LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

S.E.M Gerard Duijfjes, ambassadeur des Pays Bas : "Les bénéfices de l’approche alignée dépendent de la bonne gouvernance "

Publié le mercredi 25 juillet 2007 à 08h20min

PARTAGER :                          

S.E.M Gerard Duijfjes

Gerard Duijfjes est ambassadeur des Pays Bas au Burkina Faso depuis septembre 2006 avec résidence à Ouagadougou. Il apprécie les relations diplomatiques, vieilles d’une trentaine d’années, entre les deux pays.

Le diplomate néerlandais passe en revue l’appui de son pays au budget de l’Etat, le soutien au PDDEB et autres programmes, explique le passage de la coopération néerlandaise du système de projet à l’approche programme beaucoup plus alignée sur les politiques, priorités et procédures du gouvernement burkinabé.

M. Duijfjes se prononce également sur la fraude, la corruption, les dossiers pendants en justice et apprécie aussi le modèle de développement burkinabè. Il suggère l’amélioration des procédures administratives et des structures de gestion pour plus de transparence dans l’utilisation des ressources du pays.

Sidwaya (S.) : Comment se porte la coopération entre les Pays Bas et le Burkina Faso ?

Gerard Duijfjes (G.D.) : Le Burkina Faso et les Pays Bas coopèrent actuellement dans deux différents secteurs de développement, celui de l’éducation et de la santé... Les Pays Bas appuient également le budget national. L’assistance des Pays Bas s’élève à environ 50 millions d’euros soit plus 33 milliards de FCFA par an. Plus d’un tiers de cette enveloppe est consacré à l’appui budgétaire.

S. : Qu’est-ce qui justifie le choix de ces secteurs d’intervention ?

G.D. : Les Pays Bas ont décidé de soutenir les secteurs de la santé et de l’éducation parce qu’ils sont à un stade de développement où tout appui est nécessaire et parce qu’ils sont d’une importance cruciale pour l’augmentation de la capacité humaine dans le pays. Par ailleurs, la politique de mon pays dans les Etats sous-développés est axée particulièrement sur les domaines de développement quantifiable à long terme dont ces deux secteurs et la bonne gouvernance.

S. : Pourquoi la coopération néerlandaise est-elle passée du système projet à l’approche programme ?

G.D. : Les Pays Bas ont effectivement appuyé le Burkina Faso avec des projets de développement dans le passé. Actuellement, le Burkina Faso a enregistré des résultats dans le développement d’une approche intégrale sectorielle dans quelques secteurs. Ce qui permet de lui apporter une assistance au niveau de ces secteurs au lieu d’à travers des projets ponctuels. L’avantage de cette approche programme qui est beaucoup plus alignée, ce sont les structures et procédures du Burkina Faso même qui sont utilisées. Le bailleur s’aligne sur le mode de développement, l’administration et la gestion du pays bénéficiaire. Ce qui donne la possibilité aux populations concernées et aux dirigeants de mieux définir leurs priorités et de prendre les décisions eux-mêmes.

L’action ne se focalise plus sur une partie du pays comme dans le système projet. C’est un programme intéressant tout le pays. La différence entre le système projet et l’approche programme, c’est qu’en intervenant dans un secteur, le bailleur n’a pas besoin de créer des structures de fonctionnement parallèles. Les règles de gestion nationale sont utilisées. C’est le gouvernement qui choisit ses priorités et les partenaires l’accompagnent dans ses programmes de développement. Les bénéfices de l’approche alignée dépendent de la bonne gouvernance.

S. : Ce changement d’approche signifie-t-il que les projets financés par les Pays Bas n’ont pas atteint les résultats escomptés ?

G.D. : Les projets ont eu des succès. Mais lorsqu’ils prennent fin, les structures locales ont des difficultés pour les relancer sans l’assistance des partenaires. Car celle-ci n’est pas continue. Il fallait donc intervenir globalement auprès du gouvernement à travers les ministères responsables et les différents secteurs de l’économie pour donner plus d’efficacité à nos actions. Cela permet d’enregistrer des succès à long terme. Pour un pays comme le Burkina Faso, il est nécessaire d’améliorer les procédures administratives et la transparence de la gestion des ressources financières. Avec l’approche programme, il est plus difficile de vraiment savoir si les fonds sont utilisés comme prévus et ont les résultats envisagés. Nous, les PTF, n’avons plus de contrôle direct. Il est alors important que le gouvernement bénéficiaire ait des structures et des procédures de gestion et de suivi claires.

S. : Quels moyens disposez-vous pour le suivi et l’évolution des programmes ainsi que le contrôle des fonds ?

G.D. : Les Partenaires techniques et financiers (PTF) tiennent régulièrement des rencontres avec le Gouvernement et les ministères concernés par leur intervention pour discuter des stratégies, des plans annuels de développement et des activités et de leur mise en œuvre. Après la réalisation des programmes, les deux parties se réunissent pour analyser les résultats et les problèmes rencontrés sur le terrain ainsi que les rapports de suivi et d’évaluation des activités réalisées.

