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Crépuscule de la littérature engagée ?

Publié le mercredi 4 avril 2007 à 08h32min

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A quoi auront servi nos Discours sur le colonialisme, notre Cahier d’un retour au pays natal, nos récits de L’aventure sanglante de la négraille, de L’aventure ambiguë, des Damnés de la terre ; etc. ? Et même si On a assassiné tous les Moose, cela ne regarde que ceux qui veulent bien encore en parler.

Le colonisateur, lui, a terminé sa besogne sans broncher, tandis qu’autour de nous, Le monde s’effondre chaque jour un peu plus. Les premières générations d’écrivains africains ont fait voir de toutes les couleurs à l’esclavagiste, au colonialiste et à l’impérialiste. Mais c’étaient des couleurs fictives, faites pour la consolation et le rêve. Elles n’ont pas provoqué de révolutions culturelles capables de faire écran aux visées des colons sur les peuples noirs. Une fois l’impérialiste parti, les nouveaux guides africains trouvent en face ou à côté d’eux, les nouveaux écrivains africains. Rudes empoignades !

La situation rappelle la devise d’un notable moaga qui dit : « Katr seg sôyâ : katr gend-gend ta na n yôke. Sôy me tând- tând ta na wêbge. Ad yaa putorâmb n seg taaba. » (Traduisons : L’hyène a rencontré une sorcière : l’hyène déambule, cherchant à se saisir de sa proie. La sorcière se déhanche, s’appliquant à guetter l’aubaine. Deux êtres de mauvaise foi se sont rencontrés.) Qui sont les nouveaux guides africains dans la littérature africaine post-indépendance ?

Ce sont les leaders politiques, les opérateurs économiques, les nouveaux riches et guides spirituels. Que disent les écrivains de la nouvelle génération, c’est-à-dire ceux qui n’attendent plus leur salut des sources, de ces nouveaux guides africains ? Plus justement : que leur reprochent-ils ? D’entrée de jeu, c’est le leader politique, celui qui a le beurre et le prix du beurre, qui est visé. Les écrivains l’atteignent du côté où lui-même atteint le plus cruellement la conscience humaine : ils le présentent à la fois comme un agent et un engin de mort.

L’homme politique tire toujours le premier sur ses rivaux, pour dissuader ou persuader. Il tue aussi par rancune, par abus de pouvoir ou par cynisme. « Le principe de mort, inhérent à tous les régimes, dit Cioran, est plus perceptible dans les républiques que dans les dictatures : les premiers le proclament et l’affichent, les seconds le dissimulent et le nient. » Le cas de l’Afrique est légèrement différent. D’abord, en Afrique, on ne s’encombre pas de principes. A l’initiation du président Koyaga auprès de son aîné et grand-paire, voici ce que l’homme au totem de caïman lui a dit, selon Ahmadou Kourouma : « La seconde grosse bête qui menace un chef d’Etat novice...était d’instituer une distinction entre vérité et mensonge.

La vérité n’est très souvent qu’une seconde manière de redire un mensonge... D’ailleurs, il est rare - aussi rare qu’un poil sur le séant d’un chimpanzé - qu’un citoyen d’une république africaine indépendante se lève pour dire les blasphèmes que constitue l’inverse de ce que soutient son chef d’Etat. » (En attendant le vote... page 197)

Ensuite, la loi du silence et de la dissimulation est celle qui assure aux autres lois, longévité et crédibilité : hommage du vice à la vertu ! Ici comme ailleurs, l’œil ne voit jamais ce qui le crève. Sur les cendres encore fumantes de ses forfaits, le leader politique convoque des arbitres et des témoins. Place aux courbettes amples, pour ceux au moins d’entre eux qui ne souffrent pas encore de courbatures !

Le nouveau riche arrive sur la scène et prend à sa charge, la note des dégâts matériels des forfaits, tandis que le ministre sacré s’occupe de la dette spirituelle puis, de complicité en complexité, les nouveaux guides vont opérer ensemble, jour et nuit : le jour des discours officiels et la nuit des calculs redoutables. Sans transition, les virements bancaires transforment les égarés de tous bords en éclaireurs, et la nouvelle anthropophagie en philanthropie.

La littérature engagée n’engage plus...

