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Elections et argent : Le mauvais visage des démocraties africaines

Publié le mardi 29 mai 2007 à 07h31min

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La démocratie est de plus en plus l’otage de l’argent en Afrique. Après tant d’années, peut-on avancer que l’argent du contribuable africain ou étranger fait avancer la démocratie ? Pas si certain. L’alternance et le multipartisme nécessitent-ils une telle surenchère ?

Pour les acteurs politiques africains, organiser des élections "libres, transparentes et équitables", sans argent, devient un leurre. Les partenaires techniques et financiers semblent même y tenir plus que les pouvoirs en place. Rien d’étonnant donc si le montant de la facture dépasse l’entendement.

Aux résultats, un certain recul : les oppositions crédibles sont graduellement réduites au silence par toutes sortes de manipulations en passant par les intimidations, le nomadisme, le clientélisme et autres formes d’achats de consciences. Presque partout en Afrique, des cadres tournent allègrement dos aux principes. Pour de l’argent ou pour couvrir leurs arrières, ils se dépersonnalisent et adhèrent sans y croire au parti au pouvoir. Celui-ci conforte ses positions, fait du coloriage à l’Assemblée nationale en favorisant l’émergence de partis satellites insignifiants placées sous le label de "la majorité présidentielle". Par le biais de lois et mesures, on facilite alors les choses aux riches et puissants qui continuent de s’enrichir impunément.

Les bailleurs de fonds ? Après les résultants concluants des premières expériences, ils se sont rapidement alignés. Par dépit ou par laxisme. Ils semblent même plus conciliants à l’égard des pouvoirs en place, lesquels multiplient les subterfuges face à une opposition morcelée, désorganisée et financièrement handicapée.

On note lors des élections en Afrique un sérieux déséquilibre entre candidats. On assiste même parfois à une orgie de moyens dans un contexte de pauvreté ambiante. Ainsi, lors de la toute récente campagne électorale au Burkina Faso, un candidat à la députation n’a pas lésiné sur les moyens : il a usé d’un hélicoptère et dépensé follement pour se faire élire chez lui. Le manque de plafonnement et de contrôle des fonds contribue donc à desservir les candidats modestes. Cela peut entacher le processus démocratique, l’argent tendant à se substituer au programme, et dans certains cas, à vernir la personnalité des candidats. La démocratie étant l’apanage des peuples, il faut craindre qu’on en vienne à récuser les droits élémentaires du citoyen et à bafouer les appels à la vigilance de la société civile. Ainsi en est-il des candidatures indépendantes qui doivent être encouragées et non occultées indéfiniment.

Sur un autre plan, l’amour immodéré de l’argent tend à dénaturer la chose politique. Bien souvent, des responsables confondent la caisse du parti et leurs propres poches. Des exemples scandaleux abondent à travers le continent, où le dépit finit par engendrer le nomadisme politique. Egalement, tout en exigeant l’alternance au pouvoir d’Etat, certains dirigeants ne cherchent pas moins à s’éterniser à la tête de leur parti. Pour avoir la bourse à portée de la main. Tant pis pour le militant de base qui est bien trop loin pour comprendre les subtilités de la politique dans nos républiques bananières ! Autre illustration de cette décadence : le parachutage des candidatures à partir de la capitale.

En Occident, les lois sur les conflits d’intérêt permettent de limiter les dégâts. En Afrique, les choses se passent autrement. L’expérience montre que l’argent sale fait toujours bonne carrière chez nos acteurs politiques. Corruption, détournements, affairisme font bien souvent le lit des candidatures. Mais le citoyen n’est pas dupe. Il devine aisément que son voisin de candidat pour lequel il a toujours eu de la compassion ne s’est pas métamorphosé par un coup de baguette magique.

Par ailleurs, une certaine tyrannie s’exerce dans les milieux d’affaires où on n’hésite pas à sommer des opérateurs économiques d’appuyer le pouvoir en place contre de probables offres de marché. Ceux qui osent lorgner ailleurs, notamment en flirtant avec l’opposition, finissent toujours par s’affaisser.

Il s’ensuit que de plus en plus les démocraties africaines présentent un visage hideux, marqué du sceau de la peur, du culte de la personnalité et du nomadisme politique. L’argent régnant en maître, on exploite sans vergogne l’analphabétisme et la misère des personnes vulnérables. Aux dépens de l’idéal démocratique qui valorise la participation libre, active et responsable du citoyen avisé. D’où la tendance à la marginalité, à l’exclusion et donc à la contestation de l’ordre établi.

Un train de mesures s’imposent. Certaines permettraient d’éviter la concurrence déloyale entre candidats. Exemple salutaire du Bénin où il est interdit de recourir aux gadgets pendant la campagne électorale. Au nom de l’équilibre des chances, il convient de plafonner le financement des partis, des campagnes et des candidats et d’exercer des contrôles sérieux. Des structures existent qui doivent être mises à profit sous la vigilance de la société civile. S’efforcer de travailler à l’avènement d’une démocratie honorable et à visage humain demeure un impératif en Afrique.

Mais ne devra-t-on pas se résoudre à changer radicalement de formule ? Encore faudra-t-il parvenir à immoler cette hydre aux mille têtes. Jusqu’à quand continuera-t-on de berner les opinions nationale et internationale qui assistent impuissantes à la multiplication sur le continent de "démocraties mort-nées" et de républiques bananières ? Nos partenaires techniques et financiers seront-ils longtemps complices de l’utilisation éhontée de l’argent de leurs contribuables ? Quand cesseront-ils de renforcer des pouvoirs dont la cupidité et l’arrogance n’ont d’égal que leur mépris à l’endroit des intérêts des peuples africains, de la démocratie et d’une coopération mutuellement et réellement avantageuse ? Après les indépendances factices, les démocraties factices ?

"Le Pays"

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