à être réglées à Ouagadougou autour d’une table de discussions, plutôt que de donner lieu à des problèmes sur le terrain. En dehors de l’opération d’identification, les accords complémentaires se sont penchés sur le regroupement des ex-combattants dans les sites déjà amenagés. Ayant constaté une certaine lenteur dans ledit regroupement, le faciltateur a proposé aux deux parties que le gouvernement de Côte d’Ivoire puisse verser une allocation aux ex-combattants regroupés sur les sites et prenne en charge les dépenses liées à la démobilisation de même que celles que le budget des Forces nouvelles prévoyait pour leur fonctionnement. En contrepartie de quoi, l’administration fiscale et douanière se redéploierait normalement sur les zones Nord en Côte d’Ivoire. En outre, les deux parties ont convenu d’indiquer une période au cours de laquelle l’élections présidentielle devrait se tenir. Il s’agit, je crois, du premier semestre de l’année 2008. Pour tout vous dire, il n’y a pas eu de rupture en tant que telle. Les deux délégations reviennent lundi (ndlr : aujourd’hui) à Ouagadougou. Il est aussi prévu que le président Gbagbo et le Premier ministre Soro viennent voir le facilitateur mardi 27 novembre 2007 à Ouagadougou, pour discuter de toutes ces questions, afin que la mise en œuvre du processus de paix soit accelerée.

S. : Par rapport aux questions délicates, qu’en est-il du “contentieux” militaire notamment l’affaire des grades dits Soro ?

D.Y.B : C’est une affaire importante et le projet d’accord prévoit que pour la question des grades ainsi que celle des quotas des effectifs à intégrer dans la nouvelle armée, les deux parties s’en remettent à l’arbitrage du facilitateur. Celui-ci va naturellement procéder à des consultations et proposera une solution consensuelle qui fera avancer le processus du Désarmement-démobilisation-réinsertion (DDR).

S. : C’est dire que l’esprit de la paix est bel et bien présent en Côte d’Ivoire ?

D.Y.B : Bien sûr, même si on achoppe sur certains points de discussion. Ceci n’est pas un mal en soi, car, il vaut mieux avoir à régler ces questions-là autour d’une table de discussions, plutôt que d’aller vers un incident quelconque ou un accrochage sur le terrain. Surtout par rapport à la délicate question de l’identification et du recensement électoral qui préoccupe tous les Ivoiriens.

S : Ce même esprit de la paix a conduit les Togolais à l’organisation d’élections législatives consensuelles, même si depuis lors, les choses semblent piétiner notamment pour la formation du gouvernement. Votre avis.

D.Y.B : A mon sens, le processus connaît plutôt un bon aboutissement.
Selon les appréciations d’observateurs, le cas togolais peut être présenté comme un exemple d’élections transparentes et crédibles qui aient été organisées sur le continent africain. C’est une fierté pour nous et je pense que ces élections réussies vont réconcilier les Togolais en même temps qu’elles vont permettre à la coopération internationale (en particulier avec l’Union européenne) de reprendre, pour le plus grand bien des Togolais.

S. : Il n’empêche qu’on parle de dissensions au sommet de l’Etat entre faucons et modérés. Celles-ci sont-elles majeures au point de mettre en cause le fonctionnement des institutions républicaines ?

D.Y.B : Je ne le crois pas. L’essentiel est dans la mise en œuvre du processus. L’Accord a préréglé un certain nombre de problèmes et nous avons pu franchir le cap des élections législatives. Il reste une série de réformes, à savoir les réformes constitutionnelles, institutionnelles, ainsi que celles relatives aux forces de défense et de sécurité. Mais elles se feront très probablement dans un esprit de concertation, pour sceller définitivement la réconciliation nationale au Togo.

S : Venons-en à présent à l’état de nos relations diplomatiques avec la France depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir.

D.Y.B : Nos relations sont au beau fixe et j’ai été personnellement reçu au Quai d’Orsay le 4 octobre à l’invitation du ministre français des Affaires étrangères. L’entretien s’est très bien déroulé et il était prévu que mon homologue français vienne ici ; le voyage ayant été reporté pour des questions de calendrier. Mais les présidents Sarkozy et Compaoré se rencontreront à Lisbonne en marge du sommet Union européenne-Afrique et par la suite, il y aura des visites bilatérales.

S : Maintenant, est-ce qu’on peut demander à l’Africain que vous êtes, d’apprécier la sortie dakaroise de Sarkozy ainsi que sa politique d’immigration choisie ?

D.Y.B : En tant que président de la République française, le président Sarkozy donne sa vision et sa compréhension du passé et du devenir de notre continent. Je n’ai pas de commentaire particulier à faire. Mais, en tant que cadre africain, je pense que l’avenir des Africains est entre les mains des Africains. Je ne suis pas de ceux qui essaient de décrypter au travers des discours des dirigeants occidentaux le devenir ou le bonheur du continent de l’Afrique. Je pense que nous sommes aujourd’hui des peuples majeurs et c’est à nous qu’il revient de réaliser ce qui est bien pour notre continent et nos populations. Il faut, pour cela, lancer résolument nos pays sur la voie de la bonne gouvernance et du développement social et de l’intégration économique.

S : Pour en revenir à la Côte d’Ivoire, donnez-nous votre opinion sur la suppression de la carte de séjour dans ce pays.

D.Y.B : Nous l’avons appréciée au niveau du conseil de médiation et de sécurité lors de la dernière réunion du ministère des Affaires étrangères de la CEDEAO. Cet acte du président Gbagbo se conforme à la réglementation de notre communauté sous régionale relative à la libre circulation des personnes et des biens ainsi qu’au droit d’établissement. La suppression de cette carte de séjour jointe à des mesures pratiques faisant en sorte que les étrangers vivant en Côte d’Ivoire ne soient pas objet de tracasseries sera une mesure salutaire. Nous allons pouvoir résolument nous engager vers cette indispensable intégration économique qui est la voie du salut pour les pays de la sous-région.

S : Cela nous offre l’opportunité de vous demander de nous décliner la position du Burkina Faso sur l’intégration du continent africain.

D.Y.B : Le Burkina est favorable à une intégration progressive du continent. Il y a des étapes qu’on ne peut pas brûler. Il faut bien que nous puissions mettre déjà de l’ordre dans les systèmes économiques et politiques nationaux et procéder à une intégration réussie des différentes sous-régions, avant d’aller à une grande intégration au niveau du continent. Voilà la démarche qui nous semble être la plus rationnelle et la plus efficace.

S. : Vous avez récemment séjourné en Italie pour l’ordination du Nonce Apostolique. Quel sens donner à ce voyage ?

D.Y.B : Le Président du Faso a souhaité qu’en compagnie du ministre de la Culture, nous puissions, représenter le Burkina à cette consécration qui a été une très belle cérémonie. Aussi, vous n’ignorez pas la place qu’occupent les religions au Burkina et la foi des Burkinabè. Accorder un intérêt particulier à cet acte d’une haute importance va dans le sens de l’intérêt que le Président du Faso et le gouvernement portent aux questions qui touchent à la sensibilité de nos populations. Le Nonce Apostolique est l’ambassadeur du Saint-Siège au Burkina Faso, et, il s’agit donc en outre d’une activité diplomatique à laquelle nous avons tenu à participer.

S. : Autre sujet, comment évolue le dossier des “diplomates-marcheurs” ?

D.Y.B : Il n’est pas prévu que ceux qui ont été redéployés dans d’autres ministères reviennent au département des Affaires étrangères. Cela, compte tenu des préoccupations qui sont celles de la diplomatie burkinabè et de l’image que nous voulons lui donner. Evidemment, ils ne sont pas bannis des Affaires étrangères étant entendu que dans l’évolution de leur carrière individuelle, il n’est pas exclu que certains parmi eux se retrouvent à nouveau dans la grande famille de la diplomatie.

S. : En rapport avec l’image de notre diplomatie, quel signal le gouvernement a voulu donner à travers cette décision ?

D.Y.B : Les comportements de ce type n’honorent pas du tout nos institutions, surtout celles regaliennes, comme la nôtre. Au cours de mon séjour dans ce ministère, je m’efforcerai de donner au personnel de la motivation et une certaine fierté d’appartenir à un corps noble, qui porte sur lui la lourde mission d’être la vitrine du Burkina Faso à l’extérieur.

S. : Justement dans le management des hommes, il nous revient que vous êtes très matinal au point d’avoir bousculé les habitudes des agents du ministère. L’heure de la gestion “militaire” a-t-elle sonné dans votre département ?

D.Y.B : Pas du tout. Etant rarement à Ouagadougou, je profite au maximum du peu de temps que je passe au pays. Je viens donc très tôt pour examiner les dossiers, car le programme journalier d’un ministre des Affaires étrangères est chargé et diversifié. Autrement, je ne veux pas imprimer un rythme militaire au département, lequel ne tiendrait pas de toute façon. Mais le travail commence pour tout le monde à 7 heures et je veillerai à ce que le personnel soit présent aux heures de travail surtout qu’il soit engagé. Comme je leur disais, le nom du Burkina est allé très loin. Et, il faut pour porter ce nom, un véhicule très efficace et ce véhicule c’est notre département qui se doit d’être à la hauteur de la mission. Il faut donc être efficace, engagé, disponible. Ce sont ces valeurs que nous essaierons d’inculquer aux agents du ministère des Affaires étrangères. La rigueur sans la méchanceté, voilà ce à quoi mon cursus professionnel m’incline naturellement.

Boubakar SY

Sidwaya

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