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Soungalo Ouattara : « La renaissance de l’Afrique passe par la décentralisation du pouvoir »

Publié le lundi 24 septembre 2007 à 08h37min

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Soungalo Ouattara et Pascal Péri (Karthala) lors de la dédicace du livre à Paris

Après L’élu et la commune et Ma commune , le ministre délégué chargé des Collectivités locales du Burkina depuis janvier 2006, Soungalo Ouattara, vient de publier à Paris, aux éditions Karthala Gouvernance et libertés locales, pour une renaissance de l’Afrique , un livre qui explore la longue histoire de la citoyenneté depuis la nuit des temps jusqu’à l’époque contemporaine.

Le mérite de l’auteur, un administrateur civil de profession doté d’une solide expérience du fonctionnement de la démocratie locale, est d’avoir su traiter dans un langage clair un sujet qui, a priori peut paraître aride aux yeux du grand public. Par son approche pluridisciplinaire, le livre peut se lire comme une histoire des institutions politiques aussi bien en Afrique qu’en Occident, une analyse juridique des rapports complexes, parfois mouvementés entre gouvernants et gouvernés ou une chronique de la conquête des libertés publiques dans l’espace et le temps.

Gouvernance et libertés locales, apporte une contribution majeure dans le débat sur la meilleure forme de gouvernement qui permettrait aux dirigeants des pays africains d’associer la population à la gestion de la chose publique sans pour autant tomber dans le populisme. Pour monsieur Soungalo Ouattara, la renaissance africaine passe par « une décentralisation du pouvoir et l’émergence de pouvoirs locaux assurés par des hommes pétris d’idées et ouverts au changement qualitatif ».

La décentralisation serait-elle la panacée aux maux qui bloquent le décollage économique du continent noir ? Quels sont les pouvoirs que l’état central doit et peut transférer aux collectivités locales ? En un mot, que transfère t-on du centre vers la périphérie ?

Venu en France assurer la promotion de son livre, Soungalo Ouattara, qui a été entre autres secrétaire général du ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité, secrétaire permanent de la Commission nationale de décentralisation et par ailleurs chargé de cours de Libertés publiques à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature, s’est prêté aux questions de Lefaso.net. Entretien.

Dans votre livre, vous expliquez que la citoyenneté a toujours été une conquête même si les pouvoirs ont souvent eu le souci d’accorder une certaine liberté au peuple...

Absolument ! Aussi bien dans les monarchies européennes que dans les royautés africaines ou dans l’Egypte pharaonique, le fondement divin du pouvoir ne s’est pas traduit par une totale absence de liberté. Au Moyen-âge par exemple, il y avait dans l’Empire du Mali une charte qui reconnaissait et protégeait les droits de l’individu, et cette charte n’est pas un plagiat de ce qui existait ailleurs, sur d’autres continent. A chaque période de l’histoire, on retrouve les mêmes paradigmes sur les libertés individuelles. Mais la citoyenneté telle que nous la concevons aujourd’hui est en même temps un acquis qui s’est formalisé dans le temps, avec l’évolution des mentalités et l’affirmation de l’individu comme être doué de raison.

Je dois toutefois souligner qu’en dépit de la Renaissance, puis du mouvement des Lumières, les Européens sont venus vers l’Afrique avec tout ce qu’il y avait de complexe dans leur passé. Il faut savoir que dans les années 1800, des fermiers européens ont été violemment expropriés et ces mêmes brutalités ont été exportées et pratiquées en Afrique par les colons lorsqu’ils ont divisé la population en trois catégories : les sujets évolués, les sujets non évolués et les citoyens français. Il ne fallait pas s’attendre à plus d’humanisme de la part du colonisateur

Le colon a t-il eu le souci d’associer d’une manière ou d’une autre, le colonisé à la gestion de la chose publique ?

Il y avait bien évidemment le souci de décongestionner la gestion des colonies et la création de la Haute-Volta en 1919 avait pour but de décentraliser l’Afrique occidentale française (AOF) qui était une entité centralisée et dont le siège était à Dakar, au Sénégal. Il fallait donc ramener la sphère des décisions près des administrés. Le problème est que le ministère chargé des colonies contrôlait difficilement ce qui se passait sur le terrain, l’administration des colonies dépendait surtout des humeurs de l’administrateur en poste.

