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Grèves dans les universités africaines : Manifestation d’un malaise profond

Publié le jeudi 24 mai 2007 à 08h03min

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Un peu partout sur le continent noir, notamment en Afrique occidentale, souffle un vent fort de contestations de natures diverses et d’ampleurs variables sur l’univers particulier de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, du moins là où ces temples du savoir et de la recherche fonctionnent encore. Car dans certains pays, il y a bien des années qu’ils ne fonctionnent plus . Au Niger et en RDC, pour ne citer que ces deux pays.

Ces mouvements de contestation se manifestent par des grèves tantôt des étudiants, tantôt des enseignants et des chercheurs, ou tous à la fois, ce qui provoque des troubles plus ou moins violents pouvant même conduire à la fermeture des établissements, en passant par des années blanches, des années académiques invalidées et, in fine, à une baisse de la qualité de la formation et de la recherche, à une mise à mal de la crédibilité et de la validité des diplômes délivrés, enfin, à la remise en cause de la qualité des hommes formés.

Tout cela hypothèque encore plus l’avenir des pays africains concernés, ruine les chances et perspectives de développement et trahit l’espérance que des populations entières placent dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, considérés à juste titre comme premiers leviers du développement d’une nation.

Paradoxalement, les gouvernants africains ne semblent pas prendre la mesure des conséquences fâcheuses du lézardement endémique dans lequel se trouvent leurs structures d’enseignement supérieur et de recherche. Pire, celles-ci représentent à leurs yeux un secteur non prioritaire, voire une source permanente de crises et de mouvements sociaux à même de précipiter leur chute des pouvoirs qu’ils occupent.

C’est la conclusion à laquelle on parvient quand on considère le laxisme, la désinvolture et le peu d’empressement dont font parfois montre des gouvernants dans la recherche de solutions durables à ces crises répétées. On est enclin à penser que certains Etats africains ont peur de leurs universités, des étudiants et de leurs universitaires et chercheurs parce que considérant ceux-ci comme une menace à la stabilité de leurs régimes, ceux-là qui les empêchent de dormir tranquillement.

Ce qui, du reste, est juste si l’on pense au rôle sociopolitique des intellectuels qui sont, en principe, les "bouches qui crient la misère du peuple", à la responsabilité qui est la leur dans l’éveil des consciences des peuples dans leurs luttes d’émancipation pour le développement réel, et leur nécessaire implication, déterminante pour l’avenir de leur pays. Car, il n’y a pas de développement véritable et durable, donc endogène, sans développement ni efficacité de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique intégrés en toute responsabilité et avec rigueur dans la politique nationale de développement d’un pays, quel qu’il soit.

En Afrique, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique ne constituent une priorité nationale que dans les discours électoralistes. Dans les faits, il suffit de voir la part des PIB et des budgets nationaux consacrée à ces deux faces d’une même médaille (la recherche et l’enseignement supérieur), le peu de considération réservé aux universitaires, étudiants et chercheurs, qui se paupérisent et se prolétarisent au point de ne plus se reconnaître ni être reconnus.

Plusieurs universités africaines, depuis l’époque où elles étaient soutenues à bras le corps par les anciennes métropoles colonisatrices, manquent du minimum pour mériter leur appellation, fonctionner correctement et jouer le rôle socio-économique, socioculturel et sociopolitique qu’on leur reconnaît. Dans ces conditions, la gestion des universités est une véritable quadrature du cercle pour ceux qui ont en charge ces temples du savoir.

Assurément, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique coûtent cher. Ils ne sont pas moins nécessaires et l’urgence revient plus à multiplier les initiatives et les sacrifices pour les sauver. Plutôt que de les mépriser, souvent au profit d’autres secteurs dont la viabilité en dépend. Par exemple, un sommet des chefs d’Etats africains consacré à l’université et à la recherche en Afrique s’impose, surtout que peu d’Etats sont capables, économiquement, techniquement et du point de vue des ressources humaines et des compétences, de faire fonctionner seuls et conséquemment des structures d’enseignement supérieur.

L’enseignement supérieur a été plus victime des micronationalismes, du chauvinisme des dirigeants africains, après les années 70, et de la nationalisation des universités de Dakar (initialement pour toute l’ancienne AOF) et d’Abidjan plus tard pour les Etats du Conseil de l’Entente en priorité.

Les conséquences de la balkanisation de l’université africaine sur le développement du continent, sur l’intégration, et l’unité africaines, sont incommensurables. La mise en commun des ressources et compétences nationales dans une vision globale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et une bonne gouvernance, apparaissent comme la seule solution définitive envisageable aux crises des universités étatiques africaines.

Faute d’université et de centres de recherches performants, l’Afrique noire ne cessera jamais d’être un marché de consommateurs de produits et d’idées étrangers, d’être la roue arrière de la mondialisation et de végéter à la "périphérie" avant de disparaître en tant que "partenaire" dans l’évolution de l’humanité.

En fait, l’université et la recherche scientifique, avant d’être une question d’ordre économique, sont d’abord et avant tout une question fondamentalement politique. Elles relèvent de la souveraineté nationale des Etats africains. C’est pourquoi les problèmes qu’elles posent ne sauraient se contenter de réponses spectaculaires et événementielles. Elles devraient, au contraire, procéder d’une orientation politique et d’un choix stratégique responsables et résolus. Les matières premières dont regorge le continent africain ne serviront à son développement véritable et durable que soumises à l’appréciation et à la gestion d’une matière grise africaine que seule l’université est à même de garantir.

Malheureusement, une telle université est menacée dans son existence même et dans la qualité de ses prestations et de ses résultats. Malheureusement encore, on a l’empression que certains Etats pensent qu’ils peuvent s’en passer !

La crise que traversent l’enseignement supérieur et la recherche scientifique est l’une des manifestations visibles de la crise généralisée dans laquelle l’Afrique, surtout francophone, s’enfonce chaque jour davantage.

Le Pays

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