En Afrique, l’homme intègre est seulement loué une fois, car jamais on ne le verra deux fois. A la manière du mort dans la tradition, les nouveaux guides ne font que guider les nations à leur perte. Mais, ils ont, eux, à la fois les fétiches mâles et femelles de l’invincibilité, tout leur est permis. Ils résolvent les contradictions en les répétant jusqu’à ce que l’esprit humain s’habitue à elles. C’est par l’abus du pouvoir qu’ils prouvent que le pouvoir leur appartient.

De cette manière, quoi qu’il arrive et quoi qu’on fasse, tout finit par rentrer dans l’ordre, et les nouveaux guides dans leurs citadelles, pour que le bal continue, en attendant l’investiture du prochain Monarque démocrate. Passant d’un genre littéraire à l’autre, embrochant dans un même geste tous les thèmes qui se rapportent à la condition humaine, les nouveaux écrivains pourchassent rageusement les nouveaux guides dans toutes les grottes du mal : corruption, mensonge, meurtre, idolâtrie. Même sous le karité de Dourékro, on dit qu’il faut mettre sa femme en lieu sûr avant de soigner l’impuissance d’un homme politique.

Or, de quel lieu et de quel droit l’écrivain se donne t-il ce devoir croustillant de croquer son guide ? Au nom de quoi ? De la justice ? Du peuple ? De l’homme ? Quand l’écrivain accorde tam-tams et guitares et se met à pourfendre l’homme politique, ce n’est pas pour défendre la justice dans son principe, la vie et le droit dans leurs principes, mais souvent pour manifester sa frustration de n’avoir pas été associé au partage du butin.

La preuve ? Il suffit que le guide lui fasse un signe de la main, et le voilà dans la danse, pour apprendre à comprendre. Pire : Maints écrivains promus hauts responsables dans l’Afrique indépendante ont déçu leurs lecteurs.

Au Rwanda, au Congo, en Côte d’Ivoire, etc., certains des écrivains engagés ont collaboré à l’amplification de l’horreur et de la stupeur. Quand l’écrivain troque la plume contre le trône, des têtes tombent. L’horizon des valeurs s’est retiré, les écrivains n’ont plus pour repères que l’argent et le cadavre des idoles. Donc : la littérature s’oppose au politique, mais l’écrivain pactise avec la politique.

Pour l’un et l’autre, le guide et l’écrivain, l’engagement pour la justice, le droit, le peuple est un fantôme qui n’a ni réalité, ni localité parce qu’il s’octroie fictivement toute réalité et toute localité. La littérature engagée n’engage plus personne d’autre que ceux qui se la racontent. Et ils le font comme un vieillard qui a oublié les personnages d’un conte et qui, pour le raconter quand même, passe tout le temps à se taper la tête.

Vus par les écrivains, les guides ne baignent finalement pas dans le bonheur : ils sont des personnes en rupture de personnalité, à force de vouloir se maintenir, par tous les moyens, dans des personnages trop vastes pour eux. Les écrivains, renvoyés à leurs propres rêves par les guides se contraignent, meurtris, à moduler sur plusieurs tons, des jugements moraux sans moralité.

Ils « écrivent comme on crie ou pleure. » Dans le meilleur des cas, la société est un édifice d’enchantement. Mais nous sommes rendus à une étape où la nôtre est un pont de liane auquel il arrive de relier l’horreur à la stupeur.

L’écrivain africain, à la manière de Stanislas Lem, son collègue de la Pologne contemporaine, est en réalité de plus en plus « gagné par l’indifférence, comme sous l’effet d’une anesthésie. » Une indifférence renforcée par un pessimisme qui vire chaque jour un peu plus du gris au noir. Et monsieur Lem ajoute : « Plus d’une fois déjà, au cours de mon existence, j’ai été accusé de pessimisme noir.

Mais jamais je n’aurais imaginé pouvoir dire un jour : l’humanité n’est qu’une troupe de singes nus se multipliant à l’infini, armés de rasoirs inventés par leurs plus intelligents cousins... Peut-on réveiller quelqu’un qui dort sans le fâcher ? » (Courrier International n° 594) - Disons-le.

Ibrahiman Sakandé (ibra.sak@caramail.com)

Sidwaya

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