A l’époque, on disait d’ailleurs « tant vaut l’administrateur, tant vaut la colonie ! ». Et dans les Conseils de colonie, il y avait des représentants des populations mais avec voix non délibératives. Ils étaient juste consultés sur certaines questions et servaient d’intermédiaires avec la chefferie traditionnelle qui n’était pas représentée dans les Conseils. Plus tard, dans les années 1946, les colonies ont eu plus d’autonomie car il y a eu des Assemblées de territoires et des représentants élus, comme Ouézzin Coulibaly, qui allaient présenter les doléances des populations à l’Assemblée nationale à Paris.

En dehors des quatre communes de plein droit que sont Dakar, Saint-Louis, Rufisque et Gorée dont les ressortissants étaient des citoyens français, dans les autres communes mixtes de premier ou de second degré, les populations étaient juste associées et n’avaient pas de voix délibératives. C’est le cas des communes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso dans les années 1926-27. Suite à la suppression de la colonie de Haute-Volta en 1932, ces deux communes ont disparu et n’ont retrouvé leur statut qu’au rétablissement de la Haute-Volta en 1947

Pour quelles raisons les communes ont été supprimées en 1974, sous la présidence de Sangoulé Lamizana ?

Vos lecteurs doivent savoir chose : la décentralisation ne peut fonctionner correctement que dans un état de droit, pas dans un état d’exception. Dans l’histoire de notre pays, il y a toujours eu des tentatives d’organisation du territoire, mais à chaque fois on a finalement eu recours à des ordonnances. Car en période d’exception, les gouvernements ont peur de perdre les élections et aussi bien au Togo qu’en Côte d’Ivoire où les communes ont été créées, elles sont restées vides puisqu’il n’y a jamais eu d’élections. Au Burkina, les départements sont restés des coquilles vides jusqu’à l’avènement de la révolution en 1983. En vérité, entre 1974 et 1983, la commune n’était pas au cœur des préoccupations des gouvernants de l’époque

Le processus de décentralisation entamé par le Burkina depuis quelques années est maintenant très avancé. Avec les élections locales en 2006, qu’est-ce que le citoyen peut-il attendre de ses élus ? Quelles sont les charges qui incombent désormais aux pouvoirs locaux ?

La décentralisation comporte plusieurs niveaux. Il y a la gestion de proximité qui concerne l’élaboration et la gestion des budgets des 302 communes rurales et les 49 communes urbaines. Face à la précarité et au manque de moyens de ces communes rurales, nous avons mis à contribution les représentants de l’état (préfets, hauts commissaires) pour aider chaque maire à élaborer son budget et à le gérer selon les normes des finances publiques. Le risque aujourd’hui est qu’on se retrouve dans la même situation qu’au moment des indépendances quand l’administration coloniale a transféré la gestion de l’état aux dirigeants africains alors qu’ils ne disposaient pas d’une administration bien formée. C’est pour cette raison que le président du Faso a pris le soin d’accompagner les communes par des personnes compétentes et que nous mettons l’accent sur la formation des élus.

L’état a aussi transféré la construction et la gestion des écoles primaires, des infrastructures sanitaires, des espaces verts et les centres de sports et loisirs. Mais nous allons le faire de façon progressive. Le code général des collectivités a prévu un délai de trois (3) ans avant que la gestion de ces infrastructures soit entre les mains des communes urbaines et six (6) ans pour les communes rurales pour qu’elles prennent en charge la gestion des problèmes de salubrité, des terroirs et la protection de l’environnement. Nous considérons qu’il faut aller avec pragmatisme car en vertu du principe de subsidiarité, l’état ne doit plus se mêler de ce qui peut être bien fait à la base.

Certaines communes sont plus riches que d’autres. N’est-ce pas injuste de confier à toutes les mêmes responsabilités ?

Oui, il y a effectivement ce risque et c’est pour cette raison que l’état a instauré une péréquation pour équilibrer les choses. La décentralisation ne doit être ni un phénomène de mode ni une formule incantatoire qui consisterait à tout transférer aux communes en croyant ainsi avoir réglé les problèmes des citoyens. En Europe, le transfert se fait dans un contexte où l’infrastructure existe déjà et qu’il faut gérer. Chez nous, il faut tout construire ! Au Burkina, nous voulons atteindre un taux de scolarisation de 80% dans dix (10) ans, faut-il assigner cet objectif aux communes sans discernement ?

