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Luc IBRIGA, professeur de droit : « Il peut y avoir fraude sans que cela ne remette en cause l’élection... »

Publié le jeudi 24 mai 2007 à 08h31min

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Pr Luc Ibriga

La question de la fraude a été posée lors du scrutin du 6 mai. Nombreux sont les partis qui se sont accusés à tord ou à raison. Avant que le Conseil constitutionnel ne tranche sur les recours qui sont posés, nous avons voulu en savoir plus sur le phénomène, ses implications, ses manifestations, etc.

De nombreux acteurs, notamment politiques ont décrié la fraude lors des élections du 6 mai dernier. Votre avis sur la question ?

Luc IBRIGA (L.I) : La question de la fraude est une question complexe. Complexe du point de vue de ses manifestations, mais aussi du point de vue de la preuve de la fraude. Le problème de la fraude dans les élections, les modalités de réalisations des élections peuvent prêter le flanc à la fraude. D’autant plus que pour beaucoup d’acteurs politiques, on ne peut pas gagner des élections sans frauder. La fraude c’est la violation des règles de la compétition électorale. Et à ce niveau, est constitutif de la fraude, toutes les activités tendant à influencer l’électorat en dehors de toutes les dispositions légalement arrêtées. Est constitutif de fraude, toutes les tentatives d’achats de consciences, les billets qui sont glissés çà et là pour inciter les populations à voter pour tel ou tel parti.

Comment se manifeste la fraude ?

L.I : Les activités qui se passent en dehors de la campagne électorale, avant que la campagne ne soit lancée, soit après qu’elle soit fermée. On sait que dans la plus part des circonscriptions à la fermeture de la campagne commence une autre qui est plus sournoise et qui peut être plus décisive et qui en fait est constitutive de fraude. Mais la fraude ne peut exister que si les garde-fous règlementaires et institutionnels sont fragiles. Premièrement, la fraude commence avant les élections au moment de l’élaboration des listes. Et dans notre système pourquoi la fraude peut exister pendant la confection des listes ? C’est parce que les documents nécessaires pour s’inscrire sur les listes électorales, sont multiples, et certains ne sont pas fiables.

Parce que pouvant être établis de façon très facile, car nous n’avons aucune coordination de l’état civil. On dit avec un jugement supplétif, avec une carte de famille, avec la pièce d’identité, le passeport, etc. vous pouvez vous inscrire sur la liste. Ces éléments-là favorisent la fraude dans la mesure où il est possible pour moi de m’inscrire avec ma pièce d’identité à Ouagadougou, et me faire délivrer un jugement supplétif avec un autre nom et de pouvoir m’inscrire dans mon village.

D’autant plus que les règles de résidence ne sont pas strictement appliquées. Ce sont des conditions qui sont favorables à l’expression de la fraude. Pendant l’élection, un des éléments de la fraude qui a été diminué est l’adoption du bulletin unique. Ce qui fait éviter aujourd’hui le bourrage des urnes. Il y a en plus de cela, une dimension dans laquelle la fraude peut se manifester, c’est au moment du dépouillement.

Cette fraude peut exister du fait du manque de vigilance des représentants des partis politiques au niveau des bureaux de votes. Elle ne devrait normalement pas exister si les partis politiques jouaient leur rôle pour que dans chaque bureau de vote, ils aient leurs représentants qui soient là au moment du dépouillement, parce que au moment du dépouillement, les votes sont individuellement comptés et une vigilance des différents représentants des partis politiques, peut permettre d’éradiquer cette fraude-là. D’autant plus que le code électoral fait obligation de donner une copie du procès verbal, ce qui normalement devrait attester de la véracité du décompte des voix. La dernière étape est au niveau de l’acheminement des résultats des votes.

Il y a des procès-verbaux qui sont manipulés, qui ne correspondent pas à ce qui a été établi dans les bureaux de vote, et de ce point de vue, le manque de formation des représentants des partis politiques, fait que les procédures nécessaires pour contester un tel procès-verbal posent problème. Il y a lieu qu’il y ait un moyen fiable de transmettre les résultats. Le problème de la fraude se développe par l’insuffisance du système d’organisation de la compétition électorale, mais aussi par une certaine culture. Quand le civisme politique est faible, les tentations de recours à la fraude sont élevées. Parce que, le fait d’intériorisé que l’on gouverne parce qu’on a reçu une légitimité du peuple, n’est pas beaucoup considéré.

