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Burkina : Sauver du péril la filière coton

Publié le jeudi 29 mars 2007 à 07h31min

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L’importance de la filière coton dans l’économie burkinabè, les problèmes de gestion et de finances de la SOFITEX, la politique agricole du Burkina, la question cruciale de la volonté politique, sont autant d’aspects abordés dans cette analyse par Antoine Ilyinga qui élabore ici quelques pistes de solutions à tous ces problèmes.

L’importance de la filière coton dans l’économie burkinabè (premier secteur en termes d’emploi, de distribution de revenu, de contribution au PIB et à la balance ¬commerciale, etc.) n’est plus à prouver. Cependant, l’or blanc tend à "bronzer" parce que son avenir est plus qu’incertain ; et cela nous interpelle tous. J’entends par cet écrit contribuer à l’effort de réflexion et de recherche de solutions.

En effet, notre agriculture en général et le coton en particulier, se trouve à la croisée des chemins : caprices de la nature (sécheresse et inondations, dégradation des terres, insécurité foncière, etc.) ; dépendance extérieure (coûts des importations d’intrants et de matériel de production, cours mondial du coton instable et baissier) ; inadéquation ou absence de l’encadrement des acteurs et de la politique agricole tout court. Si les constats sont vite faits, les analyses et les diagnostics sont plus difficiles et les solutions le sont encore plus. Pour ma part, je fais les constats à trois niveaux essentiellement : des questions de gestion de la SOFITEX, de la politique agricole et de la volonté politique des pouvoirs publics.

Des problèmes de gestion et de finances de la SOFITEX

J’avais déjà dans un article de presse déploré l’instabilité chronique des prix d’achat du coton aux producteurs pratiqués par la SOFITEX et compagnie qui, pour se justifier à propos, ne tarissent pas d’aveux d’impuissance. Je reviens à la charge cette fois-ci pour évoquer d’autres aspects relatifs au manque d’initiatives et aux dysfonctionnements dans la gestion de cette société pour ne pas parler de mauvaise gestion. Ce faisant, je m’attendais aujourd’hui, au regard de la situation difficile du coton, à ce que l’on parle plutôt de plan global de structuration que d’une simple recapitalisation de la SOFITEX.

Car celle-ci ne souffre pas seulement de la baisse des cours du coton, mais aussi de beaucoup de parasites qui la phagocytent, la sucent et l’appauvrissent donc. C’est un secret de Polichinelle l’existence parmi les fournisseurs, les clients, les prestataires divers et autres sous-traitants de la SOFITEX, de sociétés dont la constitution et les intérêts ne trompent personne.

Pas alors besoin d’être un agrégé en gestion pour comprendre les enjeux et les conflits d’intérêts que ces sociétés vont opposer à la SOFITEX. Parce que, quand il arrive que l’on doit vendre ou acheter à soi-même, l’on ne peut plus être dans des conditions orthodoxes de fonctionnement du marché. La réalisation régulière de simples audits devenus classiques et routiniers ne saurait garantir aujourd’hui la bonne gouvernance dans une entreprise comme la SOFITEX.

La seule baisse du cours mondial du coton peut-elle justifier ses pertes cumulées (plus de 26 milliards la compagne précédente) comme on tente de nous le faire avaler ? Non, il y a certainement aussi dans ces mauvais résultats, le poids des autres charges de gestion - dont les charges financières - non maîtrisées ou mal négociées. Si l’on parle de pertes aujourd’hui à la SOFITEX, hier, on parlait plutôt d’excédents. Qu’a-t-on fait de ces excédents des années de grâce qui n’ont même pas servi à approvisionner les mécanismes de régulation des prix ?

Est-ce que ce n’était pas plus gestionnaire et financièrement plus avantageux de recapitaliser des excédents ? Gérer, c’est aussi prévoir dit-on. Toutes choses égalent par ailleurs, doit-on comprendre que les actionnaires dont l’Etat devraient, dans 3 ou 5 ans, trouver encore de l’argent frais pour recapitaliser encore la SOFITEX ?

Je soutiens que les problèmes du coton sont aussi et d’abord à la SOFITEX. C’est là qu’il faut aller chercher les raisons de la méfiance et de la réticence de certains actionnaires et de certaines banques traditionnellement partenaires de la SOFITEX, de poursuivre ce partenariat. Je soutiens aussi que tant que ces problèmes de gestion resteront posés, toutes les thérapies au coton resteront aussi vaines. Dans tous les cas, l’équation du coton dépasse le seul cadre des sociétés pour être un problème de politique économique et de volonté politique.

De la politique agricole

Le Burkina a choisi le coton comme support de son économie, et il l’est vraiment aujourd’hui. Cependant, la conjoncture internationale défavorable et les prévisions peu reluisantes pour cette culture, nous amènent à nous interroger sur l’opportunité de persévérer dans ce choix et s’il n’y a pas lieu d’y revenir. Ce faisant, on déplore alors des insuffisances voire des incohérences dans la politique agricole de notre pays. Nous nous résumons à travers des interrogations.

En effet, comment peut-on encourager une culture extensive du coton dans un contexte de dégradation avancée des terres ? Comment peut-on, en dépit de l’accroissement continu de la production cotonnière, ne rien encore envisager de sérieux pour sa transformation (sa valorisation) ?

L’apport de l’Etat - sans remettre en cause son intérêt - à la recapitalisation financière de la SOFITEX ne suffisait-il pas pour entreprendre une unité de transformation du coton. Ne vaut-il pas mieux produire peu de coton à forte valeur ajoutée que beaucoup de coton surtout quand il est vendu à perte ; et quand l’on prend en compte les effets écologiques indéniablement néfastes de la culture extensive.

A court et moyen termes, il est évident que le Burkina n’arrivera pas à agir sur le cours mondial du coton par sa force politique (négociations à l’OMC), ou par ses coûts de production du fait de l’aliénation de ces coûts aux importations. Le Burkina peut cependant et doit alors agir plutôt sur l’offre du coton. Dans ce sens, il nous plaît d’entendre dire que la SOFITEX est l’une des plus grandes sociétés cotonnières du monde, c’est donc dire que l’offre du Burkina (production de la SOFITEX, de la SOCOMA et de Faso Coton) sur le marché mondial du coton n’est pas négligeable.

Alors, pourquoi n’envisage-t-on pas à l’image des pays de l’OPEP, de jouer sur ce volume de production en pool avec d’autres pays, afin de soutenir les mécanismes de régulation des prix mondiaux ? Dans cet esprit, la politique cotonnière actuelle du Burkina (accroissement annuel continu de la production) est alors inappropriée, voire contraire à la loi économique sur la formation des prix. En effet, la théorie économique voudrait qu’en de pareilles circonstances, les pays producteurs de coton dont le Burkina, révisent à la baisse leur production afin de soutenir le cours mondial. Quid alors de la volonté politique des décideurs ?

De la volonté politique

L’engagement personnel du chef de l’Etat et le dynamisme du ministre Diallo de l’Agriculture sont les signes manifestes de cette volonté politique à l’égard du monde rural. C’est l’occasion ici de saluer les mérites de ce ministre qui se démarque par sa volonté et son engagement au travail. La tenue régulière de cadres de concertation telles les JNP est également à l’actif du politique.

Cependant, beaucoup reste à faire dans un contexte des accords ACP/UE car, les inégalités du commerce agricole international que dénonce courageusement notre pays à chaque occasion, sont le reflet des dysfonctionnements des structures nationales et les insuffisances des politiques agricoles que nous avons dépeints plus haut. En effet, le monde paysan burkinabè se caractérise par des tares telles l’analphabétisme et l’obscurantisme ; d’où son incapacité à s’approprier de techniques de production innovantes, de comprendre les mécanismes vicieux et pernicieux des marchés nationaux et internationaux.

