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Discours sur la situation de la nation : Des syndicalistes et des politiques se prononcent

Publié le jeudi 5 avril 2007 à 09h16min

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Ousséni Tamboura (ADF-RDA)

Le Premier ministre Paramanga Ernest Yonli a livré, devant la représentation nationale, son discours sur la situation de la nation, le jeudi 29 mars dernier. Quelle appréciation les leaders politiques et syndicaux font-ils de cet exercice ? Nous avons tendu notre micro à quelques personnalités.

Richard Tiendrébéogo, secrétaire général adjoint de la CGT-B

"L’augmentation des salaires est dérisoire" : La situation de la Nation telle que présentée par le Premier ministre est, en fait, la lecture que le gouvernement fait de l’évolution du monde et de la situation de notre pays. C’est une lecture que certains peuvent partager ; par contre, d’autres pas du tout. En tout cas nous, nous avons eu une lecture différente sur certaines questions, relatives notamment à l’impunité, à la restauration de l’autorité de l’Etat, au chômage, ainsi qu’à la distribution des fruits de la croissance, etc.

Par exemple, sur la question de l’emploi, c’est vrai, le gouvernement a fait le constat qu’il y avait de plus en plus de demandes d’emplois de la part des jeunes. Nous disons, et cela depuis longtemps, que les privatisations ne sont pas de nature à créer les conditions pour le développement d’un pays. Les conséquences de cette politique de privatisation sont là. En 2001 par exemple, nous avons dénombré plus de 5 000 pertes d’emplois et, depuis, ce nombre s’est accru.

A cela s’ajoutent également les jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi, qui concurrencent leurs pères, leurs grands frères, etc. Cela veut dire qu’il faut avoir une autre vision politique pour que la question de l’emploi retrouve son contenu. Dès lors que nous sommes toujours soumis à travers les PAS qu’on a rebaptisés Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, il n’y aura pas d’évolution.

Concernant la question de l’impunité et de l’autorité de l’Etat, beaucoup d’événements sont venus réconforter notre Confédération à travers la vision qu’elle a toujours eue, à savoir la question de l’impunité. Nous avons créé des structures, comme ce fut le cas le 3 juin 1995 après l’assassinat des enfants de Garango.

Nous avons été à la base de la création du Comité pour le règlement des questions pendantes en matière de droits de l’homme. Ensuite, nous nous sommes impliqués, à travers la création du Collectif, dans la lutte contre l’impunité au Burkina Faso après l’assassinat horrible et indescriptible du journaliste Norbert Zongo. La question de l’impunité est donc au centre de tout ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays.

Qu’il s’agisse des événements des 19, 20, 21 décembre avec les militaires ou lors de "la révolte des casques" le 1er septembre 2006, ou des récents événements dits "des Kundé", il apparaît clairement que les populations n’ont plus confiance en la Justice. L’impunité est désormais la règle de gouvernement de la IVe République, ce qui explique que les citoyens se rendent eux-mêmes justice. Et c’est l’autorité de l’Etat qui se trouve ainsi hypothéquée.

Sur la question de la distribution de la croissance, le gouvernement a annoncé que, pour permettre un fonctionnement efficient des organisations syndicales, la subvention de l’Etat passait de 100 à 150 millions de F CFA. Il faut toutefois préciser que lorsqu’on parle d’organisations syndicales, il y a celles des travailleurs et les organisations syndicales des employeurs. Donc les 150 millions de F CFA sont à répartir entre ces deux types d’organisations.

C’est ce qui se fait depuis que la subvention existe. Il ne faut donc pas que les gens se fassent des préjugés sur les organisations syndicales des travailleurs. En ce qui concerne l’augmentation des salaires de 5% pour les travailleurs, en tant que responsable on ne peut qu’être satisfait qu’il y ait un plus.

Ce qu’il faut dire, c’est que nous avons quitté une négociation, en septembre 2006, avec le gouvernement et dont un des points portait sur l’augmentation générale des salaires des travailleurs du public comme du privé de 25%. Et le gouvernement nous avait renvoyé à une éventuelle exécution en 2007. Nous avons donc été surpris de cette annonce. D’abord, il n’y a pas eu de rencontre avec les organisations syndicales sur la question. Encore que cette augmentation se trouve en deçà de nos revendications, bien en deçà. Par exemple, pour un salaire de 100 000 F CFA, l’augmentation équivaut seulement à 5 000 F CFA. Pour nous, cela reste dérisoire.

Et nous pensons que dans le cadre du dialogue social, il aurait fallu en dire un mot aux partenaires sociaux, avant de l’annoncer. D’ailleurs, nous attendons de voir si cette décision s’applique à tous les travailleurs. Nous profitons de votre micro pour dire que la revendication syndicale est une augmentation générale, dans le public et le privé, de 25% à compter du 1er janvier 2001 et que nous attendons du gouvernement en 2007 comme il l’a promis.

Député Amadou Dabo, 1er vice-président de l’UNDD : "Le même discours depuis 7 ans"

Le discours sur l’état de la Nation n’a pas varié. On a l’impression que tout va bien, alors qu’il y a beaucoup de problèmes sur le plan social, sur le plan de la gestion de l’Armée et du processus démocratique. Mais, cela fait 7 ans qu’on nous livre le même discours. Si nous prenons la question de l’augmentation des salaires de 5%, c’est bien. Mais il ne faut pas oublier le contexte électoral. Et puis, avec la cherté de la vie, c’est insuffisant. Sur le plan démocratique, les citoyens n’ont plus confiance en leur Justice et l’autorité de l’Etat n’existe plus. Le problème qui nous a intéressé, ce sont les événements des 20 et 21 décembre 2006.

Le Premier ministre en a parlé dans ce discours. Pour un problème qui concerne l’Armée, je pense que le peuple a le droit de savoir exactement ce qui s’est passé. Cela n’a pas été le cas. On n’a pas entendu nos gouvernants s’exprimer sur ces affrontements entre militants et policiers qui ont fait des victimes de part et d’autre ainsi qu’au sein de la population. Je l’ai dit au Premier ministre : il était absent de Ouagadougou, laissant la gestion de cette crise entre les mains des deux ministres qui étaient d’ailleurs indexés.

Pour des situations aussi graves, il devait monter au créneau pour rassurer les populations. C’est contre toute attente que nous avons vu passer plusieurs milliards de F CFA à l’Assemblée nationale destinés à résoudre les problèmes sociaux des militaires. J’ai donc demandé au Premier ministre si cet argent avait définitivement résolu la crise. Et pourquoi attendre que de telles revendications se cristallisent ?

Me Toussaint Abel Coulibaly, président de l’UPR : "Un discours empreint de sincérité"

C’est une appréciation globalement positive dans la mesure où ce discours était empreint de sincérité. Il ne dit pas que tout est parfait mais on dit que beaucoup de choses restent à faire. J’ai eu l’occasion d’évoquer certains points, notamment la prompte réaction du gouvernement concernant la méningite qui, certes, n’a pas évité les nombreux décès. C’est le lieu d’exprimer notre compassion aux familles éplorées. Le second point que j’ai évoqué, ce sont les disparités régionales. Il est vrai que celles-ci ne datent pas d’aujourd’hui.

Mais il est grand temps d’y penser. J’ai suggéré des discriminations positives dans la mesure où le gouvernement le fait dans certains domaines. Dans l’éducation, les régions avec des taux très bas ont été ciblées et prises en compte dans le PDDEB. A mon avis, cela pourrait être le cas pour les régions à fortes potentialités mais qui sont dépourvues de petits barrages ou de retenues d’eau. Je vois mal une commune rurale se développer sans un espace de production viabilisé. A ce niveau, il va falloir être plus regardant.

Député Ousséni Tamboura (ADF/RDA) : "J’ai vu un Premier ministre assez réaliste"

Sur les cinq exercices auxquels j’ai assisté, c’est l’un des discours que je trouve modeste et assez logique. J’ai donc une appréciation assez satisfaisante de la prestation et du contenu. J’ai vu un Premier ministre assez réaliste, peut-être parce que c’est un discours prononcé avant les élections législatives. Il a été également logique : pendant qu’il annonce l’effectivité de la croissance, il annonce dans le même temps une augmentation de salaires. Si une nation progresse, il faut répartir les fruits de la croissance.

Cela me paraît tout à fait évident. C’est une mesure que nous avons saluée, même si j’estime que le taux unique de 5% me paraît égalitaire. Et cela favorise encore les plus riches et les plus forts, alors qu’en règle générale on a plutôt des augmentations de salaires avec des taux décroissants (les classes basses de fonctionnaires bénéficient d’une plus grande augmentation et les catégories supérieures du taux le plus faible). C’est cela qu’il faut regretter.

Un point fort du discours est cette volonté du gouvernement de renforcer un certain nombre d’acquis. Plus de ressources ont été octroyées à certains secteurs névralgiques. Il y a aussi l’annonce de l’augmentation des subventions à la presse, aux syndicats et aux partis politiques. Cela peut apparaître comme une volonté de favoriser un dialogue social et politique. C’est une orientation à saluer.

Cependant, des insuffisances demeurent. La première, c’est du point de vue social. On a assisté à des événements assez préoccupants ces deux dernières années, relatifs à l’autorité de l’Etat. On peut rappeler à ce propos la mesure relative au port obligatoire du casque, systématiquement reportée parce que rejetée par les citoyens. Il y a aussi les événements de décembre dernier, avec les affrontements entre militaires et policiers, et, enfin, les émeutes consécutives à l’affaire des bars Kundé.

On devrait faire attention parce que ce sont-là sont des signes avant-coureurs. Il est important que l’Etat restaure son autorité. Le Premier ministre semblait ne pas voir un lien entre l’impunité et un certain nombre de ces faits. Il faut relire l’histoire. Il y a un lien entre l’autorité de l’Etat et sa capacité à sanctionner les infractions. A partir du moment où les citoyens en doutent, ils ont tendance à se rendre justice.

C’est ainsi que je ne suis pas d’accord avec le Premier ministre quand il dit que Ouagadougou est un condensé des villages. Et c’est ce qui expliquerait ce comportement. Nos sociétés traditionnelles ne sont pas des sociétés barbares. Il faut revisiter l’histoire des peuples et des monarchies. Il y a quand même des institutions qui étaient chargées de régler ce genre de crimes abominables ! Ce n’est pas parce que les gens se comportent comme au village qu’ils ont réagi ainsi. C’est plutôt un problème de légitimité de l’autorité. Un autre point faible, c’est la question de l’épidémie de méningite. C’est vrai, nous avons des explications.

Mais, j’ai trouvé que le gouvernement n’avait pas montré assez de compassion, au regard du nombre de personnes décédées. Dans le discours du Premier ministre, il n’y a même pas le nombre de victimes (800 morts). On aurait pu être plus solidaire des familles et des personnes affectées (parce que la méningite laisse souvent des séquelles). Il faut surtout rassurer les populations. Je suis aussi resté sur ma faim par rapport à la question de l’éducation et de l’emploi des jeunes.

On a énuméré un certain nombre de dispositifs dont les résultats indiqués dans le discours me paraissent tout à fait insignifiants par rapport à l’ampleur du chômage, par exemple. On parle de 1 500 emplois créés alors qu’il y a plus de 20 000 diplômés qui sortent chaque année. Il y a donc un effort à faire à ce niveau. Dans l’ensemble, c’est un bon exercice. Je trouve ce discours plus réaliste, plus modeste et plus logique que les 4 autres auxquels j’ai assisté durant ma mandature.

Me Bénéwendé Sankara, président de l’UNIR/MS : "Nous sommes en train de reculer"

Les discours se suivent et se ressemblent. Le dernier a été plutôt une espèce de catalogue des actions menées par le gouvernement, de 2006 à 2007. La situation véritable de la nation n’a été évoquée que sur le plan économique et sur le plan de l’état de la démocratie. Par honnêteté et probité intellectuelle, il faut reconnaître que le Premier ministre n’ignore pas la déliquescence du Burkina Faso. Il a déploré que les mentalités soient véritablement arriérées à tel point que les citoyens veulent régler leurs problèmes avec la justice privée. Je pense qu’il faut saluer son courage politique.

Contrairement à ce qu’il a dit l’année dernière, à savoir que l’étoile du Burkina brillait, aujourd’hui il donne raison à l’UNIR/MS qui avait dit qu’il bottait en touche. Cette fois dans son discours, il a reconnu que nous étions en train de reculer. Parlant de croissance, vous aurez noté que malgré l’apport de l’encours de la dette (plus de 700 milliards de F CFA) et les 144 milliards de F CFA de la privatisation de l’ONATEL qui créditent notre budget de plus de 850 milliards de F CFA, le consommateur n’a pas véritablement profité des fruits de la croissance dont on se vante.

Même l’augmentation des salaires de 5%, à la limite, est une insulte pour les travailleurs burkinabè. Quand vous avez des rentrées de devises de cette nature alors que l’action des syndicats était déjà fondée sur d’autres paramètres, je pense que la cherté de la vie aurait dû amener le Premier ministre a relever les salaires de façon conséquente. C’est un discours d’autosatisfaction et qui a permis au Premier ministre de prendre conscience que sa mission est terminée.

Il y a 7 ans, il était arrivé comme un pneu de secours. Cette fois-ci la roue est crevée, même si le moteur tourne. D’ailleurs le Burkina tourne dans la tourmente. Le Premier ministre a mené un discours purement politique en restant dans le sillage des promesses électorales dont le chef de l’Etat a dû se servir pour être élu en 2005. C’est au peuple burkinabè de faire son analyse et de ne pas attendre de ce gouvernement des miracles ni des lendemains meilleurs.

Propos recueillis par D. Parfait SILGA et Lassina SANOU

Le Pays

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