LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Mamadou Traoré, avocat, ancien cadre de la Révolution : “Dédougou était la fin de la Révolution”

Publié le mardi 16 octobre 2007 à 08h31min

PARTAGER :                          

Me Mamadou Traoré

Etudiant en 1983, Me Traoré a renoncé au 3e cycle pour devenir le commissaire chargé de la jeunesse et des CDR de services. Il s’appesantit dans son témoignage sur une fameuse rencontre de Dédougou qui, à son avis, a sonné le glas de la Révolution.

Me Mamadou était un des cadres de la Révolution, comment en êtes-vous arrivé là ?

« En août 1983, je venais de terminer mes études de droit et je me suis inscrit à Montpellier pour un troisième cycle. J’ai été le président du Mouvement du 21 juin au campus de Ouaga. Il y a eu une scission au niveau de l’Union générale des étudiants burkinabè (UGEB) qui a donné le MONAPOL, le Mouvement national populiste et l’AEVO, le Mouvement du 21 juin qui remettait en cause un certain nombre de pratiques au niveau des étudiants. En tant que tel, j’étais proche des idées révolutionnaires et des révolutionnaires du 4-Août. Après l’arrestation de Thomas Sankara le 17 mai, nous avons fait un travail de fond au campus et un travail d’agitation en dehors du campus.

Naturellement, quand le 4- Août est arrivé, je me suis retrouvé comme beaucoup d’autres en fin de cycle, dans ce mouvement et puis après dans les structures révolutionnaires. Au secrétariat national des Comités de défense de la révolution (CDR), la structure politique la plus importante avec un secrétaire général national ; Pierre Ouédraogo et son adjoint, Kilimité Hien et des commissaires politiques dont moi-même, je me suis occupé de la jeunesse, des CDR des services publics auxquels se sont ajoutés plus tard ceux des services privés. Après le 15 octobre, je suis resté conseiller à la présidence avec le président Compaoré jusqu’en fin 1999. Je m’occupais des relations publiques surtout.

Avez-vous rencontré Sankara lorsqu’il a été emprisonné en tant que Premier ministre ?

Pendant la détention de Thomas Sankara, je n’ai pas pu le rencontrer. Ça s’est passé à Ouahigouya. C’est quand il a été libéré que je l’ai vu fortuitement en compagnie d’un autre camarade.

Les civils travaillaient à l’avènement de la Révolution dans notre pays. Cette révolution allait se faire théoriquement soit par un soulèvement populaire à partir de la mobilisation ou à partir de la théorie marxiste de l’époque par laquelle il fallait encercler les villes par les campagnes. Ce n’était pas une simple vue de l’esprit. La prise de pouvoir par les militaires a permis en réalité d’accélérer l’avènement des idées révolutionnaires au niveau de la superstructure de l’Etat. Ces officiers par des contacts étroits avec le mouvement démocratique burkinabè, c’est-à-dire les syndicats, les organisations d’étudiants et certains groupes révolutionnaires marxistes. Ces contacts ont permis très rapidement de faire participer toute une aile de la gauche au pouvoir politique. L’arrivée des militaires a abrégé le travail que nous faisions. La révolution conduite par les jeunes officiers n’était pas un mouvement qui est né ex-nihilo.

Que représente pour vous le 15 octobre dans la vie du Burkina ?

Le 15 octobre a été le dénouement malheureux et sanglant d’une crise qui couvait pendant longtemps. Cette crise était multiforme : crise de confiance, crise politique, crise idéologique entre les différentes parties prenantes. Je l’ai vécue en étant conscient que nous étions à un tournant historique délicat. Je ne pense pas que les acteurs aient choisi cette tragédie, mais avec le temps, je dois dire que c’était inscrit dans la logique du pouvoir. Dans la mesure où les protagonistes de la crise étaient en armes, il est évident que la crise pouvait se dénouer de manière violente.

