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Chine populaire : Un miracle cauchemardesque ?

Publié le mardi 13 novembre 2007 à 11h16min

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Le miracle économique chinois est-il un leurre ? En tous cas, pour Evariste Bationo dont l’analyse suit, le prodigieux bond économique chinois ne va pas sans conséquences, surtout sur la nature du régime politique en vigueur.

Le miracle économique chinois occupe aujourd’hui la primeur de la plupart des grands débats sur le développement. Ce, d’autant plus que la Chine de Pékin, jadis tête de proue du tiers-monde, arrive présentement tant bien que mal à tirer ses marrons du feu, obligeant souvent les maîtres de toujours à reconsidérer leur positionnement sur l’échiquier économique mondial. En bref, le développement économique chinois suscite à la fois admiration, frayeur et questionnements. Qu’en est-il exactement ? Ne convient-il pas plutôt de parler d’un basculement idéologique, signe annonciateur d’une implosion future ? Pourquoi le miracle économique chinois et non pas celui africain ? Cette dernière question mérite d’être posée, car, si les Chinois, en tant que peuple pauvre, ont pu se tirer d’affaire, il n’y a pas de raison que cela ne soit pas le cas des Africains, sauf par paresse ou malédiction. Cette dernière assertion se voit renforcer par les derniers propos du président Stephane Nicolas Sarkhozy de Naggy Bosca lors de son passage à l’université Cheick Anta Diop de Dakar. La thèse du culturalisme explique-t-elle réellement l’ascension économique de la Chine, et, par ricochet, le retard africain ? Les lignes suivantes nous en diront un peu plus.

Les médias internationaux nous ont habitués ces derniers temps à un débat sur le miracle économique chinois. Aussi, comme tiré d’un profond sommeil, les apologistes, spécialistes et autres chercheurs du monde entier leur ont emboîté le pas, les uns se montrant plus prolixes et plus convainquants que les autres dans les explications. Ce sujet à la mode a eu pour conséquence l’émergence d’une sorte d’orgie universitaire où les amateurs font offices de spécialistes, prêts à toutes les contorsions possibles pour produire des réflexions sans fondements. En effet, une certaine opinion veut que le miracle économique chinois soit la preuve de l’inconséquence et de l’incapacité des Africains à réaliser le développement. Qu’à cela ne tienne, le développement économique de la Chine est un thème passionnant qui amène une pléiade d’interrogations vis-à-vis de l’avenir du peuple chinois lui-même et, partant, des autres peuples en voie de développement comme les Africains.

Les secrets d’un miracle

De façon simplifiée et visible, le miracle économique chinois se traduit par l’assaut économique donné par la Chine sur tous les segments des marchés internationaux. A l’origine, il faut situer le miracle chinois au début des années soixante sur fond de discorde idéologique et de leadership entre l’URSS et la Chine populaire au sein du tiers-monde. Le summum de cette dissension sera atteint, selon le géopoliticien Claude Collin Delavaud (dans son œuvre intitulée « La géopolitique de l’Asie »), le 22 juin 1960 à la conférence des syndicats progressistes de Bucarest où la Chine n’est pas allée de main morte pour remettre en cause l’hégémonie de l’URSS sur le monde communiste, et réclamer le partage des influences. La suite sera rapide. Dès le 16 juillet, l’Union soviétique retire de la Chine ses 13 900 spécialistes (pour la plupart des ingénieurs travaillant sur les grands aménagements et les installations), emportant avec eux les plans des réseaux et les schémas des câblages. Une action visant plus à faire pression sur la Chine qu’à l’abandonner. Mais, la Chine n’était pas d’humeur à céder. Un palliatif est vite trouvé. Selon toujours Claude C. Delavaud, la bouée de sauvetage est trouvée à travers l’appui significatif des transfuges du monde capitaliste à travers Japonais et Britanniques, tandis que les Chinois du monde entier sont invités à réintégrer la mère patrie avec leur savoir-faire. L’auteur écrit en ces termes : « Les fils, petits-fils d’émigrés … emportent dans leur bagage de quoi hâter la marche de la Chine indépendante ; surtout les brillants ingénieurs et savants des Etats-Unis. Le coup infligé par le départ des experts sera très rude à court terme, tout en consolidant l’autonomie à moyen et long terme, car il augmentera la marge de manœuvre des Chinois, face au monde capitaliste et au sein de la famille communiste. » Dès cette époque, les bases d’une économie chinoise indépendante des ressentiments idéologiques sont jetées.