Et pour cause, nombreux sont les politiques qui refusent d’accepter que c’est le peuple qui fait et défait et que de ce point de vue, on doit accepter le résultat des urnes. Quand on recourt à la fraude, c’est parce qu’on n’a pas foi à la légitimité du peuple. Et en ce moment si l’on gouverne on ne veut pas quitter le pouvoir. Quand on est dans l’opposition et qu’on a recours à la fraude, c’est que l’on considère que l’on n’a pas d’autres moyens d’accéder au pouvoir. Ce qui est encore plus dangereux.

Comment expliquez-vous que des partis politiques crient à la fraude comme ça a été le cas lors du 6 mai 2007 et qu’au finish il y ait si peu de recours ?

L.I : Le problème qui se pose c’est de prouver l’existence de la fraude, et c’est là l’aspect le plus complexe parce que la plupart des personnes ou des partis qui dénoncent ne recourent pas aux procédures normales pour prouver la fraude. Pourtant le code électoral donne la possibilité aux différents acteurs de faire porter toutes les anomalies et tous les quiproquos sur le procès verbal.

Et normalement, le président du bureau de vote doit l’inscrire. Or, beaucoup de gens constatent mais ce n’est pas inscrit sur le procès-verbal. La personne fait simplement rapport à son parti ou à son candidat. Mais qu’elle est la preuve matérielle de la fraude si cela n’est pas inscrit sur le procès-verbal ? Normalement, les attitudes qui sont contraires au bon déroulement du scrutin doivent être notifiées. Il faut toujours avoir un début de preuve soit que vous avez une photo, soit qu’à l’instant que cela s’est passé vous avez pris à témoin le président du bureau de vote et les autres membres, pour qu’il ait un commencement de preuve.

C’est un devoir des partis politiques de former leurs membres à utiliser les voies de droit qui sont offertes par le code. Il ne s’agit donc pas seulement de passer son temps à crier ou s’accuser, mais il faut travailler à réunir des preuves ou de début de preuve et surtout les remettre aux autorités compétentes. De plus en plus, c’est ce qui se fait. Quand on se réfère à ce qui s’est passé à Koudougou, à Ouahigouya, etc. les gens ont compris qu’il fallait qu’ils aillent à la gendarmerie, à la police, pour que l’on puisse avoir trace de leur dénonciation et des faits qui sont reprochés. Parce que le constat de police fait foi.

Les partis ne vont pas jusqu’au bout de leur dénonciation également parce qu’ils n’arrivent pas à faire un lien entre ceux qui sont accusés de fraude et l’acte de fraude. Par exemple, ces personnes ont été arrêtées au moment où elles arrivaient. Ces personnes n’ont pas pu voter, donc elles n’ont pas pu influencer le résultat. De la même manière celui qui est détenteur de plusieurs cartes, il s’agit de savoir s’il a pu voter à plusieurs reprises. Et en cela les cartes qu’il détient permettent de vérifier.

Qu’est-ce qui incite les politiques à la pratique de la fraude pour acquérir le pouvoir ?

L.I : Je crois que c’est une culture qui à la fois est une insulte à l’intelligence des citoyens et qui montre que la conquête du pouvoir a une connotation individuelle. Le fait de conquérir le pouvoir pour servir ceux-là qu’on doit servir, ne devrait pas conduire à utiliser des moyens frauduleux pour accéder au pouvoir.

Peut-on envisager des élections en Afrique ou ailleurs sans fraudes ?

L.I : On peut envisager des élections sans fraudes au niveau institutionnel. C’est-à-dire que les structures de compétitions extra ne soient pas mêlées à toute une organisation de fraudes. Qu’il ne soit pas organisé dans les partis politiques ou au niveau du système d’organisation des élections, etc. Mais on ne pourra jamais éradiquer la fraude au niveau des candidats ou des militants qui peuvent prendre eux-mêmes des initiatives croyant bien faire pour que leur parti ou leur candidat gagne soit en utilisant des voies de fait, soit en utilisant leur position sociale, au niveau local, etc., pour influencer.

La fraude fait partie des obstacles à la libre expression du suffrage. Le fait de donner 1000 F ou un sac de riz à quelqu’un en lui disant de voter pour vous, devient un comportement qui s’insère dans les habitudes des populations qui voient maintenant dans les élections, un moyen pour eux de capter la manne électorale, sachant que par la suite il n’y aura plus rien.

La preuve c’est que le président du CDP a dit aux députés de son parti : « On vous a à l’œil, ceux-là qui sont élus et qui ne vont plus vers la base pour faire remonter les aspirations des populations vers les lieux du pouvoir.. » Je dis en ce moment, il y a possibilité de faire des élections sans fraude. Mais, il est certain qu’on ne peut pas éliminer totalement la fraude parce qu’elle peut s’exprimer à travers le comportement individuel.

Mais telle que les choses se présentent il y a tout l’air que ce n’est qu’en Afrique qu’on fraude pendant les élections ?

L.I : L’assise organisationnelle et la culture font que celui qui fraude verra sa carrière politique totalement brisée. On voit par exemple dans l’application des règles du jeu que par exemple au niveau des financements des campagnes, les exigences des sommes investies dans la campagne, font que des élections ont été invalidées.

C’est le cas de M. Jack LANG qui avait fait un dépassement du plafond de son budget de campagne tel que prescrit par la loi et les élections ont été invalidées. Vous ne pouvez pas savoir la valeur qu’accordent les membres des bureaux de vote quant à leur image et le rôle qu’ils jouent dans l’incarnation des valeurs de la République. Avec aussi les médias et les sondages, il est difficile de frauder. Mais ça veut pas dire qu’il n’y a pas de fraudes en Europe ou qu’il y a pas eu de fraude.
On a vu également en Occident des bourrages d’urnes et des résultats d’élections truqués. C’est dire que la fraude n’est pas une chose qui est propre à l’Afrique. Seulement, le fait que nous n’ayons pas cette culture de la compétition électorale pendant longtemps nous avons vécu dans l’unanimisme et le fait de devoir chercher auprès du peuple la légitimité du pouvoir, cela est tout à fait récent. Je dis, en Afrique, plus nous allons avancer dans l’organisation des élections, plus nous aurons des élections propres.

Pensez-vous que les fraudes qui se seraient passées lors du scrutin du 06 mai puissent entacher la sincérité et la crédibilité du scrutin ?

L. I : Là je ne vais pas m’hasarder, car il faut avoir l’état des fraudes et les preuves qui ont été données à cela. Seul le Conseil constitutionnel peut juger de l’état réel des fraudes. Dans la mesure où les preuves lui seront apportées, il pourra au regard de ces preuves trancher. Il y a des zones dans lesquelles les contestations sont nombreuses, mais le contentieux électoral est du domaine du Conseil constitutionnel. C’est dire que si l’on n’a pas tous les éléments du dossier, on ne peut pas dire si la fraude permet de remettre en cause la crédibilité du scrutin.

Il peut avoir fraude sans que cela ne remette en cause l’élection parce que la dimension de la fraude n’est pas à même de remettre en cause la crédibilité et la sincérité du scrutin. C’est quand par exemple vous avez dans une élection où sur mille ou deux mille il y a deux ou trois personnes qui sont saisies pour fraude, cela n’a pas d’incidence sur le résultat. Mais quand le vote est serré, la fraude peut avoir pour but de truquer le résultat donc en ce moment, l’élection peut être invalidée.

Voilà pourquoi beaucoup de gens ne comprennent pas quand on dit qu’il y a eu des fraudes et que cela ne remet pas en cause le résultat, ça veut dire que la dimension de la fraude peut changer la donne parce que tant qu’on ne va pas apporter la preuve que le reste est frauduleux, on ne peut pas subodorer simplement en disant on a attrapé une personne de tel parti qui a fraudé donc ça veut dire que tous ceux qui ont voté pour ce parti ont fraudé. Il appartient au Conseil constitutionnel, au vu des preuves qui lui seront soumises de dire qu’elle élection sera validée et qu’elle élection sera annulée.

Par Frédéric ILBOUDO

L’Opinion

P.-S.

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