Le 15 octobre est une péripétie malheureuse dans l’évolution de notre peuple. L’évolution d’un peuple ne se fait pas en ligne droite. C’est une évolution sinusoïdale. Le 4-Août un est idéal que nous avons porté ensemble. C’est dans l’exécution de cet idéal que nous ne nous sommes pas entendus, nous nous sommes séparés violemment avec mort d’hommes. Y avait-il d’autres solutions ? A priori non. Il faut dire que tous les acteurs étaient très jeunes ; ils avaient tous des armes. La résolution violente de la crise est liée aux facteurs et aux conditions subjectifs de l’époque. Mais en tant qu’acteur politique, on broie la souffrance dans la chair et on continue l’action. Il ne fallait plus que cela se répète et mieux, il fallait transformer cette situation malheureuse pour en faire un point de départ. C’est ce que nous avons tenté de faire sous le Front populaire, dans la réorganisation de la vie politique avec des conséquences qu’on peut partager ou non. Il y a eu des acquis de la Révolution qui ont été préservés, il y a également des points sur lesquels nous sommes revenus. Il y a eu une ouverture démocratique qui a permis des avancées incontestables.

C’est à partir des assises sur le bilan de la Révolution qu’on a fait au lycée Zinda en 1988, que la question de l’ouverture a été posée ouvertement. Soit dit en passant, c’est pendant qu’on était à ces assises que l’Observateur est réapparu. Je me souviens qu’à l’époque, j’ai échangé avec le ministre de l’Administration, Léonard Compaoré sur cette situation parce que les gens se demandaient si le journal pouvait réapparaître sans autorisation légale. Mais comme le journal avait été incendié et non interdit, il n’y avait pas de problème. Cela n’aurait pas été possible sous la Révolution. Mais compte tenu du choc provoqué par le 15 octobre, il fallait aller à la décrispation de la vie nationale dans tous les secteurs. Cette douleur a été transformée pour faire un nouveau départ, une nouvelle réorientation. L’ouverture politique avec la constitution et la renaissance des partis politiques, le retour à une vie constitutionnelle normale est la résultante des événements du 15 octobre.

Etiez-vous menacé après le 15 octobre ?

La vie de tout le monde était menacée. La preuve, il y a des gens qui sont morts accidentellement. Ça dépendait aussi de quel côté on se retrouvait au moment des faits, j’étais proche du capitaine Compaoré. J’ai eu plusieurs entretiens avec lui, sur l’analyse de la situation nationale, sur l’analyse au niveau du CNR et sur la crise que nous vivions. Les camps se sont dessinés au fur et à mesure que les problèmes se posaient. Chacun s’est retrouvé dans telle ou telle position politique et idéologique.

Quel fait particulier a retenu votre attention durant la période révolutionnaire ?

La chose qui m’a choqué, c’est que pendant cette crise, il y avait des tracts orduriers qui circulaient de part et d’autre. En politique, même aujourd’hui, c’est mauvais. Il ne faut jamais quitter le domaine des idées pour attaquer les hommes dans leur dignité, leur honneur et leur vie privée. Dès lors qu’on atteint le ressentiment personnel, les ressorts du tréfonds humain, la réaction d’un homme ne sera plus jamais une réaction rationnelle, logique et prévisible. C’est un détail de l’histoire qui a son importance. Je lance à cette occasion un message aux hommes afin qu’ils évitent dans la vie politique de notre pays d’avoir recours à cette littérature souterraine si ce n’est pas pour faire passer un message responsable. Il faut éviter à tout prix d’attaquer les hommes et les femmes dans leur chair. C’est du domaine de la bassesse humaine. Quelques temps avant le 15, il y a eu une conférence des étudiants à Pô où il y a eu de très sérieux problèmes à propos du président Sankara. Je suis venu à deux reprises la nuit à Ouaga, pour lui rendre compte de la situation, des récriminations des étudiants, sur leurs préoccupations afin d’apaiser le climat avant qu’il ne vienne faire un exposé. Le 7 octobre, lors d’un meeting à Tenkodogo, le président du comité d’université a fait un discours qui a précipité les choses. En tant que responsable de la jeunesse, j’étais au cœur de la crise dans son volet jeunesse estudiantine.

A quel moment voyiez-vous la possible chute du régime ?

A la deuxième conférence nationale des CDR en mars 1987, l’ouverture était prévue à 15h. Il y avait tout le corps diplomatique ; le gouvernement. J’étais l’organisateur de la cérémonie en quelque sorte. Le président avec des pilotes libyens, avait pris l’avion à Ouagadougou. Il avait dû mal faire son plan de vol et il s’est perdu. Il était obligé de revenir à Ouaga. Pendant ce temps, on était obligé d’appeler les ambassadeurs un à un pour les amener chez le haut- commissaire. Après eux, c’était le tour des membres du gouvernement. On ne pouvait dire aux gens qui étaient dans la salle que le président s’est perdu avec son avion. Finalement le président est arrivé vers 18h. Il était dans tous ses états.

Cette conférence a été le coup d’arrêt de la Révolution. Avant la clôture, j’étais allé voir le président pour lui dire qu’il fallait qu’on fasse très attention parce qu’il y avait des débordements. Au cours de la rencontre, des gens ont pu dire par exemple que l’appellation hôtel « cinq étoiles » n’avait pas de sens. Ils proposaient à la place qu’on dise « cinq cauris ». A la clôture, il y a eu un discours populiste très fort du président. C’est à Dédougou qu’on a décidé du port obligatoire du Faso dan fani. C’est toujours dans le discours de clôture qu’on a interdit l’importation d’aloco et d’atiékè et qu’on a lancé le mot d’ordre du « Consommons burkinabè », qui est juste a priori. Mais dit dans ce contexte, c’était une fermeture de notre peuple par rapport aux autres.

Personnellement, ça été mon divorce avec la Révolution. A partir de là, je me suis dit que idéologiquement, je ne me reconnais plus dans l’orientation de la Révolution. J’ai discuté avec le président et il m’a demandé de faire une fiche là-dessus. J’ai vu Achille Tapsoba avec qui je travaillais beaucoup. Nous étions les deux premiers civils au Secrétariat national des CDR. Nous avons proposé sur la fiche d’éviter bien de choses et d’éviter de verser dans le populisme. Consommons burkinabè c’est bien, mais on a trouvé des hauts-commissaires disant qu’ils ont décidé de ne plus recevoir tous ceux qui ne seraient pas habillés en Faso dan fani. Ça été un dérapage total. On est allé jusqu’à dire de ne plus utiliser les papiers hygiéniques parce qu’ils coûtent des millions et ce sont les citadins seulement qui les utilisent.

Ces décisions très populistes ont été anti-intellectuels et anti-fonctionnaires. Alors que nous autres, cadres supérieurs de la Révolution, étions tout de même de petits fonctionnaires. On touchait la même chose que tout le monde, on n’avait pas d’indemnité en tant que cadre de la Révolution. On travaillait 24 heures sur 24 car il y avait des rencontres par-ci et par-là. On n’avait que 70 mille francs comme fonctionnaire A1 ou A2. Une attaque contre les fonctionnaires faisant dire que les paysans n’ont pas ce que les fonctionnaires ont, est frustrante. Parce que la base de la Révolution n’était pas tant les paysans ; c’était les petits fonctionnaires, les agents de l’Administration, les journalistes, les enseignants…

Mais les gens avaient peur de dénoncer cela. On disait par exemple que le bitumage des voies coûtait cher et qu’il fallait remplacer le bitume par le pavé. Il y a eu un ministre qui a demandé qu’on fasse une motion là-dessus. Après je lui ai demandé s’il se rendait compte de ce qu’il proposait. Parce qu’il fallait que les gens laissent leur travail pour fabriquer des pavés. Il m’a dit : « moi je cherche ma tête ». En réalité les gens allaient dans la surenchère pour qu’on ne les accuse pas de tiédeur révolutionnaire. Or dans tout système, quand les gens ne disent pas la vérité et taisent ce qu’ils pensent, inexorablement, on va à la sclérose et à la faillite. Pour moi, Dédougou était la fin de la révolution. Il fallait un second souffle pour ne pas être condamné à périr ».

Propos recueillis par Mouor Aimé KAMBIRE

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique