LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Le coton africain va t-il disparaître ?

Publié le mardi 26 juin 2007 à 08h39min

PARTAGER :                          

Par an, le contient noir produit 1,8 million de tonnes de coton fibre dont 90% est destiné à l’exportation. Très compétitif et de bonne qualité, l’avenir de l’or blanc africain est cependant hypothéqué par les subventions occidentales et la cherté de l’euro par rapport au dollar.

C’est un véritable cri d’alarme et de détresse en direction de leurs gouvernements et de la communauté internationale que sont venus lancer le 22 juin 2007 à Paris, trois responsables de l’Association cotonnière africaine (ACA), Célestin Tiendrebéogo, président de l’association et directeur général de la Société des fibres textiles du Burkina (Sofitex), Ibrahim Malloum vice-président et directeur adjoint de la Cotontchad, et Iya Mohamed, directeur général de la Société de développement du coton (Sodecoton) du Cameroun.

Célestin Tiendrebéogo (milieu) et ses pairs du Tchad et du Cameroun

« En dépit de sa compétitivité, de ses performances qualitatives et de son poids dans nos économies, force est de constater que la filière coton en Afrique et particulièrement celle de la zone franc est gravement sinistré » rappellent t-ils. En 2005, le secteur cotonnier a ainsi subi des pertes de 220 milliards de dollars, puis 300 milliards en 2006 et en 2007, elles pourraient atteindre 400 milliards de dollars. En cause ?

Les subventions massives que les pays industrialisés accordent à leurs agriculteurs plombant ainsi les cours de l’or blanc sur le marché international et la forte appréciation de l’euro par rapport au dollar, le franc CFA étant absurdement arrimé à la monnaie européenne par une parité fixe depuis 1999. « Si rien n’est fait pour réduire et supprimer ces subventions nocives, avertit l’ACA, l’ensemble des filières cotonnières africaines serait condamné à disparaître à brève échéance ».

En l’état actuel, il faut être d’un optimisme sans bornes pour croire à un avenir radieux de cette filière qui fait vivre directement ou indirectement 20 millions de personnes sur le continent noir. L’échec le 21 juin dernier des négociations entre l’Inde, le Brésil et les Etats-Unis et l’Europe visant à relancer le cycle de Doha qui achoppent principalement sur les questions agricoles montre que les pays industrialisés ne sont pas prêts de supprimer leurs subventions.

Contrairement à l’Afrique, la part du coton dans l’économie de ces pays est insignifiante, et sans subventions, il n’y aurait pas de producteurs de coton ni aux Etats-Unis, ni en Europe. « Il y a 25 000 fermiers américains dont 8000 touchent 90% des 4 milliards de dollars accordés au secteur. Autrement dit, on leur garantit un prix à l’achat qui est nettement supérieur aux cours mondiaux.

C’est pour eux une sorte d’assurance tout risque, leurs revenus n’étant pas liés à l’évolution du prix du coton sur le marché international », explique Ibrahim Malloum. Il en est de même en Europe où le prix d’achat aux égreneurs est de 1111 quand le cours mondial est à 600 F CFA, et l’Espagne qui a vu sa production chuter à cause du découplement introduit dans la politique agricole commune, a introduit une plainte auprès de la Cour européenne de justice pour bloquer l’application de cette réforme qui devait entrer en vigueur en 2007.

Quant à la parité fixe euro/CFA, il ne faut rien attendre des chefs d’état de la zone franc, bien que tous aient conscience qu’elle constitue un handicap pour leurs économies. En signant depuis 1962 la convention de compte d’opération avec le ministère français de l’Economie et des finances, ils ont perdu le contrôle de leur politique monétaire. Par cette convention, ils déposent 65% de leurs avoirs sur un compte ouvert au Trésor français au nom des instituts d’émission (BCEAO, BEAC, banque centrale des Comores), un mécanisme censé ouvrir aux banques centrales le droit de bénéficier de découverts auprès du Trésor français, garantir la convertibilité du F CFA et faciliter les transactions internationales. « La question du coton est éminemment politique et c’est aux politiques d’apporter une réponse à la parité euro/CFA », reconnaît Célestin Triendrebéogo.

A ces deux facteurs s’ajoute la forte hausse du prix des intrants agricoles (engrais, insecticides) consécutive à la flambée des prix du pétrole. De 20 à 25% il y a peu, le coût des intrants représente aujourd’hui 40% des revenus du paysan. Bien informés sur la situation financière des sociétés cotonnières africaines, les fournisseurs se montrent très hésitants à exécuter les commandes, d’autant que les promesses d’aides faites par les bailleurs internationaux n’ont pas été respectées. « Nous sommes dans une situation très critique car c’est maintenant que les paysans doivent semer et certaines sociétés n’ont même pas encore commandé d’intrants », insiste Célestin Tiendrebéogo.

Sachant que les banques classiques ne sont pas disposées à leur octroyer des prêts, les responsables de la filière sollicitent l’appui financier des Etats et des institutions financières internationales sous forme de prêts à des taux concessionnels et de longue durée qui permettraient aux sociétés cotonnières d’assumer leurs responsabilités vis à vis des paysans. « Au Cameroun, nos réserves qui s’élevaient à 20 milliards de F CFA sont épuisées. Certes, il faut toujours améliorer la gestion de nos entreprises, mais il y a des choses que nous ne pouvons plus faire, comme baisser le prix d’achat au producteur qui est déjà passé de 200 à 140 F CFA le kg » souligne Iya Mohamed, DG de la Sodecoton.

Très paradoxalement, au moment où l’ensemble de la filière est en difficultés, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) pressent les gouvernements à privatiser les sociétés cotonnières d’ici 2008, comme si elles représentaient absolument une menace pour les finances publiques. D’ailleurs, la conjoncture actuelle n’y est pas favorable. Le cours du coton excessivement bas combiné à la dépréciation du billet vert aboutit à un prix de revient nettement en-dessous du coût de production qui décourage tout repreneur privé. « Nous ne comprenons pas pourquoi on nous pousse à tout prix à la privatisation. Cette politique-là est presque un crime », dénonce, écœuré, le patron de la Sofitex.

Les pays africains producteurs de coton souhaitent-ils racheter la société française Dagris en cours de privatisation et en ont-ils les moyens comme l’a annoncé le président Abdoulaye Wade à l’issue de l’entretien qu’il a eu le 11 juin 2007 avec son homologue français Nicolas Sarkozy ? La déclaration du président sénégalais ressemble beaucoup plus à un coup médiatique qu’à une solution viable à la crise qui frappe le secteur du coton. Car les difficultés financières de Dagris sont liées à celles que connaissent également les sociétés cotonnières africaines, dans lesquelles faut-il le rappeler, la société française est actionnaire.

De même on retrouve des sociétés cotonnières africaines dans le tour de table des filiales de Dagris comme la Compagnie cotonnière (Copaco) et la Société de services pour l’Europe et l’Afrique (Sosea). « Nous suivons de près ce qui se passe chez Dagris car nous sommes intéressés de savoir ce que le futur repreneur compte faire de nos actions et s’il maintiendra ou pas l’appui technique que Dagris nous apporte depuis des années. Dans tous les cas, le rachat de Dagris ne devrait pas avoir lieu au détriment de la sauvegarde de nos sociétés en agonie », estiment les responsables de l’Association cotonnière africaine (ACA).

Joachim Vokouma
Lefaso.net


Le S.O.S de l’ACA

C’est un véritable S.O.S que l’Association cotonnière africaine a lancé le 22 juin par la voix de son président, Célestin Tiendrébéogo. Selon ses propres mots "si dans les jours et semaines a venir, rien n’est fait pour soutenir les filières coton AOC qui sont à bout de souffle, nous courons vers une catastrophe aux conséquences imprévisibles." L’intégralité de son discours.

Messieurs et mesdames les journalistes,

Je voudrais tout d’abord vous remercier pour avoir répondu à notre invitation à cette conférence de presse portant sur la situation gravissime de la filière coton en Afrique de l’Ouest et du Centre.

Le coton occupe une place centrale dans l’économie de nos pays. En effet s’il y a un secteur économique ouvert à la concurrence internationale, et pour lequel l’Afrique a fait d’énormes efforts pour être compétitif au point d’en disposer d’un avantage comparatif incontestable c’est bien le secteur coton.

Depuis plus de vingt ans, les filières cotonnières africaines ont été restructurées, ajustées voir libéralisées dans le cadre de programme avec les institutions de Breton Wood : des poches d’économies ont été réalisées à tous les stades de la production et de la commercialisation.

La qualité de la production cotonnière et les caractéristiques technologiques de la fibre sont certes encore perfectibles, mais l’immense majorité de la filature mondiale reconnaît et apprécie la qualité du coton africain.

L’Afrique produit chaque année quelque 1,8 million de tonnes de fibres d’excellente qualité et dont 90 % sont exportées dans le reste du monde, ce qui fait de l’Afrique le 2eme exportateur mondial de coton, certes bien loin, après les Etats-Unis d’Amérique.
Oui, le coton africain est compétitif. II est en grande partie pluvial, cultivé sur de petites exploitations familiales et ne bénéficie pas ou très peu de subventions des l’Etats.

Oui, durant les quinze dernières années, la production cotonnière africaine a atteint des volumes conséquents et l’Afrique est devenue une origine fiable, disponible, d’excellente qualité et incontournable dans le commerce mondial du coton.

La plupart des économies des pays d’Afrique sont dépendantes de la culture du coton. Environ 20 millions de personnes tirent l’essentiel de leur revenu de cette culture. Le secteur cotonnier apporte à de nombreux pays africains revenus, emplois et devises et y constitue un puissant facteur d’industrialisation. Il participe pour une part significative à l’intensification et à la modernisation des systèmes de production agricole ainsi qu’à la structuration professionnelle du monde rural.

En dépit de sa compétitivité, de ses performances qualitatives et de son poids dans nos économies, force est de constater que la filière coton en Afrique et particulièrement celle de la zone franc, est gravement sinistrée.
Elle est victime à la fois des mesures gouvernementales qui entravent la libre concurrence. II s’agit essentiellement des subventions massives et diverses octroyées par des pays nantis à leurs fermiers et à leurs industrielles.
Ces subventions entraînent une surproduction cotonnière mondiale qui tend à être structurelle et engendre la chute continuelle des cours.
Si rien n’est fait pour réduire et supprimer ses subventions nocives, l’ensemble des filières cotonnières africaines serait condamné à disparaître à très brève échéance.

C’est ce constat qui a conduit en avril 2003, quatre pays africains PMA (Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad) à dénoncer ces subventions à travers l’Initiative Sectorielle en faveur du coton introduite à l’Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.) pour demander la réduction voire la suppression desdites subventions.

De la conférence ministérielle de l’OMC à Cancùn en septembre 2003 à la dernière rencontre de haut niveau à Genève en mars dernier le dossier coton n’a pratiquement pas connu d’avancées significatives en dehors du « step 2 » qui a été éliminé en Août 2006 par les USA en raison de la plainte du Brésil.

Le cycle de Doha est en panne aujourd’hui, les pays riches qui subventionnent leurs producteurs coton demeurent sourds et indifférents aux appels des millions de paysans africains qui ne demandent pas l’aumône mais qui demandent simplement le respect des règles du commerce international en appelant à la suppression des subventions qui constituent une entrave à la libre concurrence.

L’Association Cotonnière Africaine (A.C.A) est convaincue que les subventions cotonnières des pays industrialisés constituent une concurrence déloyale qui cause un préjudice énorme à l’Afrique et elles accélèrent la paupérisation dans nos campagnes.

Le deuxième grave défi auquel font face les filières coton de l’Afrique de l’Ouest et de Centre (AOC) c’est la parité du taux de change dollar/franc CFA
Le niveau actuel du taux de change Euro/Dollar ou FCFA/Dollar est un véritable handicap pour nos économies. Au taux actuel de 1 Euro = 1,33 US$ (493 FCFA pour un dollar), le coton produit dans la zone franc perd toute sa compétitivité par rapport à celui produit dans les zones non euro. Cette surévaluation du FCFA par rapport au dollar US pénalise nos exportations tout produites confondues (pétrole, coton, café, cacao, bois....) et favorise les importations au grand dam de nos industries naissantes. Tous les produits d’exportation de la zone franc sont cotés en dollar US et nous subissons de fait, une double fluctuation : fluctuation du prix de la matière première elle-même et fluctuation du dollar monnaie de la transaction.

La forte augmentation du prix des intrants agricoles (engrais et insecticides) liée à la hausse du prix du pétrole aggrave la situation des cotonculteurs africains qui voient, année après année, leur pouvoir d’achat laminé par le coût des intrants, la baisse des rendements et la diminution du prix d’achat du coton graine.

Cette situation accélère la paupérisation de millions de personnes en Afrique, ce qui à la fois, entraîne un exode rural et des flux migratoires vers les pays industrialisés dont les portes sont de plus en plus hermétiquement fermées. Face à ce drame qui concerne 20 millions de personnes en Afrique, on ne peut pas rester indifférent.

Depuis 2003 les bailleurs de fonds et les partenaires au développement ont fait de promesses d’aide à ce secteur qui n’ont toujours pas abouties.

Aujourd’hui, plus que jamais, la crise du coton, et particulièrement les subventions cotonnières occidentales et le taux de change (FCFA/Dollar) doivent être placés sur un terrain plus politique qu’économique si l’on veut desserrer l’étau qui étouffe les producteurs africains de coton.

C’est un cri d’alarme et de détresse que l’Association Cotonnière Africaine lance ici à Paris en direction des responsables politiques de nos pays et aussi en direction de la communauté internationale ; si dans les jours et semaines a venir, rien n’est fait pour soutenir les filières coton AOC qui sont à bout de souffle nous courons vers une catastrophe aux conséquences imprévisibles.

Mesdames et Messieurs les journalistes, les cotonniers africains regroupés au sein de l’A.C.A. apprécient hautement votre soutien dans leur combat contre les subventions cotonnières des pays industrialisés et aussi dans leur ferme détermination à relever les défis de la filière coton.

Je vous remercie

Paris le 22 juin 2007

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)