Mais, entre-temps, les réformes (Le Grand bon en avant 1958, et la révolution culturelle 1966-1976) entreprises par Mao Tsé Tong sont vouées à l’échec, s’étant soldées par la famine et la mort de millions de Chinois. Il faudra attendre l’avènement de Deng Xiao Ping au pouvoir en 1977, pour voir véritablement le début de la modernisation de l’économie chinoise, conséquence d’une pression exercée par le peuple. Avec Deng, on parle désormais de « révolution réformatrice », c’est la mise en application des quatre modernisations de l’agriculture, l’industrie, l’université et l’armée. Dans la foulée, les tensions idéologiques avec l’ex-alliée soviétique avaient fini par tourner sur le plan diplomatique en faveur de la Chine. Dans « La géopolitique de l’Asie », on peut lire à la page 40 : « Les puissances occidentales qui ont longtemps douté du schisme sauront mettre à profit cet élargissement de la déchirure idéologique et nationaliste. Sa Majesté la Reine d’Angleterre, souveraine du premier en date des Etats capitalistes ayant reconnu la République populaire de Chine, passera par pertes et profits le sac de son ambassade et les avanies subies par son personnel au cours d’une mortelle après-midi de septembre. De Gaulle ne réagira pas plus aux vexations imposées à son ambassadeur, le solide et responsable Paye. Les Américains, à vrai dire peu concernés par ce type de problème puisque non représentés, amorcent un rapprochement que le très nationaliste Nixon va concrétiser dès le début des années 70. » Comme on le constate, les puissances occidentales ne ménageront aucun effort pour entretenir les disparités nées de l’opposition sino-russes. A partir de ce moment, tous les moyens seront mis en œuvre pour distendre ces anciens alliés, afin d’éviter toute nouvelle consolidation du bloc communiste. Longtemps décrié, la Chine de Mao est ainsi admise à l’ONU en 1971 en remplacement de celle de Tchang Kai Tchek. Dans cette même lancée, les nouvelles réformes initiées par Deng Xiao Ping seront encouragées et soutenues.

Témoin averti de la situation, Claude Collin Delavaud souligne à la page 43 de son oeuvre : « Dès lors, l’Union soviétique reste le « seul ennemi » et non plus le « principal ennemi » comme l’annonce pudiquement la propagande. Les technologies militaires des Etats-Unis renforcent la surveillance satellitaire de la frontière, de la Manchourie au Xin Jiang (frontière sino-russe). Les relations diplomatiques deviennent franchement géopolitiques. Le premier glacis est « l’archipel », insulaire ou péninsulaire, capitaliste qui flanque à l’Est l’Empire du Milieu, de la Corée du Sud à Singapour, Japon compris. Il est fortement convié à commercer et à financer des entreprises à deux degrés, directement dans des zones et centres économiques spéciaux, indirectement à l’intérieur, par l’intermédiaire de transferts de technologies qui équivalent à de véritables investissements. Car ce sont des machines, voire des usines clefs en main plus que des brevets, qui parviennent de Tianjin à Canton dans une stratégie littorale qui renforce encore les déséquilibres régionaux d’antan. » Ainsi, la véritable histoire du miracle économique chinois est là. La Chine a bénéficié d’une aide significative des occidentaux avec au premier plan les Etats-Unis et les dragons d’Asie dans son désir d’ascension. Dans cette dynamique entretenue de main de maître, les portes des universités occidentales seront grandement ouvertes pour la formation des cadres chinois. Il faut ajouter à cela deux actes qui consacreront à jamais la position actuelle de l’Empire du Milieu. Ce sont, la rétrocession par la Grande Bretagne de l’île de Hong Kong en 1997 et son entrée à l’OMC le 11 décembre 2001.

Comme on peut le constater, le miracle économique chinois tire ses fondements réels de l’après-Seconde Guerre mondiale où le monde s’est vu disloqué en deux blocs antagonistes à la suite des disparités idéologiques entre les tenants du communisme à l’Est et ceux du capitalisme à l’Ouest. Engagés dès les premiers instants de cette opposition dans une logique guerrière, les tenants du bloc capitaliste se rendront vite à l’évidence de l’inefficacité d’une solution militaire. En effet, la politique de « Containement » (contenir le communisme en Asie) montrera vite ses limites avec la guerre de Corée en 1950 qui a manqué de près d’aboutir à la troisième guerre mondiale, n’eût été le traité de paix de Pan Mun Jon du 27 juillet 1953 qui consacrera le début de la coexistence pacifique. Ainsi, pour désormais réussir sa lutte contre l’expansion du communisme dans le continent asiatique, la logique guerrière fera place à l’option économique. C’est dans ce sens qu’il faut placer le soutien américain accordé au Japon, aux quatre « Dragons » (Singapour, Hong Kong, Corée du Sud, Taïwan) et plus tard à la Chine populaire. Aussi, la Chine étant une puissance démographique, son absence d’ouverture à l’économie mondiale avait une incidence insoupçonnée sur les opérateurs économiques occidentaux. Ces derniers ne ménageront aucun effort pour faire pression sur leurs gouvernants afin d’obtenir une normalisation des rapports avec Pékin. Qu’y a-t-il donc à chanter les louanges d’un miracle dont on est soi-même l’instigateur ?

