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France : Une démocratie télévisuelle

Publié le jeudi 3 mai 2007 à 08h09min

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Hier 2 mai 2007 plus de 20 millions de personnes ont suivi le débat entre les deux challengers du second tour de la présidentielle française du 6 mai 2007. Retransmis par plusieurs chaînes de télévisions, même si c’est TF1 et France 2 qui ont été commises officiellement à cette couverture médiatique, ce face-à-face télévisuel entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy est presque inédit.

En effet, il s’agit d’abord d’une confrontation cathodique entre deux personnes qui incarnent un changement de la génération des politiques en France. Ségo et Sarko sont quinquagénaires à la différence de Jacques Chirac qui quitte l’Elysée dans 2 semaines. En cela, lors de la campagne électorale, les deux discours préfiguraient qu’une page politique s’apprêtait à se tourner. Du reste, le candidat de l’UMP n’hésitait pas à employer le terme de "rupture".

Ensuite, c’est la première fois en France que, sur un plateau de télévision, une femme et un homme, candidats au poste de président de la République, ont croisé le fer verbalement.

Au moment où nous tracions ces lignes, le débat n’avait pas encore eu lieu, mais l’événement en lui-même met en exergue le fait que l’Hexagone demeure avant tout une démocratie télévisuelle, même si c’est du côté des USA qu’il faut aller chercher ce genre d’épreuve qui aide les électeurs, si tant est que cela a un effet, à départager les concurrents.

Il faut remonter effectivement en 1960 chez l’oncle Sam pour voir les candidats Richard Nixon et John F. Kennedy se combattre à la télévision, dans ce genre d’exercice. C’était la première fois que deux candidats à une présidentielle s’adonnaient à ce jeu pour convaincre davantage l’électorat.

Mais si l’Amérique a été pionnière en la matière, elle fut par la suite devancée par la France qui, de nos jours, a affiné la chose pour la rendre meilleure et presque un passage obligé pour tout prétendant à la magistrature suprême.

Ainsi, en 1965, l’élection présidentielle en France se déroulait pour la première fois au suffrage universel. Au premier tour, un quasi-inconnu réalise un score retentissant en s’inspirant des méthodes américaines : il s’agit de Jean Lecanuet qui a préparé ses interventions télévisées avec un cabinet de conseil en image.

L’intéressé a notamment mis l’accent sur son sourire qui, ouvert sur une dentition blanche, a séduit le public féminin. Il a pu, de ce fait, mettre en ballottage le général De Gaulle, qui s’est résolu, dans l’entre-deux-tours, à une longue interview télévisée, qui fit mouche. Mais à l’époque on n’en était pas encore au face- à-face entre les deux prétendants au fauteuil présidentiel, qui allait bouleverser la donne et faire de la télévision le média par excellence de la politique en France.

C’est en 1974 que Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand inaugurèrent cette campagne particulière qui se déroulait sur le petit écran. Le décor en cette année était ainsi planté : Giscard face à Mitterrand avec comme journalistes Jean Boissonnet et Michèle Cotta. De ce débat, on n’oubliera pas de sitôt les petites phrases sous forme de fléchettes décochées de part et d’autre par les deux candidats.

Et dans ce jeu, Giscard, qui fut longtemps ministre des Finances, et un habitué des plateaux télé, s’en sortit avec un léger avantage sur son rival qu’il qualifia du reste de "l’homme du passé", une expression qui fit son effet sur l’électorat de Mitterrand. Ce dernier, qui fut candidat encore en 1981, se vengea alors sur un plateau similaire, avec le même Giscard, qui resservit la même critique et qui eut la réplique suivante : "Si moi je suis l’homme du passé, vous, vous êtes l’homme du passif".

Dans cet exercice, on le constatera, François Mitterrand, qui avait pris de l’épaisseur (qui ne le serait pas avec deux septennats (1981-1995) ?), excellera, surtout avec un certain Jacques Chirac, qui, en 1988, à force de tutoyer Mitterrand qui le vouvoyait, a perdu des électeurs à l’issue de cette épreuve télévisuelle.

L’évidence désormais s’impose : la télévision s’est intégrée au mécanisme politique, depuis près de trois décennies, avec un ascendant immense, ces dix dernières années, sur le comportement des politiciens, à telle enseigne que les anciens débats paraissent archaïques (1). Place aux débats télévisés, où rien n’est laissé au hasard. On peut observer que la démocratie française se joue certes dans les coins et recoins du pays, mais surtout à la télévision.

Aux pitreries de Coluche dans les années 1980 s’est substituée la prestation de gourous du monde du show-biz et de la politique, bref, de personnalités médiatiques qui "passent à la télé" pour emprunter le jargon qui sied. En France, à la télévision, les personnalités non médiatiques sont ignorées, et si elles sont invitées, c’est pour servir de cibles ; en outre, la concurrence entre les chaînes et les exigences de la publicité provoquent une course à l’audience.

Dans ce pays, comme ailleurs, la télévision est devenue un spectacle : seul le visible a droit de cité. Ce qui ne peut être imagé n’a pas d’existence. Le tube cathodique a aussi les moyens de créer artificiellement l’événement en donnant consistance à tel homme ou tel phénomène sans racines profondes.

On se souvient de figures hypermédiasées dans les années 1980, telles Guy Bedos avec son émission "Jeu de vérité" ou Yves Montand avec "La guerre en face", des émissions dont l’audimat atteignait déjà les 20 millions de téléspectateurs.

On verra même, en 1986, François Mitterrand jouer le jeu qu’impose la télé à l’émission dénommée "Ça nous intéresse, monsieur le président" ; ou encore Bernard Kouchner, ministre de l’Action humanitaire, filmé en 1992 en train de coltiner des sacs de riz en Somalie. Il y a donc bien longtemps que "la politique est devenue le métier du paraître", comme le souligne François Henri de Virieu (2).

Et du paraître surtout à la télévision ! A ce débat Ségo/Sarko, cette logique des apparences a été également respectée, puisque tout a été réglé comme une chaise musicale : forme de la table, distance (2 mètres) entre les deux candidats, position tirée au sort pour s’asseoir, seuls les cameramen de TF1 et France 2 avec les 17 caméras autorisés à rester dans la salle... les états-majors dans des loges attenantes... interdiction de faire un gros plan ou de zoomer un candidat au moment où l’autre parle... etc.

Une telle minutie s’explique par le fait que chacun mesure les conséquences de l’intrusion médiatique dans la sphère politique. Pour un ministre ou un député, encore plus pour un candidat à la présidentielle, intervenir 5 mn au J.T. de 20 heures a plus de prix qu’une demi-heure de discours à la radio, ou 3 à 4 pages d’interview dans la presse écrite.

La télévision en France n’est plus le reflet, mais le miroir de la France, que chaque politique exploite. Si on y ajoute l’abus des sondages dont ce média (mais pas lui seul) raffole, on peut dire que la démocratie hexagonale se jouer décidément sur le petit écran.

Encore faut-il se demander si, de nos jours, les prouesses en matière d’élocution de X ou Y candidat dans un débat comme celui d’hier peuvent lui rapporter des voix à même de lui faire gagner l’élection. Mais comme c’est presque une épreuve obligatoire dans la démocratie française...

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana

Notes : (1) Les anciens débats paraissent archaïques de Georges Careyrou.

(2) La médiocratie de François-Henri de Virieu

L’Observateur Paalga

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