Ceux qui sont censés alors être les éclaireurs de ces paysans, se sont plutôt enrichis de leurs ignorances (qualité douteuse des intrants à coûts élevés, prix d’achat de la production insuffisamment rémunérateur, tricherie dans la détermination de la qualité du coton, détournement de matériel et des fonds à eux destinés, etc.).

Au plan communautaire, pourquoi n’envisage-t-on des formes de regroupement des sociétés agricoles dans le cadre de l’UEMOA comme cela se fait ailleurs et dans d’autres domaines. Par ailleurs, ou en est-on avec le projet de la Centrale régionale d’achat des intrants agricoles ?

En somme, pour le politique, n’est-il pas plus prometteur de faire du Burkina un pays agricole moderne plutôt qu’un grand pays producteur de coton. Ça s’appellera avoir de la souveraineté agricole.

Des solutions

La première solution, c’est réfléchir autour d’un cadre de concertation. Les biologistes et apparentés ont déjà à travers le débat nourri sur les OGM donné leurs contributions notamment à travers la presse (Observateur Paalga des 10/11, 21/11/06, 23/10/2006, et autres). L’essentiel de leur apport, sans m’inviter dans ce débat, c’est que les OGM, - technologie encore importée et risquée - ne saurait être la panacée à l’avenir du coton. Les économistes et assimilés doivent également se faire entendre sur les préoccupations agricoles du moment.

A cet effet, des valeurs individuelles de référence comme M. Zéphirin Diabré sont des personnes¬ressources aux côtés des institutions tels le CAPES, les universités, le CNRST et le STP/PES. J’inviterai même la société civile (organisations paysannes et autres) à se départir de son rôle traditionnel fait de revendications et de critiques infructueuses, pour se mouvoir en une force de propositions alternatives.

Pour ma part, deux pistes sont à explorer : la diversification agricole et la valorisation des savoirs locaux. La diversification agricole peut être une réponse à la fois au problème du coton, à la dégradation continue des sols et à la sécurité alimentaire tout court. Dans tous les cas, la diversification et l’alternance des cultures sont l’expression de la souveraineté agricole. Par ailleurs, la valorisation des savoirs locaux peut contribuer à amortir les coûts importés (intrants et matériel).

Il est établi que le coût de la production agricole est aujourd’hui la véritable entrave à sa compétitivité. Dans le domaine des aménagements hydro agricoles par exemple, est-ce qu’une politique à forte intensité de main d’oeuvre ne serait pas plus appropriée que toutes les tentatives de mécanisation importée que nous avons connues jusque-là ?

Il existe de ces techniques ancestrales d’aménagement et de production agricole, des savoirs en produits phytosanitaires naturels. Ces savoirs locaux ne peuvent-ils pas être améliorés et valorisés ? Ce qui est certain, l’on ne peut pas être compétitif avec de ces technologies importées qui ne s’enrichissent pas de savoirs locaux. Et là nous attendons encore une véritable impulsion politique.

Je terminerai par quelques questionnements qui résument toute la problématique de mon propos :

- quelles sont les perspectives d’évolution des cours du coton,- aucune idée-. Là, on relève que la prospection ou la veille économique est encore insuffisamment maîtrisée par nos planificateurs. Si les perspectives ne sont pas mêmes porteuses, est-ce la peine d’aller aux OGM ?

- qu’envisage-t-on pour suppléer le coton au cas où son avenir serait irrémédiablement compromis comme ce fut le cas d’autres cultures de par le passé ? - On verra -. Ces interrogations que d’aucuns trouveront inopportunes et pessimistes devraient pourtant intéresser plus d’un, car gouverner, c’est prévoir, et certainement que l’avenir socio-économique du Burkina en dépendra.

Ilyinga Antoine ilyinga@yahoo.fr

Le Pays

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