Le miracle et ses corollaires

A l’instar de tous les miracles, le miracle économique chinois ne va pas sans conséquences. En fait, les réformes économiques dites des quatre modernisations entreprises par Deng Xiao Ping se sont déroulées au mépris des règles de gestion communiste. Si fait que de nos jours, les esprits avertis ont du mal à définir véritablement le statut économique de la Chine. Certains osent cependant l’aventure en parlant d’économie sociale de marché mais, sans une réelle conviction. Aujourd’hui encore, l’on est à se poser la question de l’avenir politique de la Chine. Le dirigisme politique du Parti communiste survivra-t-il au libéralisme économique ? En réalité, il lui serait difficile de rester pour longtemps sans subir les desiderata de cette nouvelle situation. L’histoire de toutes les révolutions du monde nous enseigne qu’elles ont été pour la plupart d’inspiration bourgeoise. Le PC pourra-t-il continuer sa politique de pensée unique et de gouvernance autocratique, face à une bourgeoisie naissante qui voudra placer son mot, sinon prendre les reines du pouvoir ? Comme on le constate, cette nouvelle transition ne sera pas facile. Jusque-là, avec le PC, les contradictions idéologiques se sont réglées par des purges successives et des emprisonnements. Nous en voulons pour preuve l’élimination de la « Bande des Quatre » en octobre 1976, après le décès de Mao, en 1978 de tous les responsables de la politique agraire, en 1980 celle du groupe qui entourait Hua Guo Feng (Premier ministre de Mao) à la mort de Mao. Au préalable, selon l’historien Yves Trotignon, sous Mao lui-même, l’on a relevé entre 1950-1951 à Canton, 28 000 exécutions de cadres anciens et de grands bourgeois, qualifiés de « chiens courants du capitalisme étranger ». Une fois de plus, le PC pourra-t-il opérer le miracle par rapport à ses anciennes amours ? Lui laissera-t-on le champ libre comme auparavant ?

C’est dire que le miracle économique chinois tant applaudi par l’Occident cache mal la satisfaction d’un objectif longtemps recherché : vaincre le dernier bastion du communisme. Cette victoire est d’autant plus imminente que de jour en jour, le front social ne cesse de s’élargir en Chine, eu égard aux contradictions du système capitaliste qui vise à cumuler recherche du profit maximum et épanouissement social. Selon un rapport produit par la centrale syndicale de Hong Kong (HKCTU) en juin 2004 : « …le taux de chômage réel dépasse 10% au niveau national et peut grimper jusqu’à 12% dans les zones urbaines.(…) Bref, en même temps que le terme de miracle économique était associé de manière de plus en pus fréquente à l’économie chinoise, la qualité moyenne de son emploi déclinait, l’émergence du chômage se profilait comme un défi très sérieux, et la participation de la main-d’œuvre allait chuter du fait du découragement croissant des demandeurs d’emplois qui avaient échoué à retrouver du travail. » Comment donc arriver à contenir la révolte future qui se profile dans un pays où l’égalité entre tous était le maître mot et où l’Etat est resté garant de la couverture sociale de la population ? Certains analystes n’hésitent pas à parler de sombres perspectives pour le futur. Ce, d’autant plus que l’économie chinoise basée sur le progrès industriel aura davantage de mal à être concurrentiel. En effet, le coût des biens de production comme le pétrole ne cesse d’augmenter. Aussi, pour rester toujours compétitif dans une telle circonstance, l’on sera obligé d’empiéter sur les maigres revenus des employés tout en les faisant travailler plus. Selon toujours le HKCTU dans son rapport de 2004 : « La transformation du pays n’a pas seulement apporté une croissance économique rapide et le développement du commerce international, mais aussi une forte détérioration du système de distribution des revenus. Certains groupes sont devenus riches, beaucoup ont connu le statu quo et d’autres sont devenus plus pauvres.(…) Alors que son économie a fait un bond en avant, le système social chinois a opéré un net recul. Le concept d’Etat providence garant d’un système de sécurité sociale existait avant les réformes, mais il a aujourd’hui été remplacé par le système du « paie en fonction de ce que tu gagnes ».

Alors, le miracle économique tant encensé va-t-il une fois de plus donner raison à Mao Tsé Tong qui disait : « La pauvreté pousse au changement, à l’action, à la révolution.Une feuille blanche offre des possibilités infinies : on peut y écrire ou dessiner ce qu’il y a de plus nouveau, de plus beau. »

D’une manière générale, tous les indicateurs économiques sont unanimes, l’économie chinoise a opéré un bond spectaculaire. Mais, cela ne va pas sans remettre en cause la stabilité future du système sociopolitique chinois. Nous avons désormais la réponse de l’explication du miracle économique chinois, une question reste cependant en suspense : pourquoi les Africains, eux, peinent-ils à opérer le sien ?

Evariste Bationo
Rédacteur en chef chargé du management du journal Eveil-Education
Ancien Sécrétaire aux Relations extérieures de la Jeunesse unie pour une nouvelle Afrique (JUNA)
Consultant ès Communication publicitaire et Relations publiques
batevaris@yahoo.fr/bevaris@hotmail.com

Sources :

Claude Collin Delavaud, La géopolitique de l’Asie

Yves Trotignon, Histoire terminales, 1939 à nos jours

Internet : rapport de la centrale syndicale de Hong Kong de juin 2004

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