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Tchad : Les concessions bien calculées de Déby

Publié le jeudi 16 août 2007 à 07h56min

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En apparence, le président tchadien n’a pas de raison urgente de conclure un accord ou plutôt une trêve avec son opposition comme il vient de le faire. La rébellion, bien que toujours active, a desserré son étau sur le régime et on est loin de l’époque où elle a réussi à frapper jusqu’au coeur de Ndjaména.

Grâce au précieux appui aérien français, les rebelles sont donc sous contrôle. La crise du Darfour est sur le point d’être réglée avec l’adoption de la résolution onusienne permettant l’envoi de contingents mixtes casques blancs-casques bleus. Enfin, les relations avec le Soudan, même si elles ne se sont pas entièrement normalisées, ne connaissent pas moins une certaine relance grâce notamment à la diplomatie française.

Tout compte fait, Idriss Déby a donc des raisons de souffler et même de dormir sur ses lauriers après toutes ces années de tumulte que son régime a connues. Il est d’autant plus tranquille que le soutien militaire que continue de lui apporter la France est essentiel à sa survie politique. Mais en plus, les ressources du pétrole dont le pays est devenu producteur depuis 2003, est une garantie importante pour résister à toutes les tentatives de déstabilisation. Alors, pourquoi est-ce en cette période de sinécure presque, que Déby accepte enfin de dialoguer avec son opposition et, mieux, d’envisager une ouverture démocratique de son régime ? Ce dictateur qui a réussi le tour de force de se maintenir au pouvoir par la force des armes, par un musellement de l’opposition et un verrouillage des institutions électorales s’est-il comme par miracle reconverti aux préceptes démocratiques ?

Car à l’évidence, c’est un grand pas qu’il vient de faire en concédant certaines réformes politiques et institutionnelles devant permettre à l’opposition de participer dignement à la vie politique. Avec la prochaine formation d’un gouvernement d’union pour engager les différentes réformes comme la confection d’un nouveau fichier électoral, la mise en place d’une vraie CENI (Commission électorale indépendante), l’instauration du bulletin unique, on est en plein dans les grands mouvements qui ont permis à certains pays africains de vivre aujourd’hui dans la stabilité parce qu’ayant créé les conditions d’une justice indépendante et d’élections libres et transparentes. Si donc Déby n’a pas le couteau sous la gorge pour opérer les changements positifs annoncés, il y a bien des raisons avouées ou non d’opérer une telle mue spectaculaire.

En effet, il n’y a pas de fierté à se voir coller une image de chef de guerre. Or, jusqu’à preuve du contraire, Déby s’est illustré tout le long de son règne plus comme un combattant qu’un homme d’Etat. Arrivé au pouvoir en 1990 par les armes, il ne les a jamais lâchées. C’est ainsi qu’il ne s’est pas gêné de porter la tenue et de monter au front avec ses hommes pour contrer la dernière offensive rebelle qui a sérieusement ébranlé son pouvoir en avril 2006.

Après tant d’années à faire le coup de feu, le temps n’est-il pas venu de se vêtir de la tenue plus honorable de chef d’Etat respectueux du droit pour jouir mieux de la manne pétrolière et espérer une retraite paisible ? Aucun dirigeant n’aspire à quitter la scène avec la réputation que s’est bâtie Idriss Déby. Avec autant de passif sur les bras, Déby ne veut pas finir comme son prédécesseur, Hissène Habré, traqué par la justice. En s’entourant de certaines précautions comme cette ouverture démocratique qu’il promet, le président tchadien peut un jour prendre sa retraite sans trop craindre de se faire rattraper par son passé de chef de guerre.

Dans l’immédiat, le maître de Ndjaména tire aussi des dividendes de ses nouveaux choix politiques qui, en définitive, sont bien calculés. En créant un minimum de consensus avec son opposition, il s’assure du soutien de celle-ci dans sa guerre contre la rébellion et son différend avec le Soudan.

Certes, il devra partager un peu de son pouvoir et perdre quelque peu de sa superbe, mais le besoin d’unité nationale autour de lui est plus urgent que tout. Il ne peut à la fois entretenir durablement tous ces fronts avec ses opposants politiques et armés, et avec le Soudan. En stabilisant la situation politique intérieure, Déby a donc les coudées franches pour s’occuper des multiples défis qui se posent au Tchad. Car la base de la paix, c’est d’abord un climat intérieur apaisé, des institutions consensuelles et surtout une vie démocratique exemplaire.

Le mal du Tchad a des racines internes parce que le pays a toujours eu des dirigeants peu soucieux de l’intérêt national. Les enjeux se focalisent surtout autour de leurs clans et de leurs armées qui ont jusque-là été les instruments par lesquels ils ont conservé leur pouvoir. Un autre destin est donc possible pour le Tchad pour peu que tous les acteurs politiques en prennent la résolution. Ils doivent comprendre que leur pays ne peut pas être un éternel champ de bataille et qu’ils ont le devoir d’offrir à leur peuple la paix, la sécurité et le bien-être auquel il a droit.

Une phase décisive de la vie politique du Tchad s’ouvre donc à l’aune des réformes annoncées par le président. Mais ces bons voeux ne doivent pas endormir l’opposition car tout pouvoir, même usé par le temps, a des réflexes de survie insoupçonnés. C’est dire que le régime tentera de mener les changements à son rythme et à son avantage. Mais on peut croire que cette nouvelle démarche de réconciliation nationale sera la bonne afin que les ressources du pétrole ne servent plus à financer l’effort de guerre mais le développement du pays. Les acteurs politiques tchadiens ont pris rendez-vous avec l’histoire. Attendons donc de voir s’ils sauront la marquer d’une pierre blanche.

Le Pays

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