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Elections : Et si nous parlions du minimum vital d’une communication politique ?

Publié le mercredi 2 mai 2007 à 09h02min

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Dans le paysage médiatique burkinabé, le discours politique crée de plus en plus l’événement. Il gagne de l’importance au fur et à mesure que la culture démocratique progresse en visibilité. Jetés en pâture à l’opinion publique, l’orateur et son discours sont parfois applaudis, parfois conspués, toujours attendus.

Les habitués des formules magiques : Chers compatriotes ...Citoyens, citoyennes... Militantes/Militants etc.” savent bien qu’à la fin de leur discours, il y a parfois le commencement d’un mandat ou la fin d’un règne. Comment ne pas penser, alors, à restituer le minimum vital d’un discours politique qui se veut être une communication politique, pendant que la campagne pour les législatives bat son plein ?

Avec les précautions et les restrictions qui s’imposent, nous allons chercher ce minimum vital dans le discours politique français, notamment à travers l’analyse de l’échec de Valéry Giscard d’Estaing et de la victoire de François Mitterrand à la présidentielle de mai 1981.

Le 23 avril 1981, c’est-à-dire trois jours seulement avant le premier tour de l’élection présidentielle, 62% des Français estimaient que Valery Giscard d’Estaing (VGE) était “ le plus capable de représenter la France à l’étranger, contre 21% à François Mitterrand... 72% des Français pronostiquaient même la victoire de VGE.” (Jeune Afrique, août 1981).

Et voilà que tout se précipite et se renverse en même temps. “ La cote de popularité atteinte par Mitterrand, de Gaulle lui-même en a rarement bénéficié, ni Pompidou ni Giscard d’Estaing ne l’ont jamais connue. ” (J. A, août 1981) Parmi les facteurs déterminants de ce renversement et de ce succès, il y a la communication, cet art de se donner à autrui sans se laisser prendre.

La longue route qui a conduit Mitterrand au pouvoir a dû aussi être école de communication. Nous disons “ aussi ”, pour signifier que nous n’avons pas à tomber dans le “ communicationnisme ” qui serait l’excès consistant à penser que la communication fait feu de tout bois. Cela dit, comment les analystes en communication expliquent-ils les deux phénomènes interactifs : l’échec de VGE et la victoire de Mitterrand ? De ces analyses, que faut-il retenir, finalement, comme pouvant être le minimum vital d’une communication politique ?

L’échec de Valéry Giscard d’Estaing

Selon la presse et les intellectuels français, cet échec s’explique fondamentalement par le manque de psychologie de celui-ci à l’égard de ses compatriotes. Quand on manque d’une juste vision d’autrui, habituellement, celle que l’on a de soi-même, par rétroaction, se décuple et se déforme en grossissant.

C’est le cas de VGE, semble-t-il. En le recevant à l’Académie française, le jeudi 16 décembre 2004, M. Jean-Marie Rouart lui dit : “ On vous regarde comme un Mozart de la politique. Car vous avez toutes les qualités. Toutes... sauf une : [...] l’absence de psychologie. Vous vous trompez rarement dans vos analyses, il vous arrivera de vous tromper sur les hommes.”

Dans Le Figaro, Mauriac dit du “ petit Bonaparte ” : “ Ce qui intéresse Giscard, c’est d’Estaing ; ce qui intéresse d’Estaing, c’est Giscard. ” Contre le “ monarque capricieux, dandy et infatué ”, la presse française de cette année-là y alla de ses flèches. Jacques Fauvet, dans Le monde écrit à propos de la défaite de VGE qu’ “ il s’agit de la victoire du respect sur le dédain. ” Ne pourrait on pas en dire autant sur les us et coutumes de certains candidats aux législatives 2007 ? Chut !

Nous sommes en période de campagnes électorales à la burkinabè... Et, de M. Rouart, nous lisons qu’ “ un canard s’est enchaîné à [ses] pas pour le moquer. ” Jean d’Ormesson, un ami du candidat malheureux dit : “ Giscard a fait battre nos idées sur sa personne ”. Pour le biographe de l’ancien président, ce propos signifie : “ c’est la caricature de votre personne, et non votre politique, qui vous a valu votre échec. ” (Rouart, 2004).

Valéry Giscard d’Estaing, reconnu par ailleurs comme étant “ un grand communicateur ” donne raison, par cette défaite, à Jean-Marie Cotteret pour qui “ gouverner c’est paraître. ” (Cotteret, 1990) Malheureusement, ne pas gouverner, c’est également paraître. VGE peut très bien, au fond, être le plus modeste des Français ; mais le sort, ou son manque de psychologie, l’a poussé à paraître devant ses compatriotes en “ monarque capricieux ”, en “ dandy et infatué ”, en homme hautain, plein de lui-même. Ce paraître est suicidaire pour celui qui sollicite, auprès de ses compatriotes, l’autorisation de les représenter et de les gouverner.

Prononçant l’éloge de Léopold Sédar Senghor à l’Académie Française, VGE confirme ses insuffisances en psychologie et communication en disant aux Immortels, mais à voix suffisamment haute pour que tous les Africains puissent l’entendre : “ Je partirai d’abord à la recherche du petit gamin... gai et insouciant comme l’Afrique. ” (VGE, 2004). Pour sans doute se venger du peu d’attention que VGE accorda à la psychologie, le sort fit du “ petit Bonaparte ” désavoué, dans sa retraite, un cas clinique : “ le voile noir de la dépression l’enveloppe. ” A la manière d’un fantôme hantant des ruines, Valéry Giscard d’Estaing hante les volcans éteints. Il “ voulait regarder la France au fond des yeux ”, qu’il contemple maintenant, dans le creux de la terre ayant expulsé ses entrailles, l’image de ses ambitions éteintes. Il apprend le chinois, comme si son nouveau rêve était d’avoir l’infini pour interlocuteur.

La victoire de François Mitterrand

L’échec de Valéry Giscard d’Estaing, à l’élection présidentielle de 1981 est donc la conséquence directe, d’un déficit de communication dû à une absence de psychologie et à un excès de confiance en lui-même. Son biographe va plus loin : “ vous croyez au pouvoir de l’intelligence. Vous avez cru qu’elle pouvait être l’arme secrète pour conjurer les passions. De Gaulle, [quant à lui], a intégré la passion dans son projet politique... En prônant l’œcuménisme en politique, vous vous condamnez à ne plus pouvoir rendre les coups que vous recevez. ” (Rouart, 2004). En politique, semble-t-il, l’irrationnel commande, l’intelligence gouverne.

Cette victoire “ relève d’un coup de foudre, d’un grand élan affectif et émotif. ” (Naccache, 1981). Là-dessus, voici deux analyses concordantes. La première est de M. Amal Naccache qui écrit en 1981 à propos de François Mitterrand : “ Après l’avoir aimé un peu, puis beaucoup, les Français aiment aujourd’hui passionnément François Mitterrand. ” La seconde analyse est de M. Rouart qui nous explique pourquoi et comment Mitterrand est parvenu à cet état de grâce de l’opinion publique française, un état de grâce qui révèle une unanimité digne des résultats de certaines élections africaines. Rouart, le 16 décembre 2004, s’adresse à VGE en ces termes : “ François Mitterrand qui l’emporte sur vous, montre que l’enjeu n’a qu’un rapport lointain avec l’intelligence : c’est la victoire d’une fièvre confuse, irrationnelle, d’une passion rose et rouge qui saccage vos plans ordonnés et substitue la passion à la raison, le rêve à la réalité. Que valent la plus belle intelligence et un programme réaliste face à cette incantation envoûtante : changer la vie ?”

Eclairés des raisons de l’échec de Valéry Giscard d’Estaing et des mobiles de la victoire de François Mitterrand, nous pouvons alors apprécier avec justesse, la très grande valeur communicationnelle du discours d’investiture de F. Mitterrand qui peut être résumée en trois points :

1° L’enjeu de sa communication : Se faire aimer. Alors, contre la soi-disant arrogance de VGE, Mitterrand, en préambule, affiche équilibre d’esprit et grandeur d’âme : “ Ce mois de mai 1981 n’a pas vu les bons l’emporter sur les méchants ni le contraire. ” (Mitterrand, 1981) Puis vient cette phrase anthétique parfaite, qui, avec le poids de responsabilité que le “ je ” lui donne, a dû faire chaud au cœur de ses compatriotes dont il n’ignore ni le goût ni la prétention à vouloir donner au monde, des leçons de grandeur d’âme, de justice sociale et d’audace : “ Je ne sépare pas le devoir politique d’ouverture de l’obligation sociale de solidarité. ”

2° La décision : Mitterrand construit son discours, et sans doute le prononce, de manière à valoriser l’image d’un chef capable de décision car “ la politique est décision. ” (Serres, 1991). Il renforce ainsi l’estime et l’affection que le public français a pour lui. Ici, Mitterrand se fait incisif. Le rythme du discours est époustouflant. C’est comme si l’orateur courait, pressé de passer à l’action : “ Démocratiser la société, refuser l’exclusion, rechercher l’égalité, instruire etc. ” Chaque proposition commence par un verbe d’action à l’infinitif, ce qui accentue l’impression du lecteur de communier dans l’action avec l’orateur. C’est un beau coup psychologique car, le Français, même quand il s’agite, aime mieux qu’on dise de lui qu’il agit.

Antoine de Saint-Exupéry s’adresse à son ami en ces termes : “ Si je vis, tu sais que je marche. ” C’est aussi l’intention, nous semble-t-il, de beaucoup de Français. Mitterrand ne pouvait donc trouver plus et dire mieux à ses compatriotes pour réveiller en eux leurs désirs d’avoir un chef proche d’eux, mais capable de décision et d’action.

Ce “ coup ”, Mitterrand l’a préparé longuement, patiemment, pendant presque un demi-siècle d’attente à la porte de l’Elysée, jetant de temps en temps un coup d’œil vivement intéressé à l’intérieur de la citadelle si convoitée. La bonne communication est une longue sueur.

3° La crédibilité - Pour réussir une bonne communication, enseigne Jean-Marie Cotteret, il faut “ un mélange de séduction, de sérieux, avec une touche d’humour et un fond de compétence. ” (Cotteret, 1990). De façon spécifique, il s’agit de la forme du discours et du décor imaginé pour mettre celui-ci en valeur.

A ce propos, Cotteret s’en tient à la règle des “ quatre C. ” : “ il faut être clair, court, cohérent et crédible. ” Le dernier “ C ” porte sur trois points : la crédibilité du programme d’action de l’orateur ; la crédibilité de sa personne : “ il ne s’agit pas, précise Cotteret, de la beauté physique de l’orateur ”, mais de son rayonnement ; la crédibilité du discours comme source d’inspiration et d’action. Ici, plus que le vocabulaire, c’est l’aspect de l’orateur qui conditionne le succès de la communication. Dans son discours, on peut simplement constater que Mitterrand a respecté la règle d’or des quatre C : clair, court, cohérent et crédible. Quant à l’humour, Mitterrand semble ne pas vouloir s’y aventurer à cette heure solennelle.

Le minimum vital d’une communication politique

Partis à la recherche du minimum vital du discours politique qui se veut être une communication politique, nous pouvons, à partir de l’exemple de Giscard d’Estaing et de Mitterrand, expliciter ce minimum en trois propositions.Première proposition : Se servir de la connaissance des hommes, du milieu, de l’événement et du contexte pour se faire aimer par le public. Cela doit transparaître dans le contenu et le contenant du discours.

Le contenu, c’est-à-dire le message ; le contenant, c’est-à-dire le décor et le support qu’il convient de donner à ce message. Contenu et contenant devront être rehaussés par une mise en scène propre à frapper l’imagination. L’orateur africain n’oubliera pas qu’ailleurs, “ les réactions aux messages de tous ordres sont émotives dans 85% des cas et critiques dans 15%. ”(Conquet, 1980). Même quand de grands intellectuels jugent le discours politique, ils conviennent que celui-ci n’est pas qu’intellectuel.

En effet : 1° Goethe dit : “ Quand on ne parle pas des choses avec une émotion pleine d’amour, ce qu’on dit ne vaut pas la peine d’être rapporté. ” 2° Le point de vue de Jean Rostand est le suivant : “ Je pense qu’il doit y avoir quelque chose d’affectif dans le style, si l’on veut retenir et intéresser. ”(Conquet, 1980)
Deuxième proposition : Faire du discours politique, la preuve et la promotion d’une décision. Quelle opinion publique s’accommoderait-elle avec un homme politique qui ne serait pas un homme de décision, c’est-à-dire un homme d’action ?

Ce que le public aime dans la pratique politique, c’est cela qu’il recherche dans un film western, dans un roman policier, dans une aventure amoureuse : une intrigue passionnante qu’il faut dénouer à l’aide d’une action non moins passionnante.
Raison pour laquelle une campagne politique, c’est toujours aussi passionnant que la chasse aux hippopotames ou aux singes ! Voilà pourquoi “ de Gaulle a intégré la passion dans son projet politique. C’est elle qui l’insuffle, l’entraîne, lui fait renverser les montagnes. ” (Rouart, 2004).

On ne peut communiquer une telle passion au public sans travailler à fond toutes les composantes du discours : texte, support et décor de celui-ci, prononciation, débit, ton, rythme, silences. Paul Valéry conclut son “ Eupalinos ou l’architecte ” en ces termes : “ Le réel d’un discours, c’est après tout cette chanson et cette couleur d’une voix que nous traitons à tort, comme détails et accidents. ”(Conquet, 1980). Le bon dosage de tous ces éléments du discours peut augmenter le rayonnement d’une bonne cause, ou renverser la tendance en faveur d’une mauvaise cause.

Troisième proposition : Rendre l’orateur et sa décision crédibles. En 1981 et 1988, les Français ont follement aimé Mitterrand parce qu’il a su les remplir d’un espoir fou, en affirmant sans grandiloquence qu’il venait “ guérir la vie quotidienne du plus grand nombre des Français de ses multiples tares et parfois de ses intolérables servitudes. ”(Mitterrand, 1981). C’est là où la personne fait irruption dans le personnage. “ Il y a là, note Jean-Marie Cotteret, une perversion de la communication médiatique, qui consiste à classer les hommes politiques en fonction de ce qu’ils ont fait au cours de la semaine écoulée, alors même que l’opinion ignore tout de leur emploi du temps. ” (Cotteret, 1990). C’est là où le communicateur devient un acteur, un comédien, puisqu’il ne peut éviter le dédoublement personne/personnage. “ Un roi ne peut être un bon père de famille, dit-on ; il regarde son trône et rien de plus. ” Pourtant !

Les Américains et bien d’autres populations, les populations africaines par exemple, exigent qu’il le soit ! Alors, il ne reste à l’orateur politique qu’à assumer son dédoublement, à “ vivre intensément la subtile alchimie à laquelle il faut se livrer pour s’intégrer intimement à son personnage ”, comme l’écrit Ch. Dullin dans Souvenirs et notes de travail d’un acteur.

Réussir ce dédoublement de la vie privée et de la vie publique peut assurer le plus long et le plus profond succès à l’homme politique. Le public qui s’identifie à ses héros pour les honorer veut être assuré que même dans la vie privée, ces héros ne pataugent pas dans la boue. Bill Clinton, au sortir de l’orage Monica Lewinsky, ne dira pas le contraire. Des indications comme celle-ci montrent bien que la communication politique est différente de la simple information politique.

A quoi peut prétendre la communication politique spécifiquement africaine ?

C’est le développement et le bonheur de tous et de chacun qui fonde le discours politique africain. On ne doute pas de la pertinence de fond d’un tel discours. Mais qu’en est-il de sa pertinence formelle, de sa capacité de transmutation des paroles et parades en véritable communication politique ?

On peut simplifier le problème en disant que le développement, tel qu’il est voulu et recherché par toutes les nations et tel qu’il se trouve visé par l’Afrique en particulier, est une idéologie de l’auto suffisance alimentaire, à défaut d’être une course au luxe dans toutes ses variantes.

Tant qu’une telle idéologie ne sera pas “ enflammée ” par une utopie, elle ne saurait susciter l’engouement, la passion puis le délire chez aucun peuple. Ceux qui manipulent les foules les tiennent par quelque fil insensé qu’il faut bien nommer utopie.

Ne l’oublions pas : quand la machine nazie s’est mise à tourner à plein régime, les enfants allemands adressaient leur prière du matin au Führer. L’utopie, ici, est le signe distinctif des peuples qui savent rêver leur destin avant d’en mourir, les yeux ouverts. Elle est la conjonction de la passion et de la raison en vue d’impulser à l’histoire qui se fait, sa dimension cachée dans la durée.

En cette dimension cachée se créent les valeurs humaines qui ne passent pas. Là se tissent les minces et fragiles réseaux de libertés qui ne durent qu’un jour. Là encore se vivent émois et drames, sans raison, simplement parce que ce que passion veut, l’histoire le veut.

En mai 1981, c’était la France d’en bas qui sortait, remplie d’enthousiasme et d’illusions, du fond de l’espoir et qui remontait à l’air libre, agrippée à la bouée du socialisme. Pour cette France-là, aimer la justice qui vient et embrasser François Mitterrand vainqueur, c’était la même chose.

De même, Sékou Touré, Kwamé N’krumah, Patrice Lumumba, Thomas Sankara,... avaient plus que l’autosuffisance alimentaire à proposer à leurs peuples : contre la servitude coloniale, ils brandissaient la liberté. Pour repousser l’orgueil du capitalisme, ils ont dressé la dignité de l’Africain. Au-dessus de l’hégémonie des grandes puissances, ils nous ont fait rêver à la toute puissance de l’Afrique et à un avenir insensé, mais gonflé de nous-mêmes.

A les écouter, nous étions heureux comme des chauves-souris et nous applaudissions. Nous applaudissions jusqu’à ce que de violents vents nous balaient de la surface de notre espoir. Leurs discours politiques étaient en même temps des programmes de développement populaire. Avec eux, à l’impossible, tous étaient tenus.La forme d’un tel discours est en même temps son contenu et sa force.

En ce moment, nous écoutons attentivement les orateurs des législatives 2007, au Burkina Faso. Ceux à qui les urnes souriront seront sans doute des administrateurs consciencieux de leur propre programme : ils ne nous convainquent pas qu’ils sauront être des “ fabricateurs ” d’enthousiasme.

Ibrahiman SAKANDE (ibra.sak@caramail.com)

Sidwaya

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