S. : Avez-vous déjà eu à interpeller le gouvernement burkinabè sur une mauvaise utilisation des fonds ou sur des problèmes de corruption et de mal gouvernance ?

G.D. : Les partenaires techniques et financiers discutent régulièrement avec le Gouvernement burkinabè. Ces rencontres permettent d’évaluer les actions dans les secteurs où sont injectés des fonds. C’est dans ce cadre que la question de la corruption, de la transparence dans la gestion des ressources et autres principes de la bonne gouvernance étaient et sont abordés avec le Gouvernement. Cela dans l’optique de rendre l’assistance plus efficace c’est-à-dire veiller à ce que l’argent parvienne aux plus démunis du pays. L’efficacité de l’utilisation des fonds - que ce soit des fonds du Budget de l’Etat ou des fonds additionnels néerlandais - est régulièrement sujet de débats.

S. : Qu’est-ce qui justifie le renouvellement de votre soutien au Plan décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB) au moment où la première phase a laissé apparaître des rumeurs de détournements et de marchés mal exécutés ?

G.D. : Les Pays Bas ont opté d’investir dans l’éducation parce que ce secteur constitue le moteur même du développement. Le PDDEB a par conséquent besoin d’assistance et d’appui. Les problèmes qui se sont présentés et auxquels vous faites référence -problèmes d’utilisation efficace des fonds, de transparence et d’éventuels détournements- ont fait l’objet de concertations approfondies entre les PTF et le Gouvernement. Celui-ci s’est engagé d’investiguer les problèmes et prendre les mesures appropriées et de mettre en place les dispositions nécessaires pour éviter une répétition.

Plusieurs études et audits ont été exécutés ou sont encore en cours et le Gouvernement et les PTF sont dans la dernière phase de concertation sur les résultats des audits. L’engagement du Gouvernement et les efforts démontrés pour résoudre les problèmes donnent la confiance qu’il faut pour pouvoir continuer la coopération. On ne peut pas nier qu’il y a beaucoup de problèmes dans le secteur de l’éducation. Le département en charge du PDDEB doit continuer d’améliorer son fonctionnement et la mise en œuvre de ce programme et de son suivi rapproché.

S. : Le PDDEB a nécessité des financements venant de plusieurs bailleurs de fonds comme le recommande la Déclaration de Paris. Comment les PTF arrivent-ils à coordonner leurs interventions au Burkina Faso ?

G.D. : La Déclaration de Paris comporte plusieurs grands axes : dont un portant sur la coordination entre les PTF et d’autres sur l’utilisation des procédures du pays bénéficiare et l’alignement sur les stratégies et priorités de ce pays. Le gouvernement de Burkina Faso, initiateur d’un programme comme par exemple le PDDEB, est le coordinateur de l’assistance. Les bailleurs de fonds intervenant dans un même secteur (que ce soit la santé, l’éducation, l’agriculture...) apportent ensemble leur appui au Gouvernement en réunissant leurs contributions financières dans un seul « panier » pour la mise en œuvre du programme du Gouvernement. D’autres PTF intéressés par d’autres secteurs procèdent de la même manière.

La déclaration de Paris est un bon instrument qui sert à coordonner l’aide et à renforcer les actions sur le terrain et à suivre et mesurer les progrès réalisés par tous - gouvernement comme PTF - dans la mise en œuvre des engagements pris à travers cette Déclaration. Avant, c’était difficile pour les PTF d’utiliser les procédures des pays bénéficiaires de l’aide. Il leur était également difficile de coordonner leur soutien entre eux, étant donné qu’ils n’interviennent pas tous dans les mêmes secteurs de développement. Mais avec la Déclaration de Paris, dans le cadre de l’appui budgétaire ou du PDDEB, les PTF et les ministères chargés de l’exécution du programme sont encouragés à mieux entretenir les discussions entre eux.

S. : Pourquoi les PTF éprouvent-ils jusque-là des difficultés à utiliser les procédures nationales ?

G.D. : L’utilisation des procédures nationales n’est pas aisée pour les bailleurs de fonds parce que celles-ci sont souvent complexes et lourds et parce qu’ils n’assurent pas toujours une transparence suffisante. Il est nécessaire pour le Burkina Faso de les améliorer car leur application pose problème dans ce sens. Les PTF ne connaissent que difficilement le niveau réel des réalisations et leurs résultats. En effet avec l’appui au budget général, l’action du bailleur est sous l’ombre de celle du gouvernement. Avant, le drapeau néerlandais flottait là où notre pays apporte son assistance, sur le lieu d’exécution du projet bénéficiant de notre financement. Cela n’est plus possible, ni souhaité, avec la nouvelle méthode d’aide. Mais il s’avère donc plus difficile de convaincre l’opinion de notre pays sur l’utilité des actions de l’aide à l’extérieur.

S. : Selon vous, comment les pays africains bénéficiaires d’aides devraient-ils utiliser les fonds pour pouvoir se développer ?

G.D. : Il faut admettre que l’aide est additionnelle. Elle vient simplement en appui au budget national général qui a été élaboré sur la base du programme du gouvernement du pays bénéficiaire. Pour atteindre ses objectifs de développement, le bénéficiaire de l’aide doit utiliser les fonds qu’il a reçus de manière efficace et transparente et faire prévaloir la bonne gouvernance. Selon l’ONG "Transparency international", le Burkina Faso a glissé de neuf (9) places dans le classement des pays les plus corrompus de 2005 à 2006 en deux ans. En 2005, le pays a occupé le rang de 70e sur 158 pays. L’année suivante, il était à la 79e place sur le même effectif. Bien sûr le classement se fait des moins corrompus au plus corrompus. Ainsi, selon la perception de l’opinion publique, y compris des citoyens burkinabè, la corruption a augmenté. Ce n’est pas la place du pays dans ce classement en tant que tel qui est le plus important, mais c’est la tendance et ce sont les actions entreprises par les pouvoirs publics pour mettre fin au phénomène. Cela à son tour aboutira à une amélioration dans ledit classement.

S. : Quelle appréciation faites-vous du modèle de développement du Burkina Faso, par rapport à celui d’autres pays africains où vous avez servi comme diplomate ?

G.D. : Le Burkina Faso est un pays handicapé par le manque de ressources naturelles. Son budget repose en grande partie sur l’appui des PTF. Comparativement à d’autres pays africains, le niveau de la bonne gouvernance est assez bon ici. Les structures et procédures de gestion, même s’ils comportent des défaillances, permettent aux bailleurs de savoir de façon générale où vont leurs fonds et ainsi d’avoir confiance au gouvernement. Cependant, il est nécessaire d’améliorer la transparence. Le nouveau Premier ministre Tertius Zongo, lors de sa première rencontre avec les PTF, a expliqué que l’une de ses priorités, est d’atteindre des résultats mesurables, visibles et concrets. Cette ambition intéresse non seulement les PTF mais aussi les citoyens burkinabè. Car sans cela, on risquerait de perdre progressivement la confiance au pays des Hommes intègres avec par exemple la persistance de rumeurs sur les fraudes dans l’éducation. Le gouvernement doit travailler à changer cela et à rétablir la confiance. Mes contacts récents avec les différents membres du gouvernement me renforcent dans la conviction que ceci est une des priorités du gouvernement actuel.

S. Les Pays Bas sont réputés très regardant sur le respect des droits de l’Homme et la bonne gouvernance. Quels sont vos axes de collaboration avec le gouvernement sur ces principes ?

G.D. : La bonne gouvernance est exigée dans le cadre de l’appui au budget général. Nous discutons sur beaucoup d’autres choses qui ne sont pas directement liées à notre financement : la participation de la population dans l’établissement des priorités gouvernementales et dans le suivi de la mise en œuvre des programmes nationaux, le renforcement des capacités, la justice, l’égalité entre hommes et femmes etc. Aussi, nous appuyons le ministère de la Promotion des droits humains. La situation du Burkina Faso à ce sujet n’est pas mauvaise mais il y a toutefois une nécessité de l’améliorer. Cela passe entre autres par l’assurance de l’indépendance des magistrats, l’accélération des processus juridiques mais aussi par l’amélioration des conditions de détention des prisonniers.

S. : Avez-vous des occasions de discussion avec les dirigeants burkinabè sur les affaires dites pendantes en justice comme l’affaire Norbert Zongo ?

G.D. : Les affaires pendantes n’ont jusque-là pas trouvé de solutions immédiates. Les discussions sur l’affaire Norbert Zongo continuent d’être toujours sur la brèche grâce à l’insistance de différentes structures de défense des droits humains. Il est nécessaire de réanimer le débat, de soutenir les structures et organes de presse qui le réclament. Mais le plus important c’est de prendre les précautions et les mesures qui s’imposent pour éviter de tels crimes ou tragédies au Burkina Faso.

S. : Sous quel signe placez-vous votre séjour d’ambassadeur au Burkina Faso ?

G.D. : Nous envisageons continuer notre assistance au Burkina Faso. Nous souhaitons que les rapports entre le gouvernement et les citoyens s’améliorent toujours. La progression de la croissance économique est à maintenir. Pour ce faire, il faut améliorer les procédures administratives et les structures de gestion afin de renforcer l’efficacité de l’utilisation des fonds disponibles, axées sur les résultats, et promouvoir toute autre action relative à la bonne gouvernance. Les résultats doivent être perceptibles par les citoyens afin de gagner et mériter leur confiance.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique