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Théâtre : « Noces noires » ou l’autopsie de la famille en temps de guerre

Publié le jeudi 5 avril 2007 à 08h47min

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« Noces noires » est la dernière pièce de théâtre du comédien, metteur en scène et écrivain ivoirien Assendé Fargas. Elle traite de manière fort réussie de l’impact des conflits ethniques sur la vie des couples « mixtes ». Cette pièce est une descente dans l’enfer de la guerre et dans les profondeurs de l’âme humaine pour y découvrir les haines, les laideurs et les monstruosités que la guerre exacerbe.

« Noces noires » s’ouvre sur un vieux milicien assis sur un rocking-chair et tenant en joue un ennemi invisible au bout de son fusil. Une femme rôde autour du milicien. Visiblement elle veut lui dire quelque chose mais aucun mot ne s’échappe de sa bouche. Alors ses doigts se crispent sur son corsage et on devine sa colère ou son impuissance à expulser par la parole ce qu’elle porte comme fardeau en elle et qui la fait souffrir.

Nous assistons intrigués à ce théâtre muet quand subitement un chant, une sorte de vibrato qui oscille entre le gospel et la soul, naît dans les coulisses et envahit progressivement la salle. Il y a quelque chose de douloureux dans la voix qui installe un certain malaise dans la salle.

...Et une femme tout de blanc vêtue apparaît sur la scène tout en poursuivant son chant funèbre. Elle est l’Ombre, une sorte de conscience chrétienne, « d’œil de Caïn » ou de surmoi freudien de la femme du milicien, c’est selon. Bitomé Alvi, comédienne congolaise, joue avec beaucoup de talent ce personnage.

Voilà comment se trouvent réunis les trois personnages qui, pendant une heure d’horloge, sans interruption, sans sortie de scène, joueront magnifiquement cette pièce écrite et mise en scène par Assendé Fargas.

Le spectateur pressent d’emblée que cette pièce crépusculaire ne le fera pas rire mais exacerbera tout ce qu’il a de sensiblerie et d’émotion au fond de lui. Parce que « Noces noires » aborde un sujet très grave : la guerre. De la guerre, très souvent, on a le décompte de maisons et de ponts dynamités, l’arithmétique de villes prises et reprises, le dénombrement de réfugiés et de macchabées des deux camps.

Jamais n’est abordée l’incidence de la guerre sur le tissu familial. C’est à cet aspect occulté de la guerre que « Noces noires » s’intéresse : comment la guerre, tel un cancer, attaque la cellule familiale et comment la nécrose détruit un à un tous les liens d’amour, de joie et d’expérience partagés qui relient un vieux couple.

Par quelle alchimie du malheur ou métamorphose de diable arrive-t-on à exécrer l’être que l’on idolâtrait hier encore ? « Noces noires » tente d’y répondre. Aussi, Awa Coulibaly de la Côte d’ivoire et Stan Datengo de Congo Brazzaville incarnent ce vieux couple issu de deux clans qui s’affrontent dans une guerre tribale sans merci.

Le mari a pris les armes et tue sans états d’âme tous ceux qui sont du clan de son épouse. Elle ne peut ni se désolidariser des siens ni haïr celui qu’elle a passionnément aimé et qui lui est devenu étranger et qu’elle découvre maintenant bourreau de son peuple à elle. Elle se refuse à croire que l’amour qu’ils ont partagé ait juste été un échange de salive ou une affaire de glandes.

Assendé donne la parole à ces deux -là pour dévider leur trop plein de haine, d’attente et d’incompréhension aussi. L’auteur déroule tous les thèmes connexes agrégés à la guerre tels que l’émigration, l’exil, le pardon et la propension des hommes à toujours s’inventer des coupables à leurs malheurs : juif avant, musulman aujourd’hui, l’Autre ou l’étranger toujours.

« Noces noires » étale toutes les horreurs de la guerre et des soldats mais refuse la condamnation facile et le manichéisme simplificateur qui divise le monde en bons et en mauvais. Le bourreau est souvent une victime qui a tiré le mauvais numéro. Si le milicien Toogho apparaît comme une brute détestable au début, on découvre au bout de sa confession qu’il est devenu ce qu’il est parce qu’enfant il a assisté impuissant à l’extermination de sa famille et qu’il a été enrôlé de force dans la rébellion comme enfant-soldat.

Tous ces hommes ordinaires happés dans les guerres et semant partout la désolation ne seraient que des marionnettes entre les mains des chefs de guerre, semble nous dire l’auteur.

La pièce se clôt sur la mort du milicien Toogho qui avait commencé à reconquérir son humanité et à regretter ses années de bonheur avant la folie collective. Faut-il alors comprendre que le refus du happy end signifie que lorsqu’on a ouvert les portes de la guerre, qu’on en a franchi le seuil, on s’engage sur le chemin du non-retour ?

N’y aurait-il pas une vie de l’après-guerre et la paix ne serait-elle alors qu’une brève parenthèse, une mi-temps avant une autre partie de carnage ? Donc pour Assendé Fargas, il ne faut jamais, au jamais ouvrir les portes de l’enfer ! Vision fort discutable mais compréhensible pour un panafricaniste qui voit sa terre natale dont le premier couplet de l’hymne national contient les expressions « Terre d’espérance » et « pays de l’hospitalité » dépecée par l’intransigeance et la cupidité des politiques.

« Noces noires », en somme, c’est la rencontre entre un beau texte, de grands comédiens dans un décor minimaliste et une brillante mise en scène. En fait cette mise en scène, en choisissant de faire cohabiter deux lieux scéniques et en faisant jouer les acteurs simultanément dans ses lieux clivés, oblige le spectateur à être actif pour ne pas perdre le fil du drame.

L’Espace Gambidi accueillera la représentation de « Noces noires » ce week-end. Si vous aimez le grand théâtre, « Noces noires » vous plaira. Alors courez-y.

Barry Alceny Saïdou

L’Observateur Paalga

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