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Régulation de l’information en Afrique : Entre convergences et déviances

Publié le jeudi 5 juillet 2007 à 07h19min

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La quatrième Conférence des instances de régulation de la communication d’Afrique (4e CIRCAF) s’est tenue à Ouagadougou du 2 au 4 juillet 2007. Après Libreville en 1998, Johannesburg en 2002, Maputo en 2005, Ouagadougou a abrité ce grand rendez-vous international de la communication.

Selon Luc Adolphe TIAO, président du CSC et cheville ouvrière de la présente rencontre, « cet engagement des instances de régulation à la création du réseau des instances africaines de Régulation de la communication (RIARC), traduit la conviction des différents signataires de l’acte que la seule voie susceptible de conduire les pays africains à une indépendance réelle et à un développement endogène demeure celle de la coopération et de l’intégration ».

A travers la CIRCAF, l’Afrique tente une énième fois de renouer avec ses vieux dieux : la coopération et l’intégration en vue d’une indépendance effective et un développement endogène. La communication réussira-t-elle là où la politique, pour l’heure, a échoué ? L’unité de l’Afrique que nous n’avons pas réussie à pied, à dos d’âne, à vélo, en voiture et en avion, la Toile nous la donnera-t-elle comme un fruit défendu ? Il faut rappeler, en tout cas, que le thème central de la conférence de Ouagadougou porte sur « les médias de service public et les défis de la convergence. » Ce mot de convergence peut être entendu, à notre sens, de deux manières .

Primo, dans la production et la diffusion médiatiques, nous constatons que le même écran de téléphone portable, par exemple, devient un support à la fois pour le texte, le son et l’image. Il en est de même pour le récepteur de télévision ou d’ordinateur ;
Secundo, dans la finalité de la CIRCAF, il s’agit pour les Africains de se donner une nouvelle vision de leur convergence en terme d’unité d’intérêts sociopolitiques et économiques notamment.

Et, en ce tournant du monde et de la communication planétaire, tout laisse à penser que les deux convergences peuvent être visées et vécues de façon interactive en Afrique. Le Nigeria a montré, au cours de la conférence de Ouagadougou, à travers l’expérience de AFRICAST, que nous pouvons, non seulement lire correctement les notices qui accompagnent les matériels audiovisuels de pointe, mais aussi envisager d’en fabriquer nous-mêmes. Si cette prise de conscience devient africaine et si elle bénéficie de l’appui d’une certaine volonté politique, la convergence médiatique sera un support irremplaçable de la convergence socioéconomique et politique en Afrique.

La Toile nous fait donc rêver. Comme Victor Hugo à la vue du dernier progrès de son temps, l’aéroscaphe. Quand le poète vit le ballon aérien en « plein ciel », il donna des ailes démesurées à son espoir d’une terre nouvelle. Voici ce qu’il dit dans La Légende des siècles :
« Où va-t-il, ce navire ? Il va, de jour vêtu,
A l’avenir divin et pur, à la vertu,...
Il porte l’homme à l’homme et l’esprit à l’esprit.
Il civilise, ô gloire ! Il ruine, il flétrit.
Tout l’affreux passé qui s’effare,
Il abolit la loi de fer, la loi de sang,
Les glaives, les carcans, l’esclavage, en passant
Dans les cieux comme une fanfare.
Il ramène au vrai ceux que le faux repoussa,...
Sur ce qui fut lugubre et ce qui fut méchant
Toute la clémence de l’aube. »

L’aéroscaphe, à l’époque, était aussi une « technologie de communication » rêvée. Il a fallu qu’il fût une réalité pour que le visionnaire Hugo y vît, comme par enchantement, la fin de la haine, des guerres et le début d’une fraternité mondiale sans précédent. La conviction est toujours une précipitation vers l’inconnu.

A un siècle et demi de distance, le ciel des humains est aujourd’hui traversé dans tous les sens par des milliers d’avions et nous avons l’impression que « ce qui fut lugubre » est toujours lugubre. Aucun avion n’a encore amené l’homme du faux vers le vrai ou vice versa. L’Afrique ne deviendra pas, un peu plus indépendante parce que les ordinateurs sont plus performants, on a plutôt l’impression du contraire. Hugo n’a peut-être pas compris que la communication pouvait n’être qu’une contamination.

Dans la grande salle de conférence de Ouaga 2000, à la manière de Hugo, nous avons parfois rêvé à la Toile, aéroscaphe fantastique chargée de « porter l’homme à l’homme et l’esprit à l’esprit. » Chargée aussi et surtout de faire converger l’Afrique vers elle-même. Nous oublions qu’il n’y a pas de Toile sans araignée, cachée quelque part ; et que l’araignée et sa toile ne survivent que grâce à des êtres étourdis qui ne savent jamais ce qui se tisse contre leur destin.

D’où l’importance que nous accordons aux communications données par le Maroc et l’Afrique du Sud.
« Internet : la révolution suprême dans le domaine de la communication mondiale. La Toile envahit le monde : du hameau le plus reculé d’Afrique au dernier étage de la plus haute tour du monde, l’homme peut s’adresser à l’homme. Mais, avertit le Sud africain, la réalité n’est pas simple. N’y a-t-il pas lieu de voir de plus près tout ce qui se fait et se dit sur cette toile ? » - « Voir de plus près » : en avons-nous le temps matériel et mental ? « Les pays dit développés, dit-on, n’invente jamais rien pour ralentir, tout ce qu’il invente sert à accélérer. » Ainsi, l’Afrique court, tandis que les pays développés avancent. Précipitation pour la première, assurance pour les seconds.

« Si on n’y prend garde, pense l’intervenant marocain, la mondialisation et la numérisation des réseaux d’échanges va se traduire par la perte des identités, une uniformisation de la création et de la pensée unique. » En effet, les progrès technologiques qui se produisent dans le monde et la numérisation des moyens de production et de diffusion accentuent les clivages Nord/Sud et, plus près de nous, la perte de vitesse que nos campagnes accusent par rapport aux villes.

Grâce à l’Internet et à la télévision, un écolier de Ouagadougou est deux fois (au moins) plus instruit sur la vie et le monde que son camarade villageois de Douré, dans le département de Kokologho, qui emploie son temps libre à garder les moutons de son père. Pourtant, tous deux sont promis aux mêmes études et astreints aux mêmes devoirs en tant que citoyens de la même cité.

Au lieu donc de réguler la communication en Afrique, nous pensons que la CIRCAF devrait organiser la déviance par rapport aux flots idéologique, médiatique et technologique que drainent les sociétés hyper développées en biens de Communication. Autrement dit : la manière dont l’Afrique pourrait aujourd’hui réguler sa communication, c’est de la contre distinguer, autant que faire se peut et en termes de volonté politique, de vision historique et de recherches technologiques, ces grandes multinationales qui saignent nos pauvres ressources nationales. C’est à partir d’un tel ressort que la Corée, (Ô du Sud) s’est projetée hors du « trou », entre les Etats-Unis et le Japon, alors que ceux-ci étaient prêts à la gâter en biens de communication.

Cela demande beaucoup plus que la remise à jour de codes de déontologie. Il faut que notre communication, de sa conception et sa réalisation, se familiarise avec une nouvelle culture éthique. Nous ne voulons pas parler des photos « merdiques » que nos enfants vont reluquer dans les cyber pour 2 sous, mais de cette réalité fondamentale, aussi vieille que le destin de l’Afrique, par laquelle l’esclavage, la colonisation et la mondialisation se ressemblent : chaque fois, passant à côté de ses intérêts, l’Afrique (ou certaines afriques) se fait hara-kiri avec l’arme de son adversaire.

De cette culture éthique, nous pouvons insister sur la notion de « double responsabilité » chère au professeur Ki Zerbo, sans laquelle le devoir de convergence ne serait que l’expression d’un divertissement. Cela dit, quelque chose devrait continuer à mourir en Afrique : une certaine conception insulaire de l’identité, de la culture et de l’homme.

Ibrahiman Sakandé
Email : ibra.sak@caramail.com

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 5 juillet 2007 à 11:18, par Hamado OUANGRAOUA En réponse à : > Régulation de l’information en Afrique : Entre convergences et déviances

    Je trouve que vous avez fait une belle contribution intellectuelle aux débats de la 4ème CIRCAF. Je vous en félicite et vous encourage à persévérer dans cette lancée. Dans ce sens je souhaite que nous puissions aborder, comme je crois le comprendre dans votre texte, la prblématique de la communication dans le contexte du continent avec ses spécificités par rapport au regard étranger de l’Afrique.

    Cet apport théorique sur ce que est la communication, sa pratique, ses fonctions sociales, économiques, politiques, la philosophie qui la sous-tend me semble aujourd’hui encore insuffisant. Nous avons, notre génération, le devoir de nous affirmer en qu’entitée vivante, viable, diffrente des autres et non pas seulement comme des sociétés complexées qui cherchent toujours à combler un retard, un déficit.

    Je crois que vous êtes de ceux qui peuvent, si ma lecture rencontre votre avis, enrichir cett réflexion. Il nous faut valider un courant de la théorie africiane de la communication. Pour ce faire, je m’en remets à votre expertise, sous la sage direction de notre éminent Pr. S. T. BALIMA.

    Transmettez-lui toute mon admiration et ma respecteuse considération.

    Très amicalement et bien confraternellement,

    Hamado OUANGRAOUA

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