On y verra à juste raison, un fuite en avant et une sorte de déresponsabilisation de l’état. Il faut éviter le transfert de logique qui conduirait à l’anéantissement de l’état dans la phase de transfert des compétences de l’état aux collectivités. Le moins d’état que certains nous recommandent est dangereux car les collectivités ont besoin de lui pour les accompagner. Si les représentants de l’état sont mis à contribution pour élaborer les budgets, il est tout à fait normal qu’ils aient un droit de regard sur la gestion de ces budgets, ce qui ne signifie pas que l’on veut brimer leur autonomie.

Ce droit de regard consiste simplement à accompagner ces nouveaux dirigeants dans l’accomplissement de leurs missions, à faire leurs premiers pas comme cela s’est fait partout dans le monde. En France, c’est avec l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981 que le président du conseil général qui est portant un élu a eu la maîtrise du budget, un pouvoir auparavant détenu par le préfet. Nous devons cheminer de la même manière sans sauter les étapes

L’Union révolutionnaire de banques (Ureba) qui assurait le financement des salles de cinéma des quartiers, des magasins Faso Yar, de boulangeries étant tombée en faillite, l’état a t-il prévu un fond de soutien aux collectivités rurales ?

Bien sûr ! Nous avons créé un Fond permanent du développement des collectivités territoriales qui sera opérationnel d’ici trois (3) mois. Ce Fond aura une autonomie de gestion avec un conseil d’administration et ses opérations se feront sous forme de prêts et de subventions. Sur des critères bien définis, les collectivités pourront bénéficier de prêts à taux concessionnels auprès des représentations qui seront installées dans les treize (13) régions.

Sur quoi porteront les Assises de la coopération décentralisée prévues en décembre prochain ?

Il s’agit pour tous les acteurs concernés de faire le bilan de cette forme de coopération qui lie le Burkina et la France et de faire le point sur l’application des recommandations des dernières assises qui se sont tenues à Ouagadougou en 2002. Nous examinerons également le type d’accompagnement institutionnel que la coopération décentralisée peut apporter aux collectivités émergentes au Burkina puisque nous sommes passés de 49 à 302 communes rurales, qu’il y a maintenant 49 communes urbaines et 13 régions.

Comme vous le savez, la coopération décentralisée a commencé par des relations de jumelage entre Ouagadougou et Loudun en 1967, puis Chalons en Champagne et Bobo-Dioulasso. Les relations qui étaient surtout humanitaires fonctionnement aujourd’hui dans le cadre de la coopération décentralisée qui se fait sur la base de projets mutualisés. Les collectivités du Burkina élaborent leurs projets et les soumettent à leurs partenaires du Nord et ensemble, ils examinent les possibilités de mise en œuvre de ces projets. Le chef de l’état, Blaise Compaoré soutient la coopération décentralisée et les prochaines rencontres prévues les 6 et 7 décembre 2007 seront l’occasion pour lui d’encourager tous ceux dont l’action profite grandement aux populations burkinabè

Quel type de rapports l’état entretient-il avec les associations et Organisations non gouvernementales (ONG) ?

Avant il y avait le Secrétariat permanent des organisations non gouvernementales (Spong), mais cette structure n’existe plus car nous ne voulons pas nous immiscer dans cette coopération qui concerne avant tout les populations de deux pays. Nous jouons tout au plus un rôle de facilitateur et d’appui d’autant qu’il existe déjà des organisations comme l’Association des municipalités du Burkina qui assure la coordination des différentes activités menées dans le cadre de la coopération décentralisée.

Il y a également l’Association des régions du Burkina qui fédère l’ensemble des régions et qui permet aux exécutifs locaux de se retrouver pour discuter de leurs projets et débattre de leurs problèmes en dehors de l’état. Et puis, certains partenaires n’apprécient que très modérément la présence de l’état dans leurs relations avec les populations. On a ainsi vu des Comités de défense de la révolution (CDR) se substitués aux représentants des populations et c’est pour contourner ces interlocuteurs indésirables que les comités de jumelage ont créés.

Propos recueillis à Paris par Joachim Vokouma
Lefaso.net

(1) Soungalo Ouattara,Gouvernance et libertés locales, pour une renaissance de l’Afrique
Editions Karthala, Paris, 2007, 242 pages ; 